Saint Charles Borromée est un des grands prélats italiens du XVIe siècle. Il est connu pour sa participation active au concile de Trente, notamment dans la rédaction du célèbre catéchisme appelé aujourd’hui catéchisme du concile de Trente. Dans son diocèse de Milan, saint Charles eut à cœur de faire appliquer la réforme catholique issue du concile dans un esprit de charitable pédagogie. Toutefois, les Milanais se souviennent davantage de son action énergique et spectaculaire lors de la terrible peste qui ravagea la ville durant les derniers mois de l’année 1576.
Dès le début de la propagation de cette redoutable maladie, que la médecine de l’époque ne sait pas soigner, l’évêque propose son assistance aux autorités civiles, et il conseille le gouverneur pour mettre en place les premières mesures prophylactiques destinées à limiter la propagation du mal. Immédiatement, on décide la fermeture des portes de la ville afin d’empêcher l’arrivée de nouveaux pestiférés, car la maladie vient des villes environnantes. Autre mesure élémentaire pour restreindre la contagion : séparer les malades des biens portants. Ainsi, à la moindre suspicion de peste, les habitants sont envoyés au lazaret. Mais rapidement, celui-ci ne suffit pas, et les autorités organisent la construction, en dehors de la ville, de plusieurs centaines de cabanes pour recevoir les malades.
De la santé du corps à la santé de l’âme
Saint Charles ne conçoit pas de laisser les pesteux et les mourants sans réconfort. Il sait combien le soutien affectif, et surtout spirituel, est fondamental en période d’épidémie. La santé de l’âme est plus importante que celle du corps, estime le pieux évêque. A quoi bon soulager le corps si l’âme est malade ? Il décide alors d’aller tous les jours visiter les pestiférés pour les réconforter, les confesser et leur donner la sainte communion. Son courage et son élan de générosité entraînent d’autres prêtres et religieux. Progressivement, ces ecclésiastiques viennent à leur tour apporter les secours de la religion aux malades, qui, sans eux, seraient dans une profonde solitude et une profonde détresse.
L’acceptation du risque de la maladie par amour de Dieu et des âmes n’empêche pas l’évêque de Milan de suivre les recommandations médicales pour se protéger et empêcher la contagion. Ainsi, Charles désinfecte toujours ses vêtements au vinaigre, et il refuse désormais de se faire servir, ne souhaitant pas exposer les serviteurs du palais épiscopal. Comme il risque chaque jour d’être infecté, il se promène avec une longue baguette qui lui permet de maintenir une distance de sécurité quand il rencontre des biens portants. Il préconise les mêmes mesures préventives à tous ceux qui approchent les pestiférés. Mais plus que tous les moyens terrestres, Mgr Charles Borromée s’abandonne totalement à la volonté de son Père céleste. Il encourage les prêtres à conserver une âme à la fois ardente, entièrement dévouée à leur ministère, et tranquille, pleinement confiante en Dieu. Force est de constater que sa confiance ne fut pas vaine, puisque, malgré une exposition quasi journalière à la maladie, Charles ne fut pas atteint par la peste.
Un confinement strict
Au mois d’octobre, quelques semaines après le début de l’épidémie, les autorités civiles publient un édit de quarantaine : interdiction est faite à tous les habitants de sortir de leur demeure, sous peine de mort. L’isolement profond entraîné par ce confinement, la crainte du mal toujours menaçant, la préoccupation du sort des parents et des amis, les premières atteintes de la maladie, tout contribue à aggraver encore plus la détresse des Milanais. Leur pasteur sent combien cette situation est douloureuse pour le cœur, mais aussi dangereuse pour l’âme. Il décide de réagir en conséquence et commence par prévenir la municipalité que ses prêtres ne vont pas respecter la quarantaine. Le gouverneur, qui a déserté la ville quelques jours après le début de l’épidémie pour se réfugier à la campagne, se retrouve impuissant face à la détermination de Charles. De plus, il comprend les bienfaits d’une présence spirituelle pour maintenir la santé morale des habitants. L’évêque répartit ensuite les équipes sacerdotales entre le ministère des pestiférés et le ministère des confinés, et il cherche les moyens de transmettre aux fidèles les grâces sacramentelles malgré le confinement.
Tout d’abord, saint Charles incite les habitants à une prière plus fréquente et plus intense, en leur proposant des lectures spirituelles et la récitation des litanies. Puis il fait sonner les cloches de la ville sept fois par jour, afin d’inviter les habitants à se recueillir tous ensemble au même moment. Des prêtres déambulent dans les rues en priant à voix haute, et les fidèles, de leurs fenêtres, leur donnent la réplique. Quand ils souhaitent se confesser, ils appellent le prêtre qui les confesse alors sur le pas de la porte. Enfin, Charles fait construire à travers la ville dix-neuf colonnes surmontée d’une croix. Un autel est installé au pied de chacune d’elle, et la messe y est célébrée tous les jours. Postés à leurs fenêtres, les habitants peuvent se tourner vers les croix dressées dans le ciel, et prendre ainsi part aux messes. Les prêtres portent ensuite la communion aux fidèles, à travers les fenêtres ou sur le pas des portes. La quarantaine est partiellement levée à la fin du mois de décembre et la peste quitte progressivement la ville durant les mois suivants.
Charles Borromée mourut en 1584 ; il fut canonisé dès 1610. Son action à Milan contribua à la reconnaissance de l’héroïcité de ses vertus. Pendant ces semaines éprouvantes d’épidémie, saint Charles n’hésita pas à bousculer les règlements et les conventions sociales, et il eut le courage de risquer sa vie, par amour du Christ et des âmes. Son dévouement auprès des prêtres et des fidèles de son diocèse lors cette épidémie lui a valu d’être déclaré saint patron des évêques.