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Décryptage
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Les catholiques français face au choix politique

GUILLAUME BERNARD

© Ices

Thomas Renaud - Charlotte d'Ornellas - publié le 10/05/17

Guillaume Bernard, politologue, théoricien du mouvement dextrogyre, analyse le vote du second tour de l’élection présidentielle, et celui des catholiques en particulier.

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Aleteia : Que traduisent les scores du second tour en matière d’adhésion idéologique et de légitimité politique ?
Guillaume Bernard : Les scores sont, malgré les apparences, quelque peu ambigus. Car il ne faudrait pas oublier le résultat du premier tour. Avec 66 % des suffrages exprimés, la victoire d’Emmanuel Macron est indiscutable. Mais, l’abstention a progressé entre les deux tours, ce qui n’était arrivé qu’en 1969 lorsqu’il y avait eu l’affrontement (sans enjeu pour la gauche) entre Georges Pompidou et Alain Poher. D’habitude l’abstention diminue au second tour : elle est, grosso modo, de 20 % au premier tour et de 15 % au second. En 2017, elle a atteint 25 %. Cela délégitime en partie le vainqueur. Mais ce n’est pas tout. Les votes blancs et nuls (qui ne sont pas comptabilisés dans les suffrages exprimés) ont atteint un niveau record : 8 %, soit le double de ce qu’il y avait eu en 2012 et même de 2002. C’est bien le signe qu’Emmanuel Macron a surtout été élu par défaut : par rejet de son concurrent plutôt que par adhésion pleine et entière à sa personne et son programme. Il avait fait moins du quart des suffrages exprimés au premier tour. Par l’alliance de Nicolas Dupont-Aignan avec Marine Le Pen, le « front républicain » s’est certes fissuré. Et il n’est plus du tout dans les rues (alors que ce fut le cas en 2002). Mais il est encore dans de nombreuses têtes.

Le résultat obtenu par Marine Le Pen est donc, lui aussi, en demi-teinte. Celle-ci réunit plus de 10 millions d’électeurs, ce qui est le double de ce qu’avait fait son père en 2002. En cela, c’est incontestablement une progression. L’implantation du FN est réelle : ce parti est en passe de devenir, à lui tout seul et contre tous les autres, majoritaire en certains endroits du territoire. Cependant, alors que Marine Le Pen était susceptible d’atteindre 40 % (par le jeu des reports de voix et des absentions différentielles), elle ne passe pas la barre des 35 % (l’écart d’avec le vainqueur de l’élection est de plus de trente points). C’est donc aussi une contre-performance et ce d’autant plus que les circonstances (terrorisme islamique, vagues ininterrompues de « migrants » en Europe) portaient le programme traditionnel du FN. Il est certain qu’elle a perdu une partie de ses électeurs potentiels à cause de sa prestation télévisée qui est mal passée. Mais, plus profondément, c’est sa stratégie (ne prenant pas suffisamment en compte les proximités idéologiques et les porosités électorales) qui est en cause. Depuis 2007 (quand elle dirigea la dernière campagne de son père avant de prendre la tête du mouvement en 2011), elle cherche à réunir à son profit les partisans du « non » au référendum de 2005 sur le Traité établissant une constitution pour l’Europe (TCE) en oubliant que l’euroscepticisme peut avoir des motivations différentes et incompatibles (internationalisme pour les eux, souverainisme pour les autres). Ses efforts pour capter l’électorat de Jean-Luc Mélenchon se sont soldés par un échec (10 % à peine se sont reportés sur elle au second tour).

Quels enseignements, sur le fond comme sur la forme, tirez-vous du débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron qui a tant frappé les esprits ?
Il n’est pas si étonnant que ce débat ait été violent tant les candidats étaient le miroir inversé l’un de l’autre (identité contre multiculturalisme, protectionnisme contre mondialisme). Mais la forme l’a malheureusement emporté sur le fond : les ricanements (difficilement supportables tant ils étaient systématiques) de l’un des protagonistes ont répondu à la transparence (les mots creux succédant aux pétitions de principe) de l’autre dissimulant mal sa suffisance technocratique dénuée de compassion. La confrontation des programmes est, dès lors, devenue quasi inaudible.

Un débat d’entre-deux-tours, hors bourde monumentale ou coup flamboyant, ne change généralement pas la donne : il confirme chacun dans le choix qu’il a déjà fait. En revanche, il peut permettre à l’un des candidats de capter les indécis. À l’évidence, aucun des duellistes n’a su montrer assez de compétences et surtout de hauteur de vue pour emporter la conviction des électeurs flottants qui se sont réfugiés dans l’abstention et le vote blanc. Ce sont ces suffrages qui auraient pu se porter en partie sur elle qui ont manqué à Marine Le Pen pour qu’elle fasse un score plus élevé.

De nombreux ténors de droite se déclarent prêts à gouverner avec Emmanuel Macron. Quel regard portez vous sur cette stratégie « d’entrisme » ?
La stratégie des ténors de LR est très étonnante. Puisqu’ils déclarent chercher à gagner les législatives pour imposer une cohabitation au chef de l’État, pourquoi ont-ils choisi de soutenir (avec un empressement qui a choqué nombre de leurs partisans) l’un des deux finalistes de la présidentielle ? C’était dire implicitement qu’ils sont plus proches de l’un que de l’autre (alors que, sur ce point, la moitié de leur électorat ne partage pas leur position). En outre, quelle sera la crédibilité des candidats de ce parti quand ils affronteront les représentants d’Emmanuel Macron qu’ils ont contribué à faire élire ? En fait, LR est un parti profondément écartelé dont l’unité n’a, jusqu’à présent, été maintenu que par l’exercice ou l’espérance du pouvoir.

Quelle leçon tirer désormais du ralliement de Sens commun à François Fillon ? Etait-ce la meilleure opération à faire ?
Quant à Sens commun (sujet qui me navre très sincèrement), il y a évidemment eu de la naïveté à croire possible de changer un parti politique (LR) sans en prendre le contrôle. Les contraintes partisanes (comme les investitures pour les élections) sont telles que c’est le plus souvent le parti qui formate ses membres et non l’inverse. Que sont devenus les trotskistes ayant fait de l’entrisme au Parti socialiste parce qu’ils ne pouvaient entrer au Parti communiste stalinien ? « Au mieux », des sociaux-démocrates…

En outre, alors que la grande force de la Manif pour tous (LMPT) a été d’être un mouvement trans-partisan, je suis au regret de dire que sa dynamique a été freinée et son unité brisée par la création de Sens commun. LMPT aurait pu être l’un des instruments de l’explosion des partis et de la recomposition de l’ensemble de la droite (FN compris) selon des critères doctrinaux clairs. Au lieu de cela, la direction de Sens commun est entrée dans des stratégies et combinaisons politiciennes. Les concepteurs de ce mouvement ont terriblement manqué d’imagination. Il y a cependant fort à parier que les militants de Sens commun auront rapidement à cœur de participer à la recomposition de la droite qui se fera sous la pression de ce que j’ai proposé d’appeler le « mouvement dextrogyre ».

Enfin, il n’est pas inutile de noter que la ligne libérale-conservatrice de Sens commun était doctrinalement incohérente (même si l’on comprend bien qu’il s’agit de ratisser électoralement le plus largement possible). Cet attelage peut, à première vue, séduire : le libéralisme pour l’économie (libérer les forces et les initiatives), le conservatisme pour le sociétal (maintenir les liens traditionnels dans la société). Mais, la doctrine libérale ne se résume pas à une dénonciation d’une trop forte (et très réelle) fiscalité (il n’est d’ailleurs nullement nécessaire d’être libéral pour partager une telle position). Le libéralisme repose sur une approche subjectiviste (il n’existe pas de valeur en soi mais uniquement par la rencontre de volontés) qui, inexorablement, détruit toute tradition. L’incompatibilité entre le libéralisme et le conservatisme peut d’ailleurs être électoralement illustrée : une moitié de l’électorat de François Fillon s’est reportée sur Emmanuel Macron tandis l’autre s’y est refusée soit en votant pour Marine Le Pen (24 %) soit en se réfugiant dans l’abstention ou le vote blanc (26 %).

Les catholiques semblent en tout cas en incapacité de « penser le politique » selon ses propres règles. La confusion entre l’ordre de la morale et l’ordre de la res publica est fréquente. Nous faut-il relire saint Thomas d’Aquin ?
Vous mettez le doigt sur un problème crucial. Un certain nombre de catholiques sont portés vers l’augustinisme politique. Il n’est pas inutile de noter que cette tentation est partagée dans toutes les sensibilités liturgiques : il me semble, sans leur faire aucunement offense, qu’elle est le ressort commun des démarches de personnes pourtant aussi différentes qu’Erwan Le Morhedec ou Alain Escada.

L’augustinisme politique part de l’idée parfaitement catholique que la grâce (divine) surpasse la nature (humaine). Mais, il procède ensuite à une absorption du temporel par le spirituel sous prétexte que la finalité du second (le salut des âmes) est supérieure à celle du premier (le bien vivre). Cela induit de nombreuses conséquences : par exemple, la vertu de justice (avoir une conduite qui plaît à Dieu) rendrait inutile la réalisation de la justice rétributive (commutant ou distribuant les droits). La loi morale (qui dicte les conduites) remplace alors le droit naturel (qui répartit les choses extérieures entre les personnes) alors que, distincts, ils convergent naturellement.

Or, la hiérarchie des domaines (supériorité du religieux sur le politique) n’implique pas la dé-légitimation du second. De même, chercher la justice particulière (répartir l’avoir) ne détourne pas de la justice générale (être juste). Mais, l’augustinisme politique en vient, quant à lui, à nier l’irréductibilité du politique (pourtant inscrite dans l’ordre cosmologique des choses) et, par voie de conséquences, de la nécessité d’attribuer à chacun selon son mérite : reconnaître à César ce qui lui revient serait superflu puisqu’il faut rendre prioritairement à Dieu ce qui lui est dû. Cette critique de l’augustinisme relève, vous l’avez bien compris, du thomisme. Pour celui-ci, l’existence de la patrie céleste ne fait pas disparaître la patrie terrestre, l’objectif (religieux) de la vertu ne détourne pas de la recherche (politique) du bien commun.

L’Église souhaite aller vers les périphéries à l’invitation pressante du pape François. Mais a-t-elle mesuré la souffrance de la France périphérique ? Entend-on assez les évêques sur ce sujet ? Selon le nouveau clivage entre « Anywheres » et « Somewheres » introduit par David Goodhart, n’est-il pas urgent de répondre à la soif de racines ? Qui cherche une incarnation spirituelle et… politique ?

Il est à craindre qu’une partie non négligeable des prélats de l’Église soit comme le reste des élites : hors sol. Certains évêques ne semblent pas avoir pris la mesure de la crise identitaire qui frappe le pays. Elle est le fruit, d’une part, du déracinement (non-enseignement de l’histoire, standardisation des modes de vie) et, d’autre part, du multiculturalisme (non-assimilation des populations d’origine étrangère, communautarisation du lien social). Il y a là la perception d’une perte de contrôle de son destin. Ce n’est pas une hostilité envers autre que soi, mais une réaction de survie : le refus de ne plus être soi-même.

De ce point de vue, les catholiques sont directement concernés. Le « sursaut » identitaire d’un certain nombre d’entre eux (pas de tous) se traduit de deux manières : d’un côté, ils ont pris conscience qu’ils étaient devenus minoritaires (déracinement social du catholicisme) et qu’ils subissaient des agressions (venues en particulier de l’islamisme) et, de l’autre, ils sont plus fermes sur leurs valeurs et osent s’afficher (LMPT, marche pour la vie, pèlerinages dont celui de Chartres, etc.). Électoralement, cela se traduit notamment par une forte progression du vote catholique en faveur du FN, même s’il reste encore minoritaire (38 % au second tour de la présidentielle 2017).

Derrière tout cela, l’enjeu de philosophie politique est le suivant : c’est l’alternative entre la sociabilité naturelle (position classique) et la sociabilité artificielle (idée moderne). Pour la première position, les corps sociaux sont inscrits dans un ordre cosmologique des choses qui leur donne leurs règles de fonctionnement (il est naturel pour l’homme de vivre en société, il est naturel qu’un corps social soit dirigé par une tête : chef de famille, d’entreprise, etc.). Pour la seconde, les corps sociaux sont le résultat d’un acte de la volonté des hommes qui décident de leurs modes d’existence et de fonctionnement. Autrement dit, pour la pensée classique, les corps sociaux sont un tout ayant une identité propre tandis que pour l’idéologie moderne, le tout qu’est le corps social n’est que le résultat de la somme des parties (son identité ne peut donc être que l’addition de celles des parties qui le composent à un moment donné). Les catholiques français sont donc confrontés à ce choix politique : leur catholicisme n’est-il qu’un engagement « moral » individuel ou la nation à laquelle ils appartiennent a-t-elle une identité que le catholicisme a contribué à forger et qui mérite d’être protégée ?

Propos recueillis par Thomas Renaud et Charlotte d’Ornellas. 

La guerre à droite aura bien lieu, Le mouvement dextrogyrede Guillaume Bernard. DDB, Paris, 2016, 19,90 euros.

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ÉlectionsEmmanuel Macronmarine le pen
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