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Faut-il laisser les morts enterrer les morts ?

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Bruno Valentin

Bruno Valentin - publié le 31/03/20

Les restrictions mises à la célébration des obsèques seront la source de blessures profondes. Mais il n’est jamais trop tard, nous dit Mgr Valentin : dès aujourd’hui, nous pouvons faire œuvre de vie pour les défunts en nous unissant à la prière d’intercession de toute l’Église.

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Le père Marc allait avoir 75 ans, l’âge de la retraite pour les prêtres, en tout cas celle des responsabilités de premier plan. Mais le père Marc, lui, tenait plus que tout à être prolongé encore un an dans sa charge de curé, afin de pouvoir célébrer ses cinquante ans de sacerdoce en pleine activité, comme sa santé lui permettait de l’envisager. La semaine dernière, le père Marc est décédé, victime lui-aussi du Covid-19, après donc quarante-neuf ans seulement de sacerdoce dont trente-deux comme curé de différentes paroisses des Yvelines.

Obsèques confinées

Au bout de trente-deux années passées à prendre soin de ses paroissiens, il ne semblait pas abusif, même en temps de confinement, d’imaginer que deux d’entre eux puissent l’accompagner pour ses obsèques, dans le département voisin où se trouve le lieu de sa sépulture familiale. J’ai donc sollicité en ce sens la préfecture : refus contrit, mais ferme. Le cadre réglementaire en vigueur est très clair : seule la famille proche est autorisée à se rendre aux obsèques, dans la limite de vingt personnes maximum. J’ai donc célébré les obsèques du Père Marc avec les six membres de sa famille ayant pu faire la route, entouré quand-même de deux confrères prêtres du diocèse autorisés à représenter tous les autres « au titre des déplacements professionnels ne pouvant être différés »…




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Cet enterrement aura finalement ressemblé à celui de milliers d’autres défunts, aujourd’hui, en France. Quelques jours plus tôt, un autre prêtre de notre diocèse a célébré les obsèques de son papa, seul dans l’église, face au cercueil.

Depuis que l’homme est homme

La crise sanitaire exceptionnelle dans laquelle nous sommes plongés aura des conséquences multiples, que pour l’essentiel nous ne mesurons pas encore. Mais déjà, il apparaît clairement que les restrictions mises à la célébration des obsèques seront la source de blessures profondes. Il y a la peine, la colère, voire l’incompréhension du moment. Et puis il y a la mémoire durablement perturbée par le fait de n’avoir pas pu être là pour un dernier adieu, pire encore quand il n’y aura pas eu d’adieu du tout, faute de possibilité de célébrer quelque rite que ce soit. Car les restrictions s’amoncellent bien souvent les unes sur les autres, créant confusion et inégalités de traitement : au cadre déjà rigoureux fixé par les pouvoirs publics s’ajoutent ici des contraintes logistiques, là des précautions sanitaires, et ici ou là des marges supplémentaires prises au nom du principe de précaution.

De nombreuses voix s’élèvent déjà pour dire la gravité de ce qui est en jeu : psychologues, psychiatres, sociologues ou anthropologues multiplient les chroniques pour rappeler que les rites funéraires existent depuis que l’homme est homme, qu’ils sont un élément déterminant du deuil, et qu’ils ne sauraient être réduits à un simple paramètre administrativo-sanitaire sans provoquer de lourds dégâts.

« Honore ton père et ta mère »

La Bible ne dit pas moins, qui fait des soins dus aux morts un devoir sacré, plus encore vis-à-vis de ses propres parents, pour lesquels il s’agit d’un prolongement explicite du commandement « Honore ton père et ta mère » (Ex 20, 12), cinquième commandement du décalogue et premier de tous à être assorti d’une promesse comme le relève déjà saint Paul : « Ainsi tu seras heureux et tu auras longue vie sur la terre » (Eph 6, 2-3).

Dans la grande galerie des hautes figures bibliques, le vieux Tobit est certainement celui qui incarne le mieux cet impératif, au point de tenir sa réputation de justice d’abord de son attachement à enterrer dignement les morts, quoi qu’il lui en coûte : bravant l’interdit du roi d’Assyrie Sennacherib, comme les moqueries de ses voisins, il ne craint pas de risquer sa vie pour donner une sépulture à tout cadavre laissé à l’abandon qu’on lui signale (cf Tb 1-2).




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Par la suite, la Tradition de l’Église inscrira l’ensevelissement des morts au nombre des sept Œuvres de Miséricorde corporelles, en symétrie à la septième des Œuvres de Miséricorde spirituelles consistant à prier pour les vivants et les morts. Le pape Benoit XVI, dans son encyclique Spe salvi, n’hésite pas à voir dans cette prière en particulier « un élément important du concept chrétien d’espérance : Notre espérance est toujours essentiellement aussi espérance pour les autres ; c’est seulement ainsi qu’elle est vraiment espérance pour moi » (n. 48).

« Laisse les morts enterrer les morts »

Une voix, dans ce concert unanime, semble a priori dissonante : c’est celle de Jésus lui-même. « Un autre de ses disciples lui dit : “Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père.” Jésus lui dit : « Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts » (Mt 8, 21-22). La réponse est rude ! Mon préfet, lui au moins, s’est dit désolé de ne pas pouvoir autoriser la venue des paroissiens aux obsèques du Père Marc…

Origène, déjà, a tenté d’éclairer cette prise de position a priori inhumaine en disant que « Jésus n’empêche pas d’ensevelir les morts, mais il préfère celui qui fait vivre les hommes ». Faire vivre est plus important encore que d’enterrer. Il n’est donc pas illégitime de devoir y renoncer, si c’est pour protéger la vie, en commençant par la santé de tous.

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Bruno Valentin

L’horizon dans lequel s’inscrit la parole de Jésus n’est pas d’abord sanitaire, loin s’en faut. Dans la version que donne Luc de ce même dialogue, Jésus précise : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu » (Lc 9, 60). Il ouvre ainsi un au-delà de vie : au-delà du devoir pourtant indépassable d’enterrer les morts se trouve un horizon ultime qui est celui des exigences du Royaume. Plus absolu encore que le devoir de déposer dignement les morts en terre est celui de les engendrer à la vie de Dieu. Le fait de ne pouvoir accomplir le premier comme nous le souhaiterions ne nous empêche donc pas de réaliser le second. Comment ?

Il n’est jamais trop tard

D’abord en s’en remettant à la maternité de l’Église : c’est l’Église toute entière qui est faite pour engendrer les hommes et les femmes à la vie de Dieu. Telle est sa raison d’être, son rôle, tout au long de notre existence. La symétrie des rites entre le baptême et les funérailles est là pour nous le rappeler : le signe de l’eau, de la lumière ou de la croix veulent dire que l’Église, en priant pour les défunts, les accouche à la vie éternelle dans laquelle elle les a fait naître par le baptême. Il n’est pas nécessaire d’être même vingt présents à des obsèques pour que cette œuvre de vie s’accomplisse : « En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt 18, 20) nous promet celui qui est Le Vivant (cf. Ap 1, 18).

Cette œuvre, du reste, échappe aux contraintes du temps comme de l’espace. La communion des saints se moque du confinement ! C’est encore le pape Benoît XVI qui le dit : « Nos existences sont en profonde communion entre elles, elles sont reliées l’une à l’autre au moyen de multiples interactions. Nul ne vit seul. Nul ne pèche seul. Nul n’est sauvé seul. Continuellement la vie des autres entre dans ma vie : en ce que je pense, je dis, je fais, je réalise. Et vice versa, ma vie entre dans celle des autres : dans le mal comme dans le bien. Ainsi mon intercession pour quelqu’un n’est pas du tout quelque chose qui lui est étranger, extérieur, pas même après la mort. Dans l’interrelation de l’être, le remerciement que je lui adresse, ma prière pour lui peuvent signifier une petite étape de sa purification. Et avec cela il n’y a pas besoin de convertir le temps terrestre en temps de Dieu : dans la communion des âmes le simple temps terrestre est dépassé. Il n’est jamais trop tard pour toucher le cœur de l’autre et ce n’est jamais inutile » (n. 48).


SAINT THOMAS AQUIN

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Il n’est jamais trop tard : dès aujourd’hui, je peux faire œuvre de vie pour les défunts, les miens mais aussi tous ceux auxquels personne ne pense, en m’unissant, là où je suis, à la prière d’intercession pour eux qui est celle de toute l’Église. Demain, lorsque prendra fin le temps du confinement, il sera temps encore de se réunir pour porter leur mémoire dans le mémorial de l’Eucharistie. Non, il n’est jamais trop tard.

Regarde l’Étoile

Aujourd’hui comme demain, nous trouvons en Marie un appui sûr de notre espérance, pour nous qui ramons dans la tempête comme pour nos défunts parvenus au bout du voyage (Spe salvi, 49) :

Ave maris stella. La vie humaine est un chemin. Vers quelle fin ? Comment en trouvons-nous la route ? La vie est comme un voyage sur la mer de l’histoire, souvent obscur et dans l’orage, un voyage dans lequel nous scrutons les astres qui nous indiquent la route. Les vraies étoiles de notre vie sont les personnes qui ont su vivre dans la droiture. Elles sont des lumières d’espérance. Certes, Jésus Christ est la lumière par antonomase, le soleil qui se lève sur toutes les ténèbres de l’histoire. Mais pour arriver jusqu’à Lui nous avons besoin aussi de lumières proches — de personnes qui donnent une lumière en la tirant de sa lumière et qui offrent ainsi une orientation pour notre traversée. Et quelle personne pourrait plus que Marie être pour nous l’étoile de l’espérance ?

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