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Qu’est-ce que la vertu ?

MŁODA KOBIETA

Leszek Glasner | Shutterstock

Jean-François Thomas, sj - publié le 09/02/19 - mis à jour le 16/01/23

Depuis les Anciens, la vertu est un guide moral de l’existence. Entre l’équilibre grec ou la virilité romaine, la bonne vertu n’est pas non plus cette hypocrisie aux mains si pures qu’elle n’a plus de mains… Habitude morale ou don de Dieu, qu’est-ce que la vertu ?

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Le mot vertu n’est plus très usité car la pratique des vertus n’est plus la priorité de la plupart des hommes. Pourtant, il apparaît encore dans le langage courant, même si trop daté pour le goût moderne : femme de petite vertu ou homme de vertu. La notion demeure vague. Les plus cultivés sauront encore l’opposer au vice, mais guère plus.

Pourtant, dès la philosophie grecque, avant même le christianisme, l’homme se pose la question de savoir ce qu’elle est et comment elle peut et doit guider toute vie. Il n’est donc pas étonnant de voir se dérouler le cortège des vertus dans les représentations artistiques catholiques dès le Haut Moyen Âge. Pensons à ces vertus éparpillées dans les stalles des moines et des chanoines — notamment à Saint-Bertrand-de-Comminges ou à Amiens — à celles qui ornent les tombeaux — comme celui de François II et de Marguerite de Foix par Michel Colombe dans la cathédrale de Nantes —, à ces peintures exaltant la ou les vertus — ainsi les tableaux du Corrège pour le studiolo d’Isabelle d’Este à Mantoue, etc.

La littérature spirituelle n’a pas été en reste puisque le combat de l’existence est bien celui contre les vices, et donc l’exercice des vertus, comme l’écrit par exemple Evagre le Pontique dans son À Euloge, Les vices opposés aux vertus. La vertu dépasse donc de très loin le sens étroit de chasteté ou de pureté. Elle est la capacité à faire le bien en toutes circonstances et dans tous les domaines.

VERONESE; VICE; VERTU
© Domaine public
L'homme entre le Vice et la Vertu, par Véronèse, avant 1567, The Frick Collection de New York.

Quatre vertus cardinales et trois théologales

Depuis le Moyen Âge, sept vertus ont été codifiées par la théologie scolastique et la doctrine catholique. Ls quatre vertus cardinales héritées d’Aristote, à savoir la justice, la prudence, la force et la tempérance. Et les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité. Nous y reviendrons dans d’autres tribunes. Pour l’instant, essayons de découvrir ce qu’est la vertu en général.

Nulle surprise de savoir que vertu provient du latin virtus, mot dans lequel nous repérons vir — l’homme de sexe masculin. La virilité est normalement la capacité à pratiquer la vertu car elle est discipline, opposée au désordre des Barbares. Le célèbre Caïus Marius, celui qui s’opposera à Sylla au Ier siècle avant Jésus-Christ, homme rustre par ailleurs, est reconnu comme homme de vertu, tant il insista sur cette qualité essentiellement romaine. Cicéron écrira de lui :

« Un homme inculte, mais vraiment un homme ! »

Nous sommes aux antipodes de la vertu grecque, si raffinée et équilibrée, pas encore éclairée certes par la plénitude de la Révélation.

VERTU, PAINTING, CORREGE
© Domaine public
Allégorie de la Vertu, par Corrège, entre 1525 et 1530, Musée du Louvre, Paris.

L’habitus de la modération

Chez Aristote, la vertu est le résultat de la modération. Il distingue les vertus intellectuelles de sagesse, d’intelligence et prudence qui se rattachent à la partie rationnelle de l’âme, des vertus morales qui proviennent de la partie irrationnelle, l’âme désirante, qui est intermédiaire entre la première et l’âme végétative. Elle est capable, grâce à l’éducation, à l’habitus, de suivre la raison et donc de construire l’être humain et de le maintenir sur un juste chemin.

Dans l’Éthique à Nicomaque, il affirme :

« C’est en pratiquant les actions justes que nous devenons justes, les actions modérées que nous devenons modérés. »

La vertu est donc essentiellement hexis, habitude. Elle met de l’ordre dans les trois phénomènes de l’âme que sont les affections, les puissances et les dispositions. Les puissances permettent d’éprouver les affections, c’est-à-dire ce qui produit du plaisir et de la douleur. Et les dispositions nous disent comment nous comporter vis-à-vis de ces affections, en discernant le bien du mal. La vertu sera œuvre de permanence grâce à un choix constant et volontaire. L’excellence sera dans une sorte de juste milieu entre l’excès et le défaut.

La vertu grecque est ainsi recherche d’harmonie, elle est équilibre autant que l’architecture et l’art de cette culture. Chez Platon, reprenant Socrate, la vertu n’est pas d’abord le résultat d’un enseignement. C’est une sorte de grâce, une inspiration divine, comme il le développe dans le Ménon. Nous sommes là sur le seuil de la Révélation.

La perversion de la vertu

Saint Bernard de Clairvaux, cité par saint François de Sales, écrivait que « l’enfer est plein de bonnes volontés ou désirs ». En effet, il ne suffit pas de pratiquer la vertu grecque pour être chrétien. Souvent, sous prétexte de vertu, de poursuite du bien, l’homme fait le mal. Charles Péguy fait dire à Dieu dans une prosopopée dont il a le secret : « Moi qui ne suis pas vertueux… »

En effet, la vertu chrétienne n’est pas celle du Prix de vertu que continue de décerner chaque année l’Académie française depuis sa fondation par le baron de Montyon, vertueux à la manière des Lumières, en 1782. Nous savons ce que sera cette vertu républicaine et révolutionnaire à la Robespierre. Chateaubriand écrira à ce sujet :

« Les conventionnels se piquaient d’être les plus bénins des hommes : bons pères, bons fils, bons maris, ils menaient promener les petits enfants ; ils leurs servaient de nourrice ; ils pleuraient de tendresse à leurs simples jeux ; ils prenaient doucement dans leurs bras ces petits agneaux, afin de leur montrer le dada des charrettes qui conduisaient les victimes au supplice. Ils chantaient la nature, la paix, la pitié, la bienfaisance, la candeur, les vertus domestiques ; ces béats de philanthropie faisaient couper le cou à leurs victimes avec une extrême sensibilité, pour le plus grand bonheur de l’espèce humaine. »

Perversion de la vertu, celle qui conduit à une morale aux mains si pures que ces dernières sont coupées avec les têtes. Tout homme est tenté par cette dérive, surtout s’il se dresse en parangon de vertu. Le Christ, dans son enseignement évangélique, n’a cessé de s’opposer à un tel exercice de la vertu.

RUBENS, VERTU, VICTOIRE
© Domaine public
La Victoire et la Vertu, par Rubens, 1616-1617, Musée Liechtenstein.

La perfection qui opère le bien

Saint Thomas d’Aquin sera celui qui, dans sa Somme théologique, va ordonner la morale autour des vertus cardinales et théologales, après avoir défini ce qu’est la vertu dans la Ia.IIae, q.55. Il reprend celui qu’il nomme « le Philosophe », à savoir Aristote, et affirme clairement que la vertu est un habitus d’action. Elle implique la perfection de la puissance et opère le bien : « Aussi la vertu humaine, qui est un habitus d’action, est-elle un habitus foncièrement bon et qui opère le bien » (q.55, art.3, conclusion). Et il accepte la définition déjà présente dans l’ouvrage de saint Augustin Du libre arbitre, remplaçant simplement « qualité » par habitus.« La vertu est la bonne qualité de l’esprit, qui assure une vie droite, dont nul ne fait mauvais usage, que Dieu opère en nous sans nous » (q.55, art.4, objection 1).

La vertu réside dans les puissances de l’âme (q.56, art.1). Plus loin, il divisera ainsi les vertus :

« D’après ce qui a été dit plus haut, les vertus se partagent en trois genres : théologales, intellectuelles, morales. Les vertus théologales sont celles par lesquelles l’âme humaine est unie à Dieu. Les vertus intellectuelles sont celles par lesquelles la raison est perfectionnée en elle-même. Les vertus morales sont celles par lesquelles l’appétit est perfectionné pour obéir à la raison. Quant aux dons du Saint-Esprit, c’est eux qui rendent toutes les facultés de l’âme capables de se soumettre à la motion divine » (q.68, art.8).

Voilà qui guidera tous les grands esprits, les fidèles laïques comme Montaigne, et les saints évêques comme François de Sales, à l’opposé de la distorsion de la virtù par Machiavel qui en fera un exercice retors, sans lien avec la morale. Richelieu et Colbert auront la sagesse d’effacer du paysage français cette virtù apportée dans les bagages de Marie de Médicis et de Mazarin, une vertu plus artistique et politique que guidant l’homme moral. Ainsi parle-t-on de la « vertu » de Cellini, de Rubens ou de Poussin, mot qui sera ensuite remplacé par « génie ». Ceci pour souligner que la vertu a de multiples visages et qu’il faut toujours préciser de quoi on parle lorsque ce mot est employé. Nous découvrirons bientôt quelles sont ces vertus qui se cachent sous la vertu.

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