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Fr. Éric Salobir : « Humaniser la technologie, c’est être humanisé par la technologie »

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© HQuality - shutterstock

Laurent Ottavi - publié le 11/11/20

Dans son livre « Dieu et la Silicon Valley » (Buchet-Chastel), le dominicain Éric Salobir estime que la science et la foi ne doivent plus être séparées pour que la révolution numérique donne le meilleur d’elle-même. Malgré les problèmes qu’elle pose aujourd’hui, elle serait aussi un remède aux maux de notre temps.

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Ancien banquier d’affaires, Éric Salobir est un dominicain qui se présente lui-même comme « un peu (trop) geek ». Président de l’ONG Optic Technology, membre du conseil d’administration d’Aleteia, il voyage fréquemment entre la Californie, Rome et Paris. Pour lui, « il est important de construire des technologies qui ressemblent à l’humain pour qu’en retour elles nous humanisent. »

Aleteia : Quelle est la nature et l’ampleur de la révolution numérique que nous avons connue ces dernières décennies ?
Eric Salobir : L’ampleur, nous pouvons la constater déjà depuis plusieurs années en voyant la rapidité avec laquelle l’économie et la société se sont transformées sous les effets de la robotique, des réseaux, de l’intelligence artificielle ou encore des objets connectés. La pandémie de la Covid-19 a largement hâté le processus, et notamment la numérisation de l’économie. Pendant leur travail comme pendant leur temps libre, les gens passent de plus en plus d’heures sur des plateformes d’achats, de vidéo-conférences et d’échanges en ligne. À mon sens, ces changements relèvent moins d’une révolution industrielle, contrairement à ce qu’affirment des institutions comme le World Economic Forum, que d’une révolution cognitive. Le parallèle le plus juste n’est donc pas entre la révolution numérique et l’apparition de l’électricité ou de la machine à vapeur. Elle est bien plus proche de l’invention de l’écriture cunéiforme par les Sumériens. À ce moment-là, les humains n’avaient plus la nécessité de mémoriser la totalité de leur savoir puisqu’il pouvait être gravé sur un support extérieur. Du temps était ainsi libéré pour comprendre et non plus seulement pour apprendre. Le rapport au réel et la façon de penser devenaient différents, comme aujourd’hui avec l’intelligence artificielle.

Il est important de construire des technologies qui ressemblent à l’humain pour qu’en retour elles nous humanisent.

Pourquoi affirmez-vous d’emblée dans votre livre que la Silicon Valley gagnerait à recevoir « la visite de Dieu » ? 
La Silicon Valley, qui est dans mon livre la métaphore de l’ensemble du monde de la technologie, a des attentes spirituelles fortes. Celles-ci ne sont pas étonnantes dans la mesure où plus on travaille sur les choses matérielles, plus l’attente spirituelle croît, en parallèle. Cependant, qu’il s’agisse du Wellness, de la méditation de pleine conscience ou de l’engouement pour les spiritualités asiatiques, le sacré prend souvent des formes individuelles. Il manque une forme collective du sacré telle qu’elle est apportée par les religions, à l’échelon d’une communauté, mais aussi en communion avec tous les croyants. Dans une paroisse, le chrétien est connecté à tous ceux qui vont à la messe dans le monde. En outre, une vision de Dieu nourrit une vision de l’homme. L’humain ajusté à Dieu nous permet de bâtir une société conforme à la Bonne Nouvelle qui vient du Seigneur. Les technologies sont des productions de la société aux deux sens du génitif : nous les produisons et, à force de les utiliser, elles nous façonnent. Il est donc important de construire des technologies qui ressemblent à l’humain pour qu’en retour elles nous humanisent. Humaniser la technologie, c’est être humanisé par la technologie. Une technologie inclusive favorisera l’émergence d’une société inclusive. Une technologie excluante engendrant une fracture numérique créera une fracture sociale.


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Quelles sont les conséquences de la révolution numérique sur le domaine politique ? 
Le système politique et économique a montré ses limites. Alors qu’on nous promettait l’immortalité et la singularité, un virus a bloqué l’économie en nous conduisant au confinement et a pris beaucoup de vies. Nous avons assisté à une double fragilité : celle de l’humain et celle d’un système économique et social aux chaines de production extrêmement longues. Les inégalités, déjà très fortes avant la crise sanitaire, ont été exacerbées. Ceux qui ont les emplois les plus durs se sont trouvés encore plus vulnérable. Je crains que ce ne soit qu’une répétition générale avant les terribles conséquences du réchauffement climatique. Les plus vulnérables verront leur situation se dégrader si rien n’est fait. L’Église catholique constitue une force capable d’agir à contre-courant. L’attention au sort des plus fragiles est ancré au cœur de notre tradition depuis les Lettres de saint Paul. Si nous voulons que les valeurs de solidarité et de liberté portées par l’Europe imprègnent ce monde en pleine transformation, il me semble important de favoriser, sur notre continent, l’émergence de grandes entreprises innovantes, notamment en travaillant avec des pays étrangers qui sont dans le même état d’esprit que nous. Les techno-démocraties doivent s’allier pour ne pas subir le poids des techno-autocraties. 

Un réseau fait pour se connecter entre amis n’a pas pour vocation de servir de source principale d’informations, au risque de ne délivrer à ses utilisateurs que des articles likés par leurs proches et de les enfermer dans une bulle idéologique dans laquelle tout le monde pense pareil.

La révolution numérique est-elle ce qu’on appelle un « pharmakon », ce poison qui est aussi le remède ? 
La révolution numérique a commencé avec Internet et continue avec l’intelligence artificielle, les objets connectés et la 5G. Ces outils sont avant tout conçus comme des remèdes. Aux petites entreprises qui ne trouvent pas leurs clients, une plateforme propose de les mettre en relation ; aux gens qui ont leur appartement vide quelques semaines par an, une plateforme leur permet de les louer ; à ceux qui ont besoin d’être véhiculés, une plateforme permet de faire du covoiturage. Le moindre objet du quotidien et la moindre application du téléphone répond à un besoin. Cependant, il y a une double difficulté. La première est le mauvais usage. Un réseau fait pour se connecter entre amis n’a pas pour vocation de servir de source principale d’informations, au risque de ne délivrer à ses utilisateurs que des articles likés par leurs proches et de les enfermer dans une bulle idéologique dans laquelle tout le monde pense pareil. De la pédagogie est nécessaire pour remédier à ce genre de problème. La seconde difficulté tient aux effets indésirés des outils numériques. Pour vous retenir, les réseaux enclenchent la spirale de l’attention. Autrement dit, des contenus qui plaisent aux internautes leur sont proposés pour qu’ils n’aillent pas voir ailleurs, pouvant ainsi déclencher des phénomènes d’addiction. Il ne faut néanmoins pas oublier les effets positifs de tous ces outils. Socrate était très réticent vis-à-vis de l’écriture car elle pouvait, d’après lui tomber entre les mains de personnes à qui l’information n’était pas destinée ou qui ne la comprendrait pas aussi bien que lors d’un dialogue. Qui oserait pourtant nier tout ce que l’écriture a apporté ?  


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Est-ce que le remède est aussi une affirmation du politique ? 
Face à des réseaux sociaux qui deviendraient des vecteurs de violence, comme on l’a hélas vu récemment, il faut une modération. Il y a aujourd’hui une conscience politique internationale sur ce sujet, mais beaucoup de chemin reste à faire. Le politique ne doit cependant pas s’en tenir à une forme de répression. Il doit aussi promouvoir le bon usage des technologies et le bon développement de nos entreprises. Je pense par exemple à French Tech qui, jusqu’à maintenant, n’a reposé que sur quelques grandes entreprises peu connues du public, mais qui commence à intégrer d’autres acteurs. Une initiative va dans le bon sens : celle de Tech for good, prise il y a trois ans par le Président de la République. Elle consiste à rassembler les dirigeants des grands groupes mondiaux, à réfléchir avec eux à un usage de la technologie en vue du bien commun, puis à leur demander de s’engager, pour que leurs pratiques concourent à bâtir une société plus juste. 

Nous avons tendance à opposer science et foi. Faut-il en finir avec cette séparation ?
Cette opposition est un peu factice. Parmi les hommes de sciences qui ont jalonné l’histoire des derniers siècles, beaucoup étaient des clercs. Copernic était chanoine et Mendel, inventeur de la génétique moderne, était moine. La relation entre la science et la foi est comme celle d’un vieux couple : les disputes succèdent aux élans d’amour, et vice-versa. Saint Augustin affirmait déjà le lien entre la connaissance et la foi. Si nous avons cru pouvoir les dissocier à certains moments de notre histoire, Jean-Paul II nous a remis sur la voie. Il a fait un travail d’éclaircissement, notamment autour de l’affaire Galilée. Il a affirmé l’autonomie de la science par rapport à la foi, et inversement, tout en soulignant l’importance de faire un trait d’union entre les deux. Je crains que, chez les catholiques, le message ne soit pas toujours très bien passé, mais il fait partie du Magistère. Il faut le diffuser davantage à tous les niveaux de l’Église. 

Dieu et la Silicon Valley
Bustet Chastel

Eric Salobir, Dieu et la Silicon Valley, Buchet-Chastel, 2020, 288 pages, 20 euros.

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