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La spiritualité catholique à l’honneur dans la Pléiade

Livre de la Pléiade

Wikimedia Commons

Jules Germain - publié le 16/12/19

Il s’agit d’un véritable événement éditorial : la prestigieuse collection de la Pléiade a décidé de rendre accessibles à ses lecteurs les plus beaux monuments de la spiritualité catholique médiévale. Aleteia est allé à la rencontre de Cédric Giraud, le latiniste, historien maître d’œuvre et traducteur de cette superbe anthologie sans précédent dans l’histoire éditoriale récente.

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Aleteia : C’est la première fois qu’une Pléiade met en avant d’une manière aussi impressionnante la spiritualité médiévale. Quel était votre but en menant ce travail ?
Cédric Giraud : Aujourd’hui, quand un occidental se tourne vers la spiritualité, il se tourne spontanément vers l’Orient ou l’Inde, en oubliant complètement un patrimoine qui pourtant devrait lui appartenir plus directement. C’est contre cet oubli, pour des raisons précisément de patrimoine culturel, que cette Pléiade prend son sens aujourd’hui. Il s’agit de prendre conscience qu’il y a ici un héritage d’une richesse inouïe qui est en train de se perdre. Or, s’il survit, il est réservé à un public ultra spécialisé d’universitaires. Pourtant, il y a une sorte d’honnêteté intellectuelle qui importe de connaître l’existence de ces cathédrales de spiritualité : on sait encore la puissance architecturale que fut le Moyen Âge grâce à ces preuves visibles que sont les cathédrales. Mais on ignore souvent sa profondeur culturelle et intellectuelle, l’incroyable beauté littéraire des textes qu’il a fait naître et qui pour nos contemporains n’existent plus ou ne sont plus lisibles. Le Moyen Âge a pourtant connu une grande pratique de la lecture, de la littérature, et il fallait en rendre compte.

Le rôle donné à la lecture au sein de la vie spirituelle, comme un « art complet de l’intériorité » est-il spécifique à la spiritualité médiévale ?
À partir du XIIe siècle, on entre dans ce que les historiens appellent la « révolution de l’écrit », un moment où la production de manuscrits et de chartes explose dans le contexte d’un renouveau administratif et politique. La vie spirituelle est formalisée sous la forme de textes. L’invention de l’imprimerie au XVe siècle n’est qu’une accélération d’un phénomène qui commence au XIIe siècle. Le livre de spiritualité devient donc un objet important de la spiritualité car l’écrit devient une réalité très présente dans toutes les couches de la société. Le public est de plus en plus alphabétisé, chez les clercs comme chez les laïcs, chez les hommes comme chez les femmes. Il est logique que la spiritualité reflète cette part de plus en plus importante que prend l’écrit dans la vie culturelle de l’Occident. N’oublions pas que l’on apprend à lire à l’époque dans le psautier.

Quel est le lien entre la lecture et la vocation monastique ? Il est frappant de constater dans votre ouvrage que tous les auteurs sont des clercs réguliers, ou bien, dans le cas de Jean Gerson, se sont retirés de la vie diocésaine.
Il existe un lien important, lié d’abord à la place de la lectio divina dans la vie monastique. Avec la Règle de saint Benoît, le moine doit lire tous les jours la Bible. À partir du XIIe siècle, on accorde une place de plus importante à la lecture spirituelle à côté de la lecture de la Bible. Les moines ont de plus en plus de temps pour lire, méditer, contempler. La matrice est toujours la place centrale de la Bible dans la vie du moine et tous ces ouvrages sont des formes de commentaires de la Bible.


JERUSALEM TEMPLE

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Vous parlez dans l’introduction d’une rupture apportée par saint Anselme dans l’histoire de la spiritualité. De quoi s’agit-il ?
Par rapport à la période antérieure du haut Moyen Âge, Anselme inaugure un nouveau genre littéraire qui est le genre de la méditation. Avant, on se servait du psautier pour prier Dieu. Anselme compose des textes qui donnent un tour plus personnel à la prière : on s’approprie les textes bibliques pour formuler une prière. C’est le genre de la méditation dans lequel la subjectivité occupe une place plus grande. Ce genre littéraire accueille les nouveautés spirituelles de l’époque : le développement du culte de la croix, puis du culte de l’eucharistie. C’est une mutation très importante : l’idée d’un écrivain qui, en disant « je » compose un recueil de prières, et construit un rapport intime et personnel à Dieu.

On voit le Moyen Âge comme un bloc dans lequel les individus n’ont pas de personnalité, et la subjectivité comme étant née à la Renaissance. Ces ouvrages montrent pourtant que c’est faux.
C’est effectivement contre ce récit, qui date du XIXe siècle, que les historiens plus récents ont montré que le XIIe siècle pouvait être considéré comme le moment de la naissance de l’individu et de la subjectivité et de la découverte de l’intériorité, notamment avec la mise en place de la confession sacramentelle. On passe d’une confession collective à une confession individuelle. Chacun est appelé à évaluer ses fautes, ce qui conduit les fidèles à développer leur intériorité. Le concile de Latran IV en 1215 pose l’obligation pour chaque fidèle de se confesser une fois par an au moins à un prêtre et l’obligation de la communion au temps pascal annuel. Les deux vont alors ensemble. On perçoit cela très bien avec le texte d’Anselme : il dit « je » mais c’est un « je » générique. C’est un « je » que tout le monde doit pouvoir s’approprier, un « je » en communion avec les vivants et les morts.

Concernant le choix des textes, vous expliquez être parti de listes de lecture recommandées. En prenant des lectures prescrites par les pères abbés, n’aviez-vous pas peur d’une trop grande restriction ?
Je me suis assuré que les textes prescrits avaient été lus au-delà des cercles cléricaux pour montrer qu’ils étaient aussi représentatifs du goût des laïcs. Pour certains textes comme le pseudo-Augustin, on conserve encore 600 manuscrits : le texte était partout. Dans les inventaires après décès du XVe siècle, on trouve au moins l’un de ces textes même chez des gens qui n’ont qu’une dizaine de livres. Mon but était de rassembler les textes les plus beaux et les plus lus. J’ai voulu montrer que ces auteurs étaient directement accessibles car la langue dans laquelle ils s’expriment est belle et émouvante, y compris pour le lecteur contemporain.


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Quelle place pour l’émotion ?
Ces textes répondent à une aspiration de subjectivité, de quête d’émotion. En même temps, on sent que cette recherche est cadrée et que le lecteur est éclairé par une pédagogie des émotions qui les met au service de la charité. Ce n’est pas une seule petite musique, c’est une polyphonie. Il y a un drame, une relation vivante, une relation très personnelle. Ces textes peuvent être un véritable ressourcement, et la tension dramatique les rend très accessibles au lecteur contemporain. C’est pour cette raison essentielle que nous avons voulu les rendre à nouveau accessibles au plus grand nombre.

Ecrits spirituels du Moyen Age
Gallimard

Écrits spirituels du Moyen Âge, Édition et trad. du latin par Cédric Giraud, Collection Bibliothèque de la Pléiade (n° 643), Gallimard, 2019, 58,00 euros.

Tags:
BibleChrétienslitteraturemoyen ageoccidentReligieuxSaint Augustin
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