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L’allongement du congé de paternité ? Un objectif ambivalent

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Henri Quantin - publié le 30/09/20

À compter de 1er juillet 2021, le père de chaque nouveau-né aura le « droit obligatoire » de prendre un congé de paternité. Une avancée pour le gouvernement, mais qui vise aussi à rendre l’homme et la femme un peu plus interchangeables… sur le marché du travail.

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Quand vous êtes censé présenter l’essentiel de l’information mondiale en moins d’une minute, la brièveté s’impose. Cela peut donner lieu à quelques énoncés au laconisme un peu énigmatique, telle cette nouvelle : « Un pas de plus dans l’égalité hommes-femmes, la durée du congé de paternité va être allongée à vingt-huit jours. » On craint d’avoir mal entendu. En bonne logique, présenter comme un progrès l’extension d’un droit pour les hommes signifie qu’ils sont moins bien traités que les femmes.

Contre toute attente, l’État se pencherait donc sur la douloureuse condition masculine. Il jugerait que l’homme mérite un peu de repos, après les fatigues d’une grossesse sans congé, au cours de laquelle il a tout fait pour pouvoir chanter à l’unisson de Renaud : « Elle s’réveille la nuit, veut bouffer des fraises, elle a des envies balèses. Moi, j’suis aux petits soins, je m’défonce en huit, pour qu’elle manque de rien, ma petite. » Le gouvernement serait même attentif aux lendemains difficiles des angoisses masculines pendant l’accouchement, celles qui faisaient écrire à Pierre Desproges : « La femme prend la main de son mari ; comme ça, il a moins peur. »

La fragilité des hommes

Sensible à la détresse masculine, l’État reconnaîtrait qu’il est difficile pour un homme, quand son enfant a pleuré toute la nuit, d’opérer un cœur sans trembler, de monter sur un échafaudage sans risquer de glisser ou de faire un cours sur l’accouchement chez Maupassant sans vomir. Bref, le congé de paternité allongé ferait avancer l’égalité par sa prise en compte de la fragilité des hommes.

Le phallocrate d’avant le christianisme, qui sommeille sans doute en chaque homme, pourrait formuler une hypothèse différente, plus audacieuse encore. Le Président dit « jupitérien » a voulu s’émanciper avec éclats des groupes de pression féministes, et réaffirmer la toute-puissance du mâle dans l’engendrement. C’est un retour aux Euménides d’Eschyle, la tragédie athénienne qui s’interrogeait sur la justice de la cité. Dans Les Euménides, Apollon, au nom de Zeus (Jupiter chez les latins), déclarait tranquillement aux Erinyes, féministes vengeresses avant l’heure : « Ce n’est pas la mère qui engendre celui qu’on appelle son enfant : elle n’est que la nourrice du germe qu’elle a conçu. Celui qui engendre, c’est le mâle. » La prochaine étape serait alors la suppression du congé de maternité, qui n’a guère de raison d’être dans une logique jupitérienne.

Partage obligatoire

Pensée pour la fragilité des hommes ? Revalorisation du mâle ? Ce ne doit pas être pour cela que la mesure a été saluée par Marlène Schiappa. Pour en avoir le cœur net, rien ne vaut les mots du Président de la République, un peu moins jupitérien depuis qu’il parle avec un masque : « C’est d’abord et avant tout une mesure qui est favorable à l’égalité entre les femmes et les hommes, et c’est là-dessus qu’il y avait une forte mobilisation. Il est important que dans un couple les deux aient justement cette charge, dans ce moment qui est aussi un moment d’intimité et de construction du nourrisson et du futur adulte, et qu’aussi une plus grande égalité dans le partage des tâches se fassent dès les premiers jours. »


Father; Son; Goodbye ; Work;

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Voilà de quoi faire déchanter quelques mâles en âge de procréer. En guise d’égalité homme-femmes (« égalité femmes-hommes », dit le vigilant Emmanuel Macron), il s’agit plus de la revanche de Junon que du retour de Jupiter. Une chose inquiète un peu : le mot « charge », associé à « intimité ». Nul doute : pour le Président, l’épanouissement a lieu exclusivement au travail, tout ce qui relève de la maison est de l’ordre de la corvée. Le « pas de plus » dans l’égalité n’est pas que l’homme puisse vivre plus longtemps avec sa femme les premiers jours de leur enfant, mais que les femmes aient, en la personne de leur mari, une aide-ménagère. C’est pourquoi une semaine de congé, sur les quatre prévues, est rendue obligatoire. Manière d’éviter, certes, que certains employés n’osent pas la demander ; manière, aussi, d’interdire à un couple de s’organiser comme il le souhaite.

Priorité : le travail de la femme

Mais il y a plus. Une économiste interrogée par Le Monde achève de nous expliquer ce qu’il faut entendre par ce « pas de plus » vers l’égalité hommes-femmes :

Il y a l’idée que cette mesure va rééquilibrer le partage des tâches familiales et professionnelles. Sur ce point, je suis plus prudente. Le congé paternité allongé ne va pas changer fondamentalement la question des inégalités au travail entre hommes et femmes. Le plus souvent, les congés maternité et paternité sont pris en même temps, alors qu’il faudrait que le père soit un moment seul avec l’enfant — ce serait plus efficace.

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« Efficace », le mot est lâché. Toute gratuité est à l’évidence bannie. Dans une telle logique, la famille est avant tout un obstacle à l’économie. Et l’homme est un obstacle à la réussite professionnelle de la femme. Comment comprendre autrement ce regret devant le fait que la plupart des pères et des mères souhaitent vivre ensemble leur congé de parents ? Le congé de paternité allongé vise ici à rendre l’homme et la femme un peu plus interchangeables et à pousser la femme à retourner travailler le plus vite possible, pendant que son mari reste à la maison. En somme, le pas de plus vers l’égalité hommes-femmes, ce n’est pas Zeus tout puissant — on s’en doutait et c’est tant mieux —, mais c’est le père au foyer. Le droit nouveau accordé à l’homme est finalement un droit de la femme. Le droit d’être davantage père — et même l’obligation de l’être pendant une semaine — doit être compris comme un devoir de la femme d’être un peu moins mère. C’est un appel à retrouver, aussi vite que possible, ce qui est censé justifier bien plus une existence que le don de la vie et que l’éveil de la sensibilité et de l’intelligence d’un enfant : la carrière professionnelle. Le modèle ultime n’est pas celui d’un homme et d’une femme élevant un enfant ensemble, mais de deux célibataires alternant les gardes.

La loi du marché

Résumons-nous. Si le congé de paternité offre aux parents un mois ensemble avec leur nouveau-né, on peut se réjouir de cet hommage de l’État à l’événement unique qu’est une naissance, moment où on n’est pas trop de deux pour faire face aux bouleversements quotidiens. En revanche, si le père est mis en congé avant tout pour que sa femme retourne travailler plus vite, ce n’est qu’une nouvelle étape de ce que Houellebecq appela l’extension du domaine de la lutte : emprise de la flexibilité imposée par la loi du marché même au cœur de la cellule familiale, rivalité mimétique entre l’homme et la femme, avancée d’un État qui régente la vie des familles jusqu’à la répartition des biberons et des machines à laver, soumission obligatoire à la hiérarchie qui fait de tout service interne à la famille une servitude et une aliénation, tandis que tout travail salarié serait une libération. Tout cela relève d’une logique machiste intériorisée qui s’ignore, puisqu’elle méprise le don de la vie et l’éducation et ne juge la femme digne d’intérêt que si elle devient à peu près comme un homme. On est assez loin de la reconnaissance sociale et de la valorisation du « travail de la femme dans le cadre familial », point sur lequel l’Église demande une attention particulière aux gouvernants .

Si le prochain « pas de plus » impose aux pères un congé prénatal, on nous permettra de préférer un pas de côté, pour éviter la grossesse nerveuse.

Le conseil pontifical « Justice et paix » rappelle le lien d’interdépendance entre la famille et le travail. Il condamne par conséquent deux écueils : une « conception privatiste de la famille » (le cocon coupé du monde) et une « conception économiste du travail » (la famille au service du marché). Il se pourrait que l’allongement du congé de paternité cumule les deux tendances. Du moins, il pourrait ne faire miroiter la vision privatiste (un moment plus long en famille sans travailler) que pour mieux faire avancer l’économisme (au nom du fameux « la femme au foyer ne produit rien » de Beauvoir). Si le prochain « pas de plus » impose aux pères un congé prénatal, on nous permettra de préférer un pas de côté, pour éviter la grossesse nerveuse.

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