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Jean Vanier ou les ravages de la fausse mystique dans l’accompagnement spirituel

JEAN VANIER

Vanier Kotukaran | CC BY SA 3.0

Damien Le Guay - publié le 03/03/20

Parmi les abus sexuels commis dans l’Église et dernièrement mis à jour, figurent d’abord des perversions spirituelles.

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Dans les révélations faites par l’Arche sur les agissements de Jean Vanier, un aspect mérite toute notre attention : la « fausse mystique » qui était la sienne, selon le terme employé par Stephan Posner, responsable de l’Arche. Celle-ci justifiait à ses yeux ses agissements déviants. Cette fausse mystique était aussi celle de son mentor religieux, Thomas Philippe, et du frère de ce dernier, Marie-Dominique Philippe, qui ont, chacun de leur côté et ensemble, perverti l’habit de prêtre qu’ils portaient et abusé du rôle de « père spirituel » qui était le leur pour imposer des relations sexuelles sous emprise et sous contrainte. 

Le lien entre abus spirituel et abus sexuel

Si nous nous limitons à l’indignation (et elle est nécessaire devant une telle accumulation de scandales internes), si nous nous contentons d’explications psychologiques ou psychiatriques (et elles sont une partie du problème), nous passerons à côté de l’essentiel : le lien direct entre l’abus spirituel et l’abus sexuel. Les prédateurs sexuels œuvrent dans les structures d’Église sur des âmes innocentes assoiffées de Dieu. Ils n’agissent pas en-dehors, dans les marges des sexualités impossibles, mais, au contraire, au cœur de leurs missions religieuses.


JEAN VANIER

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Plutôt que d’aller au bois de Boulogne, ils confessent, dirigent les consciences pour mieux les contorsionner jusqu’à leurs perversités. Ils profitent de leurs ascendants religieux, de leurs positions de surplomb de fondateur et/ou de prêtre et de « père spirituel » pour non seulement pratiquer leurs viols de conscience, d’innocence, de fraîcheur d’âme et de corps et d’esprit, mais aussi pour les justifier au nom de la religion. Sophie Ducrey (auteur d’un récit personnel, Étouffée, éd. Tallandier), dit bien que l’abuseur (pour elle, de la communauté Saint Jean) devait tout justifier (à savoir des demandes sexuelles) en termes mystiques et religieux. Et même, ajoute-t-elle, le même pouvait, juste après avoir demandé une masturbation, célébrer la messe pour mieux « effacer » son péché. 

User de Dieu pour s’exonérer

Il nous faut considérer d’une part ce système de poupée russe de la perversité et d’autre part les « justifications » mises en avant par les prédateurs. Non seulement cette corruption d’âme est partie prenante de la corruption des corps, mais, de plus, il leur faut s’exonérer, à leurs propres yeux, de toute « faute » — pour ne pas dire « péché ». Double perversion du discours religieux : il justifie l’injustifiable et l’innocente même. On comprend mieux alors pourquoi la perversion sexuelle vient tout au long du processus pervertir le discours religieux. Il faut l’emprise spirituelle sur une âme innocente pour la corrompre ; il faut la puissance du secret religieux et l’initiation aux mystères de Dieu pour conduire à cette sidération muette des victimes ; il faut le pouvoir de la grâce de Dieu pour tout effacer. Cet usage de Dieu à des fins d’humanité diabolique tient le pervers dans l’illusion d’une justification divine, d’une « relation spéciale » qui est au-delà des règles morales. 

Une perversion d’abord spirituelle

Ainsi, pour Thomas Philippe, il était indiqué, par la lettre de L’Arche de mars 2015, que celui-ci avait eu des « agissements sexuels […] par lesquels il disait rechercher et communiquer une expérience mystique ». Et déjà, en 1956, quand il fut condamné à la déposition par le Vatican, il était déjà question de ces déviances sexuelles et de justifications spirituelles indéfendables. Une victime du dominicain Thomas Philippe raconte en 1952 dans un Rapport de synthèse (RdeS), qu’il « a commencé des théories, pour essayer de me convaincre […] : la femme perdue d’Osée… la transcendance de la mission prophétique (de sa mission) par rapport aux normes de la morale ». Et lui d’ajouter : « Les organes sexuels [sont] le symbole du plus grand amour beaucoup plus que le Sacré-Cœur ». La jeune innocente, dans un cri du cœur, rétorquait qu’il y avait là un blasphème. Et le dominicain de riposter, avec l’autorité du théologien : « Quand on arrive à l’amour parfait, tout est licite, car il n’y plus de péché ».




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La perversion est d’abord spirituelle. La victime doit consentir. Le viol devient « relation spéciale ». La morale s’efface au profit de la « mission ». Ce gloubi-boulga mystico-délirant mérite tout à la fois les rigueurs de la loi pour viol, et un procès inquisitorial (comme au temps de l’inquisiteur Bernard Gui) pour usage frauduleux à son seul profit sexuel du discours religieux, pour théologie déviante et corruption des âmes. Le procès canonique, terminé en 1956 (cf. RdeS, p. 9), condamnait Thomas Philippe, lui interdisait de célébrer et d’avoir une quelconque direction spirituelle. Mais il est resté caché. Or, l’étrange (pour ne pas dire coupable) goût du secret des procès canoniques a permis à la plupart des gens de tout ignorer de ce procès et de ses raisons. Ainsi, dans un certain flou, Jean Vanier a été complice d’une direction en sous-main de l’Eau-Vive par Thomas Philippe — ce qui était interdit par Rome qui avait prévenu Jean Vanier de cette interdiction. Ainsi, pendant trente ans, le dominicain a pu reprendre ses pratiques perverses jusqu’à la fin de sa vie, en toute impunité. 

Le même système de justification

Jean Vanier, qui avait été choisi par Thomas Philippe (devenu son père spirituel et le référent religieux de la communauté de L’Arche), a repris le même système de justification. Ainsi, L’Arche porte à la connaissance de tous les témoignages des femmes abusées par lui. Elles rendent compte de cette « justification » quand « l’accompagnement spirituel s’est transformé en toucher sexuel » et que ce dernier, disait Jean Vanier, « faisait partie de l’accompagnement ». Une autre ajoute cette phrase de Jean Vanier : « Ce n’est pas nous, c’est Marie et Jésus. Tu es choisie, tu es spéciale. C’est un secret ». Une autre de redire les mots que Jean Vanier lui disait : « c’est Jésus qui t’aime à travers moi » (RdeS, p. 6). Nous retrouvons là le même système d’auto-justification religieux.  

Des chantiers à reprendre

Il y là des chantiers à reprendre, des discours à déconstruire, des « justifications » considérées comme des folies psychiatriques et des crimes théologiques — avec cet entêtant parfum d’hérésie, de gnose et d’hypocrite casuistique. Ainsi, sur ce tout dernier point, toutes les femmes disent qu’il n’y avait pas de pénétration — et donc de « relations sexuelles » (en réalité, il y avait souvent fellation, donc pénétration sexuelle). Pour tourner la page, encore faut-il oser aborder la question de l’emprise spirituelle dans l’Église, à travers ses outils et ses discours. En-dehors des cas de perversion, les outils sont toujours à manier avec prudence, et les discours avec le plus grand respect des personnes et la plus grande considération pour l’intégrité des corps.


1. Indiqué dans Rapport de Synthèse, l’Arche internationale, 22 février 2020, p. 8 (désormais « RdeS »).
2. J’ai tenté de prendre au sérieux ce « parfum de gnose » dans les « justifications » des prédateurs religieux dans un récent article repris par la Documentation catholique : Damien Le Guay, « Les affaires sexuelles dans l’Église, une mauvaise affaire de gnose », in revue Prêtres diocésains, déc. 2019.

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