“J’ai été chercher ma chance et j’ai en ai eu beaucoup”. Domitille Cauet est professeur de lettres dans la Somme. Derrière son doux sourire se découvre une femme battante. Et une mère aimante. Elle a trois fils : Gabriel, 18 ans, Paul, 14 ans, et Octave, 10 ans. Trois mousquetaires… dont Paul, atteint d’un trouble du spectre autistique, diagnostiqué à l’âge de 7 ans. “Des signaux d’alerte m’avaient été donnés dès la crèche”, raconte la mère de famille à Aleteia. “La confirmation du diagnostic a été un soulagement”, poursuit-elle. En effet, ce “handicap invisible” peut être mal perçu socialement. “On me renvoyait qu’il était mal éduqué”, explique-t-elle. Une fois son handicap identifié, Paul a pu bénéficier d’outils adaptés. “Il a commencé une thérapie comportementale et cognitive, qui consiste à s’appuyer sur les intérêts de l’enfant pour le faire progresser. Cela repose beaucoup sur la régularité et la répétition. Il existe différentes formes d’autisme, avec divers degrés de sévérité. Les enfants autistes ne savent pas apprendre naturellement comme les autres enfants donc il faut les guider et les motiver. Ce qui est certain, c’est qu’ils sont tous capables de progresser. Pour Paul, les difficultés se sont portées au niveau verbal. Ce n’est pas un enfant à l’écart dans sa bulle comme on l’imagine souvent. Il a toujours été en recherche de relations. Il est tactile… de façon parfois presque inappropriée”, raconte-t-elle avec un rire léger. “Le soir, avant de quitter la classe, il fait le tour de ses copains, leur caresse la tête, les prend dans ses bras. Et ils l’acceptent bien”.
Quant à la vie de famille, elle est animée… comme peut l’être celle d’une famille ordinaire. “La maison n’est pas toujours très calme. Paul a des difficultés à s’occuper seul, il recherche beaucoup les interactions avec ses frères. C’est une fratrie où ça se dispute, ça se chamaille, mais en même temps les garçons s’adorent et savent se le dire”.
“C’est à la fois sa beauté et sa fragilité”
Passionné par les chevaux, les métros, les bus, Paul est un adolescent plein de vie qui manifeste très aisément son enthousiasme. “Il est doté d’une forme d’innocence, de pureté et de naïveté qui peut aussi le mettre en danger. Il peut faire confiance à n’importe qui : c’est à la fois sa beauté et sa fragilité”, décrit sa mère. Jusqu’ici, il a eu la chance d’effectuer sa scolarité en milieu ordinaire. “J’avais la conviction que cela l’aiderait plus. Il a eu des enseignantes bienveillantes et a acquis des choses chaque année. Aujourd’hui, il a une vie sociale riche, il est invité à des anniversaires. Au moins, il a sa place parmi les autres, on ne le met pas à l’écart”, note-telle. Elle s’émerveille de son courage et s’amuse de son côté sans filtre : “Il dit les choses telles qu’elles sont. Je vois une certaine forme de vérité dans sa façon d’aborder la vie que je trouve intéressante”.
Trouver du soutien
Pourtant, cette mère de 43 ans ne nie pas les difficultés. “Je consacre beaucoup de temps à le faire travailler donc je passe moins de temps avec mes autres enfants. C’est chronophage. Pour que ce soit efficace, il faut que la démarche embarque toute la famille. Cela nécessite du temps mais nous voyons Paul progresser, donc nous savons que cela sert à quelque chose. Et en même temps, c’est douloureux de sentir que l’on manque de temps pour ses autres enfants”. Elle insiste sur la nécessité de pouvoir s’appuyer sur sa famille et ses amis, de trouver des soutiens extérieurs. “Il a une AVS formidable qui vient à la maison et j’ai une maman qui est très présente. La cellule familiale est extrêmement précieuse”. Elle profite aussi du soutien d’autres parents touchés par l’autisme qui ont fondé une association. “Je connais la solitude dans laquelle on peut être. C’est très important d’échanger avec d’autres parents concernés”.
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“Paul m’a toujours surprise”
Durant l’été 2017, Domitille Cauet a emmené Paul parcourir la Mongolie, un pays qu’elle a elle-même traversé jeune adulte. “L’idée de ce voyage, c’était de vivre un moment mère-enfant avant qu’il ne soit trop grand”. Elle en a tiré un livre intitulé Paul en Mongolie, dont le sous-titre, “L’autisme est un voyage que je n’avais pas prévu”, décrit bien leur réalité. “Paul m’a toujours surprise. Au départ, il y avait beaucoup de défaitisme autour de son avenir par les institutions, les médecins… Il m’a prouvé qu’il n’y a pas de fatalité”. Pour cette amoureuse des lettres, chaque étape franchie par son fils est une fête, aussi humble qu’elle puisse sembler. “À chaque fois qu’il progresse, c’est génial. Toutes nos petites victoires sont belles”, lance-t-elle. “J’ai appris à me réjouir des toutes petites choses. J’ai eu moi-même une scolarité sans problèmes. Et pourtant, le jour où Paul est arrivé à lire une phrase, j’ai eu l’impression d’avoir gravi l’Everest. Le handicap de Paul donne un peu plus d’intensité à la vie, c’est un chemin d’acceptation qui est très personnel car il est lié à mon histoire. J’ai grandi dans un milieu où l’on mettait en avant la réussite intellectuelle. J’ai dû accepter que mon fils ne suive pas ce schéma. Il est intelligent d’une autre façon, il apprend d’une autre manière et je crois que cela a été un chemin d’humilité pour moi”.
Aujourd’hui, l’avenir de Paul reste encore très incertain. “Ce qui fait souffrir, c’est l’absence de perspectives pour l’avenir, de ne pas savoir comment son enfant va être accueilli à l’extérieur, ce qu’il va devenir. Mais au final, chaque enfant est une surprise : on ne sait pas quel adulte il sera”. Elle se bat pour une meilleure acceptation de la différence, notamment dans l’Éducation nationale. “Un grand travail de sensibilisation reste encore à faire. Quand on a face à nous des enfants qui fonctionnent autrement, on rencontre au pire un rejet, au mieux une incapacité à l’accompagner”. Elle évoque ces enseignants qui ont eu l’honnêteté de reconnaître que la différence de Paul les effrayait au départ. “Je crois que sa présence en classe a créé un esprit de plus grande entraide entre les élèves. De nombreux préjugés freinent encore l’inclusion car il existe encore beaucoup de peurs associées au handicap mental. Je pense que la société se portera mieux quand elle pourra avancer là-dessus. La question de la différence, je la vois vraiment comme un défi de fraternité”.
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