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Pourquoi est-il si difficile d’accepter la vérité ?

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Robin Galhac - publié le 10/09/20

La vérité est une épreuve car elle dévoile nos limites, nos mensonges et notre ignorance. Sa recherche peut constituer une épreuve d'autant plus redoutable qu'on est éloigné d’elle et que le contexte n'est pas amical ou bienveillant.

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La mort de Socrate est un cas d’école pour les chercheurs de vérité : en manifestant l’ignorance de ses juges, qui passaient pour sages et savants aux yeux de tous et à leurs propres yeux, il a provoqué leur haine et c’est pourquoi ils en sont venus à vouloir le tuer.

La vérité a des ennemis

Platon le rapporte ainsi dans son Apologie de Socrate :

Considérez maintenant pourquoi je vous en parle. C’est que j’ai à vous expliquer l’origine de la calomnie dont je suis victime. Lorsque j’eus appris cette réponse de l’oracle, je me mis à réfléchir en moi-même : “Que veut dire le dieu et quel sens recèlent ses paroles ? Car moi, j’ai conscience de n’être sage ni peu ni prou. Que veut-il donc dire, quand il affirme que je suis le plus sage ? Car il ne ment certainement pas ; cela ne lui est pas permis”. Pendant longtemps je me demandai quelle était son idée ; enfin je me décidai, quoique à grand-peine, à m’en éclaircir de la façon suivante : je me rendis chez un de ceux qui passent pour être des sages, pensant que je ne pouvais, mieux que là, contrôler l’oracle et lui déclarer : “Cet homme-ci est plus sage que moi, et toi, tu m’as proclamé le plus sage”. J’examinai donc cet homme à fond ; je n’ai pas besoin de dire son nom, mais c’était un de nos hommes d’État, qui, à l’épreuve, me fit l’impression dont je vais vous parler. Il me parut en effet, en causant avec lui, que cet homme semblait sage à beaucoup d’autres et surtout à lui-même, mais qu’il ne l’était point. J’essayai alors de lui montrer qu’il n’avait pas la sagesse qu’il croyait avoir. Par-là, je me fis des ennemis de lui et de plusieurs des assistants. Tout en m’en allant, je me disais en moi-même : “Je suis plus sage que cet homme-là. Il se peut qu’aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon ; mais lui croit savoir quelque chose, alors qu’il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le fait même que ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir”. Après celui-là, j’en allai trouver un autre, un de ceux qui passaient pour être plus sages encore que le premier, et mon impression fut la même, et ici encore je me fis des ennemis de lui et de beaucoup d’autres (1).

L’ignorance dévoilée par Socrate est double : l’ignorance sur ce que l’on croit savoir et l’ignorance de sa propre ignorance. C’est cette double ignorance de certains hommes d’État grecs qui est à l’origine de la haine qui a emporté Socrate. Ainsi cette vérité dévoilée (a-letheia) apparaît-elle comme un mal mortel puisque que la haine qu’elle engendre aboutira à la condamnation à mort de Socrate. La vérité manifestée par Socrate éprouve les hommes de manière vitale. La vérité, qui est d’ordinaire le bien naturel de l’intelligence, et qui est par cela cause du bonheur, peut donc aussi être perçue comme un mal et engendrer la haine…

Des remises en cause douloureuses

Le dévoilement de nos limites, de nos mensonges ou de notre ignorance, provoqué par la confrontation avec la vérité est forcément perturbant. Plus nous sommes loin de la vérité, plus cela risque de provoquer une perte de crédibilité ou de légitimité avec des conséquences sociales potentiellement importantes pour notre position, notre réputation ou nos acquis ; on peut avoir peur du risque d’une humiliation et c’est ainsi que la vérité peut en arriver à être perçue subjectivement comme un mal.




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Ainsi, la vérité oblige parfois à des remises en cause qui sont douloureuses pour l’ego. Lorsque l’ignorance, les erreurs ou les mensonges sont mis à nu, cela peut conduire à la perte de ce qui semble être sa légitimité à posséder divers biens et avantages, une position, des responsabilités, un pouvoir… ainsi que l’image de soi valorisante qui en découle. Or, croire perdre une telle légitimité c’est craindre de perdre tout ce que l’on possède par elle. Ce qui apparaît souvent difficilement acceptable ! La mise à nu de son ignorance, de ses erreurs ou de ses mensonges conduit, par le fait même, à la manifestation d’un manque ou d’une déficience en soi aux yeux des autres. L’ignorance comme l’erreur touchent une dimension essentielle de soi-même et de sa valeur propre, à savoir l’intelligence. Dès lors, la manifestation d’un tel défaut d’intelligence peut être perçue comme le dévoilement d’une vulnérabilité, ce qui est potentiellement dangereux : car les autres pourraient en abuser à nos dépens, semble-t-il.

La vérité fait peur

De telles menaces peuvent engendrer une peur difficile à supporter. Cette peur n’est pas superficielle car ce qui touche notre intelligence touche notre personne. Il faut remarquer que nos limites intrinsèques apparaissent d’autant plus comme des faiblesses à dissimuler que le contexte relationnel est dominé par les rapports de force et les jeux de pouvoir. L’intelligence en jeu dans ces relations apparaît comme un moyen de pouvoir, et le pouvoir, en lui-même, ne peut s’affirmer que contre un autre pouvoir. La vision qu’on a du monde peut s’en trouver marquée : si l’homme est un loup pour l’homme, un rival, alors la nature, les religions, les institutions, Dieu, tout ce qui est autre que soi ou extérieur à soi sont des menaces potentielles, des rivaux potentiels.

La tentation de l’orgueil

Dans un contexte de compétition, nos limites peuvent apparaître inavouables. Celles-ci sont des lieux de vulnérabilité et elles représentent une menace potentielle à vaincre… ou à nier ! Elles peuvent être perçues comme un mal personnel et identitaire inacceptable. En outre, refuser l’humiliation qu’il y a à se savoir et se déclarer déficient est de nature à engendrer l’orgueil, l’orgueil par quoi l’illusion mensongère d’un soi tout-puissant est préférable à la vérité sur ses limites et sa finitude et la dépendance qui s’en suit à l’égard des autres.


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Pourquoi la vérité engendre-t-elle la haine ?

Dans un extrait fameux des Confessions, saint Augustin évoque aussi la possibilité que la vérité puisse engendrer la haine :

Pourquoi la vérité engendre-t-elle la haine ? Pourquoi les hommes regardent-ils comme un ennemi celui qui la prêche en votre nom, alors qu’on aime le bonheur qui n’est pas autre chose que la joie née de la vérité ? Pour cette simple raison que la vérité est tellement aimée que, quoi qu’ils aiment, ils veulent que ce soit la vérité ; et, ne voulant pas être trompés, ils ne veulent pas non plus être convaincus d’erreur. Ainsi ils détestent la vérité par amour de ce qu’ils prennent pour la vérité. Et, comme ils n’acceptent pas d’être trompés, tout en voulant tromper eux-mêmes, ils l’aiment quand elle s’annonce, ils la détestent quand elle les dénonce. Et voici leur châtiment : ils ne veulent pas être découverts par elle, elle ne les en découvre pas moins et ne se découvre pas à eux. C’est ainsi, ainsi, oui, ainsi qu’est fait le cœur de l’homme ! Aveugle et lâche, déshonnête et laid, il veut demeurer caché, mais il ne consent pas que rien lui demeure caché. Il en est puni : il ne se dérobe pas à la vérité, tandis que la vérité se dérobe à lui. Cependant, si misérable qu’il soit, il préfère goûter la joie dans la vérité que dans l’erreur. Il sera donc heureux, lorsque, libre de toute inquiétude, il jouira de l’unique Vérité, principe de tout ce qui est vrai » (Les Confessions, X, 23).

La vérité est naturelle à l’intelligence

Un aspect du problème de la vérité est mis en lumière par Augustin qui ne l’était pas dans le texte de Platon. Le théologien commence par soulever le paradoxe suivant : « Pourquoi les hommes regardent-ils comme un ennemi celui qui prêche [au nom du Christ], alors qu’on aime le bonheur qui n’est autre que la joie née de la vérité ? ». Et il répond : « Pour cette simple raison que la vérité est tellement aimée, que quoiqu’ils aiment, ils veulent que ce soit la vérité ». En effet, la vérité est naturelle à l’intelligence, nous ne pouvons pas faire autrement que de tendre vers elle. Elle est le bien nécessaire de l’intelligence.


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Tout ce que les hommes veulent, par caprice, par orgueil ou raisonnablement, ils veulent que cela ait raison de vérité. De par leur intelligence, ils le veulent comme vrai. Que cela le soit effectivement ou non ! Ainsi le diable veut avoir raison et être dans la vérité, fut-ce contre celui qui est la Vérité. Ainsi, pour saint Augustin, cet amour naturel de la vérité fait que les hommes « aveugles, lâches, déshonnêtes et laids » « aiment la lumière quand elle luit, ils la haïssent quand elle les confond ».  La raison de cette haine est que la vérité réelle et objective n’est pas la mesure de leur volonté. La volonté propre de chacun veut être à elle seule sa propre mesure. C’est ce qu’on appelle l’orgueil.

Dans un contexte de bienveillance

Pourtant comment expliquer que les disciples de Socrate mis eux aussi à l’épreuve de leur ignorance, n’éprouvent pas de haine ? Tout au contraire, ils semblent n’en aimer que plus Socrate. Manqueraient-ils d’une saine fierté, d’un manque de sens de leur dignité personnelle ? D’abord, il est à noter que les limites et les vulnérabilités ne constituent une menace pour soi que dans le contexte de relations commandées par des rapports de force. Dans un contexte de bienveillance, les limites et les vulnérabilités ne posent plus du tout le même problème. Personne, par sa bienveillance, ne peut vouloir du mal à un autre et abuser de lui ! La manifestation de ses limites ne constitue plus une menace. Elle serait plutôt de nature à accroître la bienveillance, par le service qu’elle requiert de l’autre.


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L’acceptation sereine de nos limites, dans ce climat bienveillant devient même un bienfait personnel. « Athéniens je vous aime ! », clamait Socrate lors de son procès. C’est au nom de cet amour qu’il met ses disciples à l’épreuve de la vérité sur eux-mêmes : l’homme implique une incomplétude, il n’est pas tout puissant, il dépend des autres. C’est là le service qu’il leur rend.

Reconnaître ses limites

Mais en quoi cette épreuve de vérité est-elle un service bienfaisant ? La reconnaissance de sa limite et de son ignorance est le début d’un chemin de vérité et de libération du mensonge ! En effet, percevoir sa limite, c’est déjà percevoir un au-delà de sa limite et rendre possible un dépassement de soi : percevoir son ignorance comme une limite, c’est déjà percevoir un au-delà de son ignorance. Par là, c’est rendre possible le commencement d’un chemin de sagesse. C’est l’horizon vers lequel on regarde et qui oriente nos pas. La limite saisie comme limite implique cela. C’est la différence qu’il y a avec le fait d’être borné. Le borné est ignorant, mais il ignore sa limite, il ne sait pas qu’il ne sait pas. Il est borné ! Pour lui, nul horizon vers lequel aller, nul dépassement de soi ! Nulle vérité !

L’épreuve de l’ignorance

Il faut bien admettre que subir le questionnement socratique n’est pas humainement une partie de plaisir. Le dévoilement de sa propre ignorance, de sa déficience identitaire et de ses mensonges ou de ses compromis avec la vérité constitue bien une réelle épreuve pour chacun. Socrate appuie là où ça fait mal ! Il appuie sur ce qui peut être l’occasion d’une peur profonde. Il appuie sur l’incomplétude et l’imperfection humaine et personnelle.

L’épreuve ne consiste pas tant alors à choisir entre courage ou lâcheté face à une telle peur, à vouloir regarder la menace en face ou à vouloir la nier, mais plutôt à choisir entre deux attitudes : ou bien une attitude commandée par le pouvoir et la force… et aussi par l’orgueil : attitude qui sera à l’origine de la peur ; ou bien une attitude portée par une bienveillance amicale, qui n’a rien à craindre de l’autre, une attitude bienveillante et humble qui est la disposition irremplaçable à une ouverture maximale de l’intelligence à la vérité et au bonheur qu’elle engendre.

(1)Platon, L’Apologie de Socrate, 21c-21b, Édition Garnier-Flammarion, n° 75. Traduction Émile Chambry.


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