Si loin que nous remontions dans l’histoire de l’Église, nous trouvons des communautés chrétiennes variées (Corinthe n’est pas Jérusalem) mais aussi structurées et reliées les unes aux autres. C’est dans ce cadre-là que s’élaborent les quatre évangiles, à partir de témoignages directs. Dans ces évangiles, le choix des apôtres, leur formation, les consignes laissées par Jésus pour l’avenir, les conseils sur la conduite à tenir face aux difficultés internes et externes tiennent une place considérable.
Jésus n’est pas seulement un prédicateur itinérant. Comme Moïse l’a fait pour le peuple d’Israël, il met en place une nouvelle institution, fondée sur les apôtres. Elle se reconnaît non seulement dans une même profession de foi, mais aussi dans des rites comme le baptême et l’eucharistie. “Le Christ a annoncé le Royaume, mais c’est l’Église qui est venue” : cette phrase de Loisy (1902) est citée habituellement comme une condamnation de l’Église qui n’aurait rien à voir avec le message primitif. Au contraire, sous la plume de Loisy, c’est un éloge : l’annonce du Royaume n’a pas été sans lendemain, même si les trois petites années du ministère de Jésus restent inimitables.
La première place
Dans le groupe des apôtres, Pierre tient toujours la première place, quels que soient les textes qui le rapportent. Le Nouveau Testament comporte à plusieurs reprises la liste des Douze : Pierre est toujours cité en tête. Matthieu insiste : “Le premier, Simon”. C’est de là que vient l’expression “prince” des apôtres. Sa place est tellement originale que Jésus a changé son nom : de “Simon”, il est devenu “Pierre” pour que Jésus puisse dire que sur cette “pierre” il bâtirait son Église.
“Affermir ses frères, veiller à l’unité, ce sont deux missions essentielles du pape, successeur de Pierre.”
Les évangiles insistent tout autant sur la foi de Pierre que sur ses faiblesses. Mais sa foi lui vient de ce que le Père lui a révélé et le Christ a prié pour que sa foi ne défaille pas. Pierre, dans la nuit du Jeudi saint reniera le Christ, mais il pleurera sur son péché. Il peut alors accomplir la mission confiée par Jésus : “Quand tu seras revenu, affermis tes frères”. Au matin de Pâques, Pierre est le premier à pénétrer dans le tombeau vide. Après la pêche de 153 gros poissons, c’est Pierre qui tire le filet : “Et le filet ne se déchira pas”. Affermir ses frères, veiller à l’unité, ce sont deux missions essentielles du pape, successeur de Pierre. À la Pentecôte, c’est Pierre qui, le premier, au grand jour, proclame : “Le Christ est ressuscité”.
Peu d’années après, le Christ suscite un nouvel apôtre, unique en son genre : saint Paul. Paul se heurtera à Pierre sur des questions qu’il juge décisives. Il veut le convaincre parce qu’il sait que, s’il se sépare de Pierre, il courra en vain. La génération des apôtres a quelque chose d’unique : avoir été les témoins directs des événements. Mais comme Jésus les a appelés, eux-mêmes à leur tour en appellent d’autres pour que, par l’imposition de leurs mains, ils reçoivent l’Esprit saint et poursuivent la mission. Au moment de la rédaction finale des évangiles, Pierre est déjà mort, martyr, à Rome : quel intérêt les évangiles auraient-ils eu à mettre Pierre tellement en valeur si ce n’est parce que la mission de Pierre se poursuivait ?
Une primauté incontestée à l’origine
Pendant des siècles, la primauté du siège de Rome n’est pas contestée, même si son exercice est bien différent de celui des temps modernes. Elle est un critère de catholicité : une communauté ne peut se dire “catholique” si elle n’est pas en communion avec le successeur de Pierre.
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Saint Clément, un des premiers successeurs de Pierre, meurt avant la fin du 1er siècle. Il intervient dans un conflit qui déchire la communauté de Corinthe : non seulement il écrit une lettre, mais il envoie des messagers pour régler le problème. Ce fait est d’autant plus intéressant que la communauté de Corinthe avait été fondée par saint Paul. Saint Clément se reconnaissait donc une certaine responsabilité par rapport à une communauté qui aurait pu lui répondre qu’elle n’avait pas de compte à lui rendre.
Au IIe siècle, saint Ignace d’Antioche parle de Rome comme celle qui “préside à la charité” et saint Irénée lui attribue un rôle particulier dans les questions doctrinales : “Avec cette Église, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église, c’est-à-dire les fidèles de partout, elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres”. À partir du IVe siècle, les premiers conciles traiteront de graves problèmes théologiques qui agitent les communautés orientales. De ce fait, Rome y intervient peu, si ce n’est par des légats ou en reconnaissant a posteriori les conclusions. Mais au quatrième concile œcuménique (Chalcédoine 451), c’est une lettre du pape Léon le Grand qui est ratifiée comme exprimant la foi catholique.
Les premières crises
Cependant, des crises existent dès le premier millénaire. Les conciles œcuméniques n’ont pas été acceptés par toutes les communautés orientales. Ainsi certaines Églises se sont trouvées indirectement en rupture avec Rome – principalement les Églises arménienne et copte.
Depuis la chute de Rome entre les mains des Barbares en 410, le centre de l’Empire “romain” se trouvait à Byzance, devenue “Constantinople”. Au plan de l’Église, que devenait le statut de Rome par rapport à Constantinople ? Des tensions, des incompréhensions aboutirent parfois à des ruptures temporaires. Celle de 1054 aurait pu n’être pas plus grave ; mais elle dure depuis près de mille ans, malgré de grands efforts de rapprochement entrepris depuis un demi-siècle. La primauté du successeur de Pierre fait partie des désaccords qui demeurent : est-elle seulement une “primauté d’honneur” ?
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La papauté au temps de Luther n’était certes pas au-dessus de tout soupçon. Mais le premier grand réformateur s’en prit au pape avec une violence (verbale) inouïe, le considérant comme l’Antéchrist. La tradition protestante ne reconnaît pas le sacrement de l’ordre : le seul sacerdoce est celui des fidèles. À plus forte raison, la tradition protestante ne peut pas reconnaître l’autorité suprême d’un quelconque chrétien, fût-il le successeur de Pierre.
Rouvrir la discussion
Le mouvement de l’Histoire a provoqué le renforcement et l’extension de la primauté pontificale qui s’est muée en centralisme romain. Avec le dogme de l’infaillibilité pontificale (1870), certains se demandaient s’il était désormais nécessaire de convoquer des synodes ou des conciles. Avec Vatican II, la preuve a été faite qu’un concile était possible. Même si leur fonctionnement n’est pas parfait, des organes collégiaux se réunissent à Rome et une certaine autorité est reconnue aux instances locales, comme les conférences épiscopales nationales. Le pape Jean Paul II a lui-même demandé à tous de réfléchir à la manière d’exercer à l’avenir la primauté.
Du côté orthodoxe, certains s’aperçoivent que la reconnaissance d’une simple “primauté d’honneur” est trop faible, ne rend pas compte de l’histoire du premier millénaire et est peut-être infidèle à la volonté du Christ. Cette ouverture est présente dans l’esprit de l’actuel patriarche de Constantinople. Mais elle est certainement encore très minoritaire dans le monde orthodoxe. Du côté protestant, pour beaucoup, la primauté du successeur de Pierre est une affaire qui ne les concerne pas et qui n’a pas tellement d’importance. Pour ceux-là, suffit la profession de foi commune : “Christ est ressuscité”. Il n’est pas besoin de rechercher une autre unité, plus visible. Sans doute, certains continuent-ils d’être très irrités par tout ce qui porte la marque romaine. Il y a des mots comme “indulgence” qui font resurgir les vieilles colères. D’autres enfin, en dialogue avec des catholiques ou d’autres chrétiens, acceptent de rouvrir le dossier. À l’ère de la mondialisation, la possibilité donnée par le Christ de se référer au successeur de Pierre n’est-elle pas providentielle ?
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