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Jean Castex, un casse-tête pour les catholiques

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Ludovic MARIN / POOL / AFP

Jean Castex le jeudi 26 novembre 2020, à Paris.

François Huguenin - publié le 27/11/20

Face aux restrictions incompréhensibles imposées à la participation à la messe, l’auteur du "Pari chrétien" (Tallandier) estime qu'elle met les catholiques face à trois défis. Il redoute notamment le piège de la division entre chrétiens tentés par la montée aux extrêmes.

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Pourquoi garder la jauge des 30 personnes « dans un premier temps » pour les cultes alors qu’il est prévu qu’au 15 décembre elle soit au prorata des surfaces ? La décision incompréhensible du Premier ministre met les catholiques face à trois défis : le premier est de tenter de comprendre sans se « tromper de guerre ». Comprendre une telle décision de Jean Castex — une jauge normative et égalitaire à 30 personnes par lieu de culte —, après que, devant les réactions d’incompréhension suite à son discours, le président de la République avait semblé rétropédaler, est très difficile. On ne peut pas suspecter nos gouvernants d’être des imbéciles sans manquer de lucidité politique. On ne peut pas non plus, même si l’existence d’un noyau très anticlérical place Beauvau ou à Matignon n’est pas impossible, transposer notre situation présente à celle du combisme des années 1905. On ne peut non plus, parce que les cultes auront été abusivement supprimés pendant trois dimanches, et être soumis à des restrictions intolérables pendant quelques semaines supplémentaires, se complaire dans des parallèles douteux avec l’extermination des Vendéens ou la persécution des chrétiens par-delà le Rideau de fer. Toutes ces comparaisons sont indécentes pour ceux qui ont payé de leur vie le tribut du martyre et qui continuent à le faire dans bien des pays du monde.

Sans doute y a-t-il dans cette décision burlesque, grotesque, crétine, un mélange de plusieurs choses : une méconnaissance profonde de la réalité religieuse de notre pays, voire un mépris de celle-ci

Sans doute y a-t-il dans cette décision burlesque, grotesque, crétine, un mélange de plusieurs choses : une méconnaissance profonde de la réalité religieuse de notre pays, voire un mépris de celle-ci ; un mode de décision bureaucratique qui engendre des décisions prises en dépit du bon sens ; une absence complète de lien avec le terrain, de connaissance des réalités que vivent les Français, dont cette crise a été un révélateur, et que la génération LREM a porté à son paroxysme. Peut-être aussi enfin, une volonté de diviser les chrétiens qui ne réagissent pas unanimement aux différentes atteintes à la liberté de culte, selon le tempérament, le positionnement politique ou l’histoire ecclésiale de chacun. Et c’est heureux que nous soyons différents.

Le second défi est de refuser la division et la montée aux extrêmes (des deux côtés). Le risque majeur, je parle pour les catholiques que je connais de l’intérieur, est aujourd’hui celui d’une montée aux extrêmes. Il est fascinant de voir combien, à côté d’expressions légitimes d’une profonde douleur de ne pas pouvoir communier, à tous les sens du terme, certaines manifestations, prises de position publiques, notamment sur les réseaux sociaux, ont fait preuve d’un discours parfois irresponsable, y compris de la part de personnes qui n’avaient pas jusqu’alors proclamé un grand enthousiasme eucharistique. Il ne s’agit pas de juger les cœurs. Mais en revanche, l’instrumentalisation par certains de l’Eucharistie à des fins politiques, est absolument incompatible avec le véritable respect que chaque catholique a ou devrait avoir pour le renouvellement de la Sainte Cène.  Comme l’a rappelé, il y a quelques temps l’évêque d’Arras, Mgr Leborgne, réclamer la messe comme un droit, lorsqu’on ne consacre pas, ne serait-ce que cinq minutes par jour, à la lecture de la Parole de Dieu, ressemble, quelque part, ce sont mes mots, pas les siens, à une sorte de blasphème.


messe avec masques

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Cette montée aux extrêmes peut nourrir la réaction de l’extrême inverse, où l’on se moque de ceux qui en toute bonne foi proclament leur amour de la messe, et où l’on cherche à opposer « le sacrement du frère » au sacrement de l’Eucharistie. Là aussi beaucoup de mépris, d’instrumentalisation, d’idéologie. Cela nous ramène à un texte qui a plus de cinquante ans et qui n’a pas pris une ride : Décomposition du catholicisme de Louis Bouyer qui renvoyait dos-à-dos, dès 1968, les frères jumeaux que sont l’intégrisme et le progressisme. Chacun finit, dans son coin, par juger le for interne de l’autre, certain que sa foi est la plus belle, voire la seule possible : plus intègre ou plus ouverte, selon le cas. Et, une fois de plus, c’est le corps du Christ qui est déchiré.

Encore une fois Augustin nous sortira de l’écueil. Dans un Empire romain fragilisé qui semble mettre en cause la nouvelle religion dans la chute de Rome face à Alaric, il essaie de comprendre le lien entre le politique et le religieux.

Enfin, le troisième défi est de repenser le rapport des chrétiens au politique. Cette crise révèle le rapport maladif des chrétiens au politique. Certains se trompent d’époque : une minorité rêve du retour à une France chrétienne, tandis que d’autres, comme je l’ai dit, se fantasment en Vendée ou dans la bataille des Inventaires. D’autres plus modérés, sans réaliser qu’ils adoptent la posture de revendication des droits subjectifs de toutes les minorités dans les démocraties (y compris les minorités ethniques et sexuelles qui ne leur sont pas toujours familières) font de la messe et de la liberté de culte un chiffon rouge d’agit-prop. De l’autre côté, pour certains, toute protestation visible, toute réaction même légitime, est suspecte de vouloir affirmer une singularité, de refuser d’être un citoyen comme les autres, de se croire au-dessus des lois. La pastorale de l’enfouissement renaît de ses cendres !


messe

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Encore une fois Augustin nous sortira de l’écueil. Dans un Empire romain fragilisé qui semble mettre en cause la nouvelle religion dans la chute de Rome face à Alaric, il essaie de comprendre le lien entre le politique et le religieux. Des premiers chrétiens, Paul et les pères apostoliques, il reçoit la leçon très claire : l’obéissance au pouvoir politique à deux conditions : pouvoir pratiquer sa religion et ne pas sacrifier au culte de César. En des termes actuels, la liberté religieuse et la distinction du politique et du religieux. La Cité de Dieu, notamment en son chapitre 19, essaie de comprendre le lien entre l’Église et les puissances temporelles. Contrairement à ce qu’a véhiculé le mythe d’un « augustinisme politique » qui ne doit rien à Augustin, ce dernier n’inféode pas le pouvoir civil à celui de l’Église. Sa cité de Dieu n’est pas l’Église terrestre, comme sa cité terrestre n’est pas l’État. Dans son génie, héritier des Grecs et de Cicéron, Augustin anticipe sur la Modernité. La vie chrétienne n’a pas pour but de créer des sociétés chrétiennes, même si l’Église et les chrétiens ont toute légitimité à s’opposer à ce qui vient contrevenir à leur liberté et à ce qui est contraire au bien commun, dont le cœur est la paix.

Pourquoi parler du géant Augustin quand il s’agit de Jean Castex ? Pour deux raisons. D’abord parce qu’Augustin, plus que tout autre penseur chrétien (il y a Pascal aussi), nous montrant la réalité incroyablement complexe d’une politique chrétienne, évite de tomber dans les postures manichéennes qui surgissent inévitablement face à la médiocrité politique. Ensuite parce qu’Augustin nous permet de nous poser les bonnes questions en ces temps troublés. Et notamment : face à telle mesure abusive, est-ce que notre liberté religieuse est profondément niée ou superficiellement bafouée ? Est-ce que la paix et la concorde sont en péril ou simplement mises à mal ? À ces questions, nous n’aurons peut-être pas les mêmes réponses. Mais le fait de nous les poser ensemble sera déjà un signe d’unité et de force.


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CovidJean CastexMessePolitiqueSaint Augustin
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