Blagueur, l’ex-président de la SNCF Guillaume Pepy menaçait parfois ses collaborateurs en leur disant : « Si vous vous ennuyez, je démissionne. » On attribue à Clémenceau ce trait d’humour valorisant la prise de décision participative : « Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes, et trois c’est déjà trop. » En 2012, une enquête britannique démontrait qu’aux yeux des salariés, l’humour du chef est plus apprécié que la franchise, la confiance et le respect. Trois ans plus tard, une autre enquête d’Opinionway montre que près de 90 % des Français considèrent l’humour « essentiel » à la vie en société, qu’il rend la vie plus agréable, permet de prendre du recul et d’exprimer des choses difficiles, notamment des injustices.
Bon et mauvais humour
Parce qu’il demande du talent et du discernement, on ne parle pas souvent de l’humour dans les organisations. Il mérite pourtant toute notre attention, tant on lui attribue des vertus positives : il génère un « rafraîchissement mental » (Fry 2002), remet en cause les comportements absurdes, diminue le stress, suscite de la complicité dans une équipe, crée un sentiment de bien-être, dédramatise les situations anxiogènes, permet une prise de recul, suscite l’entente mutuelle… La liste de ses bienfaits est longue.
Mais l’humour n’est pas toujours positif : il peut blesser, dévaloriser un collègue, créer de l’inimitié, éviter une réponse franche en proposant une pirouette, déconcentrer de son objectif : l’humour demande à être manié avec modération et justesse. Et vous, quel humour pratiquez-vous ? L’humour du manager, c’est tout un art :
1Restez naturel, sans ironie
Premier point, rester naturel. On n’est pas obligé de faire rire pour bien manager. On peut se contenter d’aimer rire, d’être chaleureux ou disposé à des moments de détente. L’humour est d’autant plus efficace qu’il est naturel. Un flop peut créer un sentiment de cuisant échec. Rire franchement, c’est se lâcher, montrer qu’on est capable de se laisser surprendre de façon positive. Immanquablement cela crée du lien.
Préférer l’autodérision à l’ironie qui blesse. « Il faut toujours se réserver le droit de rire le lendemain de ses idées de la veille », disait Napoléon. L’ennui avec l’autodérision chez un manager, c’est qu’on peut en rester à une dévalorisation sympathique et consentie avec le sourire. Or le manager doit d’abord rassembler ; s’il peut montrer qu’il n’est pas le prisonnier de sa propre image, il doit surtout fédérer autour de l’action commune. L’autodérision ne détruit pas l’autorité, elle la sert au contraire à partir du moment où chacun ne perd pas de vue qu’une dévalorisation personnelle et comique sert une valorisation commune essentielle. C’est le sens de la petite phrase de Guillaume Pepy.
2Prendre les choses du bon côté
Combattre l’excès de sérieux. Le travail le plus concentré appelle des moments de respiration, le stress a besoin de se décharger, et ceux qui ont avalé leur parapluie sont ridiculement déconnectés de la réalité. Il faut oser rire, sans en abuser. Oser rire libère l’énergie, ainsi que la créativité, le désir et le sens du défi.
Décider de rire. Lionel Belenger raconte qu’un patron aussi froid en apparence que Didier Lombard à la tête de France Télécom, avait l’habitude de se réjouir lorsqu’il entendait une sonnerie de portable en pleine réunion : « L’argent rentre ! », clamait-il à haute voix. On n’a pas nécessairement ce sens de l’humour en situation, mais tout le monde peut décider de prendre les choses du bon côté. Une composante drôle peut être décryptée en toute situation, même la plus agaçante (le téléphone portable en réunion) ou même dramatique. Rappelons-nous Woody Allen dramatiquement drôle : « Confier la terre aux humains c’est comme confier un Western à Woody Allen. »
3Pas de complexe
Cultiver son humour. Les répliques de Winston Churchill, les sketchs de Raymond Devos, les films de Woody Allen, la verve de Desproges, les dialogues de Michel Audiard… sont autant de monuments du rire. Il y en a pour tous les goûts. L’humour est éminemment culturel, l’humour anglais et l’esprit français ont leurs caractéristiques. La proximité de ces œuvres est un remède à la morosité ambiante, une source d’inspiration remarquable, dont l’un des fruits les plus excellents est le combat contre la tentation du désespoir. Churchill luttait contre son black dog (dépression).
Oser. Si vous avez raconté une histoire drôle lors de votre exposé stratégique, et que vous rencontrez un silence cruel, osez une seconde chance. Dites : « C’est dommage que vous n’ayez pas trouvé cela drôle, c’était le seul passage amusant de mon exposé. »
Alors, lâchez-vous et bonne chance !