Le pape François a retenu la thématique de la mission pour son homélie de clôture du Synode des Jeunes 2018, un sujet peu développé par les participants au cours des travaux synodaux, en raison peut-être du contexte de crise traversée par l’Église. Le Pape a ainsi voulu redonner une perspective missionnaire au synode consacré aux « jeunes, la foi et le discernement vocationnel ».
Cette longue réflexion synodale n’a en effet de sens qu’en vue de placer les jeunes catholiques, qui portent le présent et le futur de l’Église, dans une attitude authentiquement évangélique de disciple-missionnaire. À partir de la rencontre de Jésus avec l’aveugle Bartimée (Mc 10, 46-52), François a ainsi donné ce dimanche une magnifique prédication pour les jeunes missionnaires et apprentis-missionnaires dont l’Église a tant besoin ; bien au-delà, elle concerne tous les catholiques mobilisés ou interpellés par la mission. Selon nous, le Pape livre là un de ses plus beaux textes, un texte magistral et synthétique sur l’évangélisation et l’attitude de l’évangélisateur.
L’apostolat de l’écoute
En premier lieu, souligne-t-il, l’écoute est première dans la mission : « L’écoute est l’apostolat de l’oreille : écouter, avant de parler », écouter les pleurs, les détresses, les malheurs, les cris et les questions des hommes quels qu’ils soient, à l’inverse de l’entre-soi religieux, des projets formatés mais finalement fermés à l’imprévu de Dieu. Au contraire, « le cri de celui qui appelle à l’aide n’est pas un dérangement » mais « une question vitale », un impératif pour chacun « d’écouter la vie avec amour, avec patience, comme Dieu le fait avec chacun de nous ». Là est l’attitude incontournable du missionnaire : être attentif à toutes les questions et les cris existentiels qui jaillissent du cœur des hommes et femmes de notre temps, en proie à tant de doutes, de souffrances, de blessures ou d’angoisses.
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En second lieu, le missionnaire est celui qui sait « se faire proche avec un amour de prédilection pour chacun », même au milieu d’une foule nombreuse, en s’intéressant ainsi à ce qui est le plus important, le désir le plus intime, l’aspiration la plus secrète de chacun : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? », dit Jésus à Bartimée. À sa suite, le missionnaire doit faire de même pour que « la foi germe ainsi dans la vie » et au cœur de la vie, comme naturellement. Si au contraire, il s’abrite derrière « des formulations doctrinales ou moralistes, il risque de parler à la tête, sans toucher le cœur » ; ou s’il « se concentre uniquement sur le faire, il risque devenir moraliste et de se réduire au social », alors que « la foi au contraire, c’est vivre l’amour de Dieu qui a changé notre vie, poursuivre l’œuvre de Dieu à la manière de Dieu, dans la proximité ».
Ce message est une constante de la première annonce si chère au Pape mais aussi à tous les grands évangélisateurs catholiques actuels (Prado Flores, Don Piggi, Kiko…) : comme lors de la prédication de Pierre à la Pentecôte, comme pour la rencontre des pèlerins d’Emmaüs avec Jésus, comme pour celle de la Samaritaine au puits de Jacob, cette annonce vise avant tout à transpercer et réjouir le cœur, et non à convaincre par la raison, argumenter ou séduire intellectuellement ou moralement. Or nos pastorales (notamment auprès des jeunes) se sont bien souvent caractérisées pendant deux ou trois générations par le contraire des recommandations du Pape : le cœur a été oublié (et on s’en est même méfié), la raison seule a été sollicitée, ouvrant en cela vers deux dérives idéologiques bien connues, le progressisme et le traditionalisme, avec leurs fruits : la sécularisation de la société et l’hémorragie de l’Église.
Témoins de l’amour qui sauve
Une proximité aimante au cœur de la vie concrète des gens est « l’antidote à la tentation des recettes toutes prêtes » ; c’est une clé de l’évangélisation en dehors de nos cercles ecclésiaux afin « d’étreindre ceux qui ne sont pas des nôtres ». Le Pape exprime que c’est le « secret pour transmettre le noyau de la foi », reprenant ainsi son leitmotiv de l’annonce du kérygme qui doit redevenir le cœur de l’évangélisation, le message le plus important, central et incontournable dans la mission de l’Église (cf. Evangelii gaudium) : être « porteurs d’une vie nouvelle, non des maîtres ou des experts du sacré, mais des témoins de l’amour qui sauve ». Témoins de l’amour qui sauve : tout le reste est secondaire, c’est là un message essentiel à faire entendre et comprendre aux catholiques. La démonstration de cette primauté est faite depuis longtemps par ceux qui appliquent ce principe et voient l’Esprit saint multiplier les fruits missionnaires de leurs initiatives, alors que par ailleurs, il y a tant d’énergie gaspillée pour pas grand-chose quand ce principe est oublié ou méconnu.
Seul le Christ sauve
Ainsi, « témoigner est la troisième étape » selon le Pape, mais dans un sens assez précis : témoigner que seul le Christ « ressuscite le cœur », seul le Christ ose dire « lève-toi pour guérir l’esprit et le corps », seul le Christ « appelle et change la vie de celui qui le suit, en remettant sur pied celui qui est à terre, en portant la lumière dans les ténèbres de la vie ». Face « à tant de monde qui cherche la vie, en trouvant tant de fausses promesses ou si peu de personnes qui s’intéressent à eux, il n’est pas chrétien d’attendre que les frères en recherche frappent à notre porte : nous devons aller vers eux en portant Jésus ».
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Là encore, la mission pour le Pape n’est pas passive, il ne s’agit pas d’attendre chez soi que quelqu’un vienne nous questionner sur notre foi, mais c’est une attitude en « sortie » qui est délibérément active et tournée vers l’annonce, le témoignage vers les gens qui ne connaissent pas l’amour de Dieu et ses œuvres de Salut. Aucun missionnaire n’est là pour déranger les gens, les recruter, les endoctriner mais « Jésus nous envoie, comme ces disciples, pour encourager et relever en son Nom, adresser à chacun un message libérateur de Salut, lui dire : “Dieu te demande de te laisser aimer par Lui”.
Et le Pape de dénoncer toutes les fois où dans l’Église nous n’avons pas annoncé et témoigné des « paroles libératrices du Seigneur » mais plutôt présenté « nos recettes, nos étiquettes, nos idées, nos valeurs ou nos institutions ». Nous nous comportons dans ce cas comme une ONG ou un service public, non comme « la communauté des sauvés qui vivent la joie du Seigneur », non comme l’Église de Jésus-Christ. De la même manière que Jésus dit à Bartimée : « Va, ta foi t’a sauvé », notre premier objectif missionnaire est de conduire à l’expérience du Salut : « C’est la voie directe pour rencontrer Jésus », dit François. Ce Salut, insiste-t-il, n’est ni « dans des idées ou des théories sur Dieu », mais dans le cri vers Jésus, dans la rencontre concrète avec Jésus et ses disciples.
Les attitudes clés du disciple-missionnaire
Ainsi, souligne-t-il, si nous vivons la mission de la sorte et « non avec nos sermons, le témoignage de notre vie sera efficace ». Là encore, le Pape revient à une conviction qui lui est chère depuis le début de son pontificat : alors que traditionnellement, nous nous dédouanons souvent des maigres fruits de nos apostolats et de nos pastorales (en s’abritant derrière des versets-alibis du type : « Autre le semeur, autre le moissonneur »), nous sommes selon lui en grande partie responsables de « l’efficacité » de nos apostolats. S’ils ne portent pas de fruits, c’est le plus souvent parce que nous nous y sommes mal pris (malgré nos désirs de bien faire), nous avons traité de choses périphériques ou dérivé vers des comportements rapportés plus haut et dénoncés par le Pape.
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Ainsi, le Pape met en évidence — comme d’habitude, de manière très directe — les attitudes clés du disciple-missionnaire : savoir écouter, se laisser déranger et bousculer ; se faire proche, comprendre l’attente profonde de chacun ; puis témoigner de l’essentiel, de l’amour de Dieu et du Salut du Christ. Une homélie-programme pourrait-on dire pour la jeunesse catholique missionnaire, et au-delà, pour tous les disciples.