Dans l’évangile du cinquième dimanche de Pâques, Jésus se présente comme « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6). C’est là une affirmation assez paradoxale. Généralement, nous pensons qu’un chemin est fait pour mener à un endroit précis, et qu’ainsi, il ne peut pas se confondre avec le point d’arrivée. Or Jésus semble bouleverser notre représentation de l’espace. En se proclamant à la fois le chemin, la vérité et la vie, il brouille en effet notre façon de concevoir ces trois notions. Pour nous, un chemin qui mène à la vie, et à une vie qui est elle-même la vérité, est forcément différent des deux réalités auxquelles il conduit. Pourtant, à rebours de notre façon de penser, l’affirmation de Jésus sur lui-même laisse entendre que le chemin est déjà la vie et la vérité !
En fait, soutenir que le chemin est à la fois la vérité et la vie, découle de la nature hors norme de la réalité dont parle Jésus dans ce passage. Car cette réalité, c’est tout simplement Dieu ! La Vérité et la Vie constituent deux faces de la réalité divine. Aussi, le Chemin, mis sur le même plan que les deux autres dénominations, fait-il lui aussi partie de la même réalité. Mais pourquoi Dieu, à l’opposé de nos représentations spatiales ordinaires, est-il simultanément le chemin et le terme vers lequel celui-là nous dirige, à la fois le mouvement et le repos, le moyen et la fin ?
Seul l’infini peut conduire à l’infini
Si Dieu est le moyen pour accéder au terme de la quête spirituelle qu’Il est Lui-même, cela tient à Sa nature infinie. Dieu n’a ni commencement ni fin. Il est incommensurable, c’est-à-dire que personne n’est capable de Le mesurer. Aucune réalité créée, pas même les créatures spirituelles les plus pures, ne sont en mesure de Le com-prendre, d’en faire le tour. Aucune d’entre elles ne peut donc nous conduire à Lui. Seul Lui-même en a les moyens. Seul Dieu peut conduire à Dieu. C’est la raison pour laquelle Il n’est pas seulement la vérité et la vie éternelle, Il est aussi le chemin qui nous y mène !
Cependant, aucun chemin ne peut prétendre pouvoir s’identifier à Dieu, excepté Jésus-Christ. Lui seul est le point de départ et le point d’arrivée…
De plus, l’infini divin ne se condense dans l’extrémité de son infinité puisqu’Il ne possède pas d’extrémité justement ! N’ayant ni confins ni rivages, Dieu Se manifeste où bon Lui plaît ! Il ne faut pas comprendre son infinitude selon nos critères de grandeur. Dieu est aussi présent en intensité qu’en extensivité. Bref, Il est partout ! Voilà pourquoi Il peut Se trouver sur le Chemin qui conduit à Lui. Le chemin divin, par exemple la beauté d’une fleur ou la bonté d’un homme ou d’une femme, possède souvent des caractéristiques communes au terme qu’Il constitue Lui-même ! Cependant, aucun chemin ne peut prétendre pouvoir s’identifier à Dieu, excepté Jésus-Christ. Lui seul est le point de départ et le point d’arrivée, le rivage et l’horizon, le moyen et le terme de notre quête spirituelle de la réalité suprême.
Jésus-Christ médiateur
Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie parce que pour aller à l’infini divin, nous avons besoin d’un intermédiaire, d’un médiateur, de quelqu’un qui soit des deux côtés des pôles que l’Alliance met en communication. L’union du Ciel et de la terre requiert une personne qui soit simultanément Dieu et homme. Un simple homme, rivé à notre condition, pourra bien révéler des informations sur Dieu, jamais il ne sera en mesure de nous mener jusqu’à Lui, et encore moins nous dispenser Sa Vie. Car seul l’infini est capable de mener à l’infini.
Enfin, Jésus est chemin, vérité et vie parce que le christianisme, religion des médiations, nous demande de passer par l’homme pour arriver à Dieu.
Telle est l’une des raisons du mystère de l’Incarnation, du Verbe fait chair. Si, dans les apparitions pascales, Jésus est à la fois différent de ce qu’il était quand il était sur terre, et le même, Jésus de Nazareth, n’est-ce pas pour signifier qu’il est le chemin en tant qu’homme mis au tombeau trois jours auparavant, et en même temps le terme de notre foi, de notre quête de l’infini, parce qu’il vit désormais dans une condition différente de la nôtre ? A Pâques, ses disciples finissent par reconnaître le Ressuscité : c’est Jésus avec qui ils ont cheminé sur les routes de Palestine, cet homme par lequel ils doivent passer pour rejoindre la maison du Père. Cependant, dans un premier temps, ils ne l’ont pas reconnu parce que le Ressuscité vient du monde de Dieu : pour cette raison, il est également la Vérité et la Vie divines.
Enfin, Jésus est chemin, vérité et vie parce que le christianisme, religion des médiations, nous demande de passer par l’homme pour arriver à Dieu. Saint Augustin le disait : « Passe par l’homme et tu parviens à Dieu. C’est par lui que tu vas et à lui que tu aboutis. Ne va pas chercher ailleurs une autre route pour aller à lui en dehors de lui » (Sermon 141).
Jésus ne dédaigne pas les bonnes volontés
La vie spirituelle est faite de viatiques, de signes à suivre qui nous empêchent de nous immobiliser dans notre quête du Seigneur. La foi est une pâque vers une réalité toujours plus grande. En se qualifiant de chemin, Jésus tient de la sorte à honorer les bonnes volontés qui, si elles n’ont pas toujours le bagage doctrinal adéquat, les belles manières et les codes de nos assemblées, sont pourtant prêtes à le suivre. Comme le disait encore saint Augustin dans le même sermon : « Il vaut mieux boîter sur la route que d’avancer hors de la route. »
Faire le premier pas, s’engager sur le chemin, se risquer à une première tentative d’approche du mystère du Christ, même si c’est dans l’obscurité et à tâtons, c’est déjà être dans la vérité, et recevoir les premiers acomptes de la vie divine. Dieu est présent dans les balbutiements de nos recherches. Chercher le bien et la paix, c’est déjà avoir trouvé Dieu. Mais nous sommes encore loin d’avoir fini d’arpenter le chemin pour la bonne raison qu’il est aussi éternel que l’arrivée vers laquelle il nous entraîne !
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