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Mon parcours de franc-maçon repenti

franc macon

© Respiro - shutterstock

Serge Abad-Gallardo - publié le 29/01/21

Ancien franc-maçon, Serge Abad-Gallardo raconte l’histoire de la franc-maçonnerie, décrit son fonctionnement et explique pourquoi la double appartenance avec la religion catholique est impossible. À l’expérience, dit-il, la franc-maçonnerie se révèle comme une religiosité dogmatique et intolérante. Mais il ne faut pas la confondre avec ses membres, qui sont nombreux à chercher un sens à leur vie.

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Dans Les Origines de la franc-maçonnerie (Dangles 2013, p. 25), l’ancien haut dignitaire du Grand Orient de France, Jean Yves Tournié, doute que l’on parvienne un jour à définir les origines de la franc-maçonnerie. On pourrait également penser, comme l’écrit Roger Dachez, historien de la franc-maçonnerie et président de l’Institut maçonnique de France, que « savoir si nous découvrirons un jour les vraies origines de la franc-maçonnerie est une question sans réponse ».

Il est de tradition dans les loges, et en particulier au sein de l’obédience du Droit Humain à laquelle j’ai appartenu, que la franc-maçonnerie estime détenir des « secrets » originels qui lui auraient été transmis directement, par une lignée ininterrompue d’initiés. Tel est le sens fondamental d’une expression déterminante du rituel maçonnique lui-même : « Nous sommes les gardiens d’un très ancien secret qui s’alluma dans le cœur fraternel de l’Humanité à son berceau » (Rituel du Droit Humain, « Chaîne d’Union »). Ces « secrets » proviendraient en particulier de l’Égypte antique, de la chevalerie, notamment des templiers, puis des bâtisseurs de cathédrale au Moyen-Âge.

Il convient d’observer que si la recherche des origines de la franc-maçonnerie paraît malaisée, c’est tout d’abord en raison de l’ambiance de secret qui l’entoure. La nébulosité ne fait pas bon ménage avec la clarté historique. Néanmoins, aucun historien sérieux, y compris les deux spécialistes cités précédemment, dont l’érudition en la matière n’est aucunement contestable, ne conteste que l’origine antique ou moyenâgeuse de la franc-maçonnerie relève du mythe. La franc-maçonnerie, telle que nous la connaissons existe depuis le XVIIIe siècle et elle s’est employée, afin de trouver une base métaphysique, à « recycler les outils et usages des corporations de métiers, pour en faire des symboles et des rites au service d’un véritable projet philosophique » (M.F. Etchegoin et F. Lenoir, La Saga des francs-maçons, éd. Robert Laffont 2009, p. 34). La franc-maçonnerie est donc née en 1717, à Londres. La première loge maçonnique française naît en 1721 à Dunkerque (Paul Naudon, Histoire générale de la franc-maçonnerie, éd. P.U.F 1981, p.66). Le Grand Orient de France, qui compte un peu moins de 50.000 membres répartis en 1150 loges, a été créé en 1773, et le Droit Humain, obédience maçonnique mixte et internationale, qui revendique 28.000 membres, le 4 avril 1893.

Un recrutement très sélectif

Dans la plupart des cas, on n’entre pas en franc-maçonnerie sans avoir été « approché » par un ami, ou une connaissance. Après avoir fait l’objet de trois enquêtes distinctes, l’accès est assez sélectif, puisqu’il faut recueillir les 4/5 des voix de la Loge. La franc-maçonnerie approche « plutôt des quadragénaires déjà installés professionnellement […] dont on sent qu’ils se posent des questions sur eux-mêmes ou sur leur rôle dans la société » (Le Figaro Magazine, 10/10/2014). En ce qui me concerne, c’est une relation professionnelle qui m’a proposé d’entrer au Droit Humain alors que j’étais âgé de 34 ans. J’avais le profil idéal : jeune diplômé, récemment nommé à un poste important dans la fonction publique, plutôt éloigné de l’Église et de la foi catholique, et en quête existentielle.

Quitter la franc-maçonnerie

On quitte la franc-maçonnerie très facilement, par une simple lettre de démission, suivie d’un entretien avec trois maîtres. Les liens tissés avec les frères se distendent et finissent par disparaître. C’en est terminé de l’entraide et de la fraternité. Des portes se ferment, même. C’est ce que j’ai vécu. Je peux témoigner que des ex-frères et sœurs, devenus amis sincères depuis dix ans (du moins pensais-je qu’ils l’étaient !) avec qui j’entretenais des liens étroits, ne me téléphonent même plus : ma démission et surtout mon livre ne m’ont pas été pardonnés. Et ne le seront jamais. J’avais déjà senti qu’une distance s’était installée entre nous dès lors que je manifestais il y a quelques années avoir retrouvé la foi et le chemin de l’Église ! Il faut y ajouter des insultes publiques et même des menaces indirectes dont j’ai fait l’objet lors de la parution de mon livre ! Pour un autre exemple, Isabelle Duquesnoy, auteur d’un essai assez critique sur la franc-maçonnerie : Franc-maçonne, Journal insolent d’une femme libre dans le secret des Loges (éd. du Moment, 2013), se serait entendu promettre quelques coquards et aurait reçu plus de 130 messages de menaces et d’insultes (La Lumière, blog franc et maçon de l’Express, 19 novembre 2013).

Les diverses obédiences et rituels

Les obédiences les plus importantes en France sont le Grand Orient de France, le Droit Humain (DH), la Grand Loge de France, la Grande Loge Traditionnelle Symbolique Opéra, la Grande Loge Féminine de France, et la Grande Loge Nationale de France (GLNF). Cette dernière ne reconnaît aucune autre obédience maçonnique française et se considère comme la seule obédience légitimement maçonnique. Certaines obédiences ont des rituels spécifiques, comme le DH qui n’utilise que le Rite écossais ancien et accepté (REAA), et d’autres laissent les loges libres de leur rituel, comme la GLNF. Parmi les rites principaux : le Rite Ecossais Ancien et Accepté qui est teinté d’ésotérisme égyptien (hermétisme), grec (pythagorisme), islamique (alchimie), hébraïque (Cabale), chrétienne (Gnose) ; le Rite Ecossais Rectifié se fonde sur la doctrine ésotérique de l’occultiste Martines de Pasqually et sur la tradition chrétienne originelle (la Gnose) ; le Rite Français qui s’appuie sur les emblèmes et l’histoire biblique, et qui à mon sens est le plus laïc et athée des rites maçonniques.

Un cloisonnement strict

En quoi consiste la « pratique maçonnique » ? Il existe, notamment au REAA des « Loges Bleues » (Apprenti, Compagnon, Maître) et des Loges de Hauts Grades (du 4e au 33e degré). Les Loges Bleues sont organisées en trois degrés, confèrent l’initiation et permettent l’accès aux grades d’Apprenti, de Compagnon, puis de Maître. Les Loges de hauts grades attribuent des grades qui vont du 4e degré (Maître Secret) au 33e degré (Souverain Grand Inspecteur Général), en passant par divers degrés aux noms aussi dithyrambiques qu’ésotériques, tels le 12e degré (Grand Maître Architecte), le 14e degré, qui est le grade qui devait m’être conféré peu avant ma démission (Grand Élu de la Voûte Sacrée), le 18e degré (Chevalier Rose-Croix), ou 27e degré (Grand Commandeur du Temple). Le recrutement pour intégrer les Hauts Grades s’exerce exclusivement parmi les maîtres francs-maçons ayant généralement reçu des grades d’officier en Loge Bleue, et s’avère encore plus restrictif que pour les Loges Bleues. Il arrive souvent qu’une grande majorité de francs-maçons n’accèdent pas aux Hauts Grades.

Depuis les Loges Bleues jusqu’au plus haut grade, la « connaissance » maçonnique est strictement cloisonnée 

Depuis les Loges Bleues jusqu’au plus haut grade, la « connaissance » maçonnique est strictement cloisonnée : les francs-maçons des grades inférieurs ignorent les « secrets » des grades supérieurs. De même le plus grand secret entoure l’appartenance aux Hauts Grades qui ne sont jamais divulgués par ceux qui les détiennent aux membres des Loges Bleues. Il en est de même entre grades supérieurs et inférieurs au sein des Hauts Grades : par exemple un titulaire du 18e degré ne dévoilera pas son appartenance à ce grade à celui qui détient un haut grade inférieur.

Réunions, ou « tenues »

Une Loge Bleue se réunit en général deux fois par mois. Pour les « tenues » des Hauts Grades, le rythme est d’une « tenue » par mois en moyenne. Une réunion maçonnique est dénommée « Tenue » (on note « Ten.°. », en écriture maçonnique). Débutant en principe en début de soirée vers 20h ou 20h30, les « tenues » se terminent entre 22h30 et 23h30. Il est strictement obligatoire pour un franc-maçon d’assister à ces « tenues », et il ne peut en être dispensé que par une excuse valable dont il doit informer préalablement le Vénérable Maître (président de la Loge). Un certain nombre d’absences non justifiées entraîne l’interdiction de vote, voire la radiation.




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Les cérémonies d’initiation ou d’augmentation de grades, ou parfois des « tenues » particulières comme les « tenues solsticiales » qui marquent la Saint Jean d’hiver ou la Saint Jean d’été, et les « tenues » ordinaires au cours desquelles sont débattues des questions relatives au symbolisme maçonnique (équerre et compas, pavé mosaïque, chaîne d’union, chiffres symboliques des grades, les deux colonnes, le pentagramme, la pierre, etc.), ainsi que des questions sociales (l’égalité homme-femme, le droit au travail, la prison dans la société, l’euthanasie, l’avortement, mariage pour tous etc.). Ces questions donnent lieu à un exposé (dénommé « planche ») et à des débats encadrés très formellement entre les membres de l’assistance. Ces « tenues » sont systématiquement organisées par un rituel pendant leur déroulement, mais aussi pour l’ouverture et la fermeture des « travaux ». Le rituel est très codifié, et les « tenues » sont suivies d’« agapes » qui sont des repas pris en commun par les francs-maçons. Bien entendu l’ensemble n’est strictement accessible à aucun profane.

Un enseignement ésotérique

La franc-maçonnerie considère qu’elle détient un enseignement qui lui a été transmis par étapes et origines initiatiques successives. Nous avons vu que cette affirmation est erronée. Néanmoins, elle professe un enseignement fort bien structuré qui trouve sa source dans la croyance en une « tradition primordiale ». « La franc-maçonnerie, comme tout ésotérisme, vise à réunifier des connaissances présentes dans toutes les traditions philosophiques et religieuses, avec l’idée que derrière elles se cache une religion primordiale de l’Humanité » (R.°. L.°. Perf.°. n°65 « La Pierre d’Agathe » Or.°. de Vierzon, R 06 in Paroles plurielles, hors-série mai 2011, p. 39 ).

Le mythe de la Tradition primordiale

Le concept de Tradition primordiale se fonde sur la conviction que toutes les religions sont issues d’une même source initiatique et que cette dernière détient seule une vérité absolue rappelée régulièrement à l’homme par des initiés envoyés par une Puissance supérieure. Ainsi, Bouddha, et même Jésus seraient à compter parmi ces initiés. Pour la franc-maçonnerie, largement inspirée par les conceptions théosophiques et par l’ésotérisme, il n’existerait qu’une « doctrine unique universelle et intemporelle, Source unique à laquelle sont venues puiser au cours de l’histoire toutes les disciplines qui tendent au vrai, aussi bien les sciences… que les Traditions religieuses » (Père Joseph Marie Verlinde, Quand le Voile se déchire… le défi de l’ésotérisme au christianisme, éd. Saint Paul, 2000, p. 93). Or le père Verlinde démontre dans cet ouvrage le caractère totalement infondé de la théorie de la Tradition primordiale. Pour autant la franc-maçonnerie persiste à s’y référer et c’est cette conception qui explique que pour elle, « toutes les religions se valent ».

À titre d’exemple, évoquer en loge que l’on est opposé à l’avortement, à l’euthanasie, au mariage entre personnes de même sexe, est toujours susceptible de provoquer des réactions hostiles

Les limites de la « tolérance » maçonnique

La tolérance maçonnique est très relative. En principe, toutes les idées peuvent s’exprimer et être débattues en loge. La franc-maçonnerie demande à ses membres de faire preuve de tolérance à l’égard des idées ou des opinions des autres, profanes ou francs-maçons. Cependant je témoigne qu’il existe une parole « maçonniquement » correcte. Et que la tolérance n’a plus cours dès que l’opinion émise s’en éloigne. À titre d’exemple, évoquer en loge que l’on est opposé à l’avortement, à l’euthanasie, au mariage entre personnes de même sexe, est toujours susceptible de provoquer des réactions hostiles, parfois de manière feutrée mais parfois moins. Par conséquent, exprimer au cours de sa vie maçonnique un désaccord persistant sur le plan des valeurs ou de la morale (par exemple opposer morale naturelle et morale contingente) rend la situation très inconfortable pour l’individu, à qui il ne reste plus qu’une alternative : quitter la franc-maçonnerie, ou se « fondre » dans le groupe et la pensée « maçonniquement correcte ». En ce qui me concerne, j’ai choisi la démission : « Mieux vaut un jour en tes parvis que mille ans à ma guise, rester au seuil dans la maison de mon Dieu qu’habiter la tente de l’impie » (Ps 84, 11). Je confirme avoir dû essuyer des réactions franchement hostiles et parfois agressives même, au cours de réunions publiques où j’avais simplement osé exposer qu’il était incompatible d’être franc-maçon et catholique.


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La « double appartenance », au catholicisme et à la franc-maçonnerie, est impossible, pour des raisons formelles et fondamentales. En particulier le droit canonique interdit aux fidèles d’être franc-maçon depuis 1738 et a été réaffirmé en 1983. Même si certaines obédiences, au mieux conservent le silence sur ce point, ou bien au pire énoncent des contrevérités, la franc-maçonnerie elle-même, par la voix d’un ancien Grand Maître du Grand Orient de France, confirme cette incompatibilité.

L’impossible double appartenance

Peu de temps après la création des premières loges hors d’Angleterre, le Saint-Siège a interdit aux catholiques d’appartenir à la franc-maçonnerie. C’est ainsi que le pape Clément XII a publié la première bulle à cet effet le 28 avril 1738 : « C’est pourquoi nous défendons […] à chacun des fidèles de Jésus Christ, laïcs ou clercs, séculiers ou réguliers, d’entrer dans lesdites sociétés de francs-maçons […] et cela sous peine d’excommunication ». Depuis plusieurs siècles, la position du magistère est constante : Ecclesiam a Jesu Christo, du pape Pie VII, le 13 septembre 1821 ; Quo graviora du pape Léon XII, le 13 mars 1826 ; Mirari Vos du pape Grégoire XVI, le 15 août 1832 ; Multiplices Inter » du pape Pie IX, le 25 septembre 1865 ; Humanum Genus du pape Léon XIII le 20 avril 1884 ; Vehementer Nos du pape Pie X le 11 février 1906. Le code du droit canonique de 1917, modifié en 1983, ne mentionne plus explicitement la franc-maçonnerie et dispose dans son article 1374 « que celui qui donne son adhésion à une association qui agit contre l’Église soit puni d’une juste peine ».

Certaines obédiences, notamment celles qui ne professent pas un anticléricalisme particulier (et il y en a !) ont imaginé que la double appartenance devenait possible. Des contacts ont été alors pris au début des années quatre-vingt par des obédiences maçonniques, notamment la GLNF (dont certains représentants se sont rendus à Rome), s’appuyant sur cet article et sur le contenu du concile Vatican II. De même des loges allemandes ont pris contact avec l’épiscopat de ce pays. Or après une étude précise des rituels maçonniques ayant été remis aux autorités ecclésiastiques, ce point de droit canonique a été éclairci par le cardinal Ratzinger qui au-delà d’avoir été un grand pape, fut un immense théologien. Le cardinal, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, précisait dans un décret du 26 novembre 1983 en des termes particulièrement clairs : « Le jugement négatif de l’Église sur les associations maçonniques demeure inchangé, parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’Église, et l’inscription à ces associations reste interdite par l’Église. » Ce décret a été approuvé par le saint pape Jean Paul II qui en a ordonné la publication. L’épiscopat allemand avait déjà, de son côté exprimé cette incompatibilité : « L’engagement au sein de la franc-maçonnerie transforme l’acte de foi chrétien […]. Les rites initiatiques dans le secret des loges produisent inévitablement des effets sur les membres. La revendication […] de la doctrine relativiste qui s’impose progressivement à l’insu même des intéressés [ce que j’appelle la pensée « maçonniquement correcte »]. La franc-maçonnerie revendiquant pour ses membres une adhésion totale, il est évident que la double appartenance est impossible pour un chrétien » (in « L’Église et franc-maçonnerie », La Documentation catholique n° 1807, 3/4/1981, p. 444-448).

La désinformation de certaines obédiences

Ce qui n’empêche nullement l’obédience du Droit Humain, sinon avec un certain aplomb, en tous cas avec une ignorance certaine de déclarer sur son site Internet officiel : « À propos de l’excommunication prononcée par l’Église catholique, il faut noter qu’aucune excommunication n’a été prononcée à ce jour. L’Église mentionne depuis 1981 (sic) qu’elle la réserve à ceux qui œuvrent contre elle » (Droithumain-France.org, 30/9/2013). Or l’excommunication dont il s’agit est dite Latæ sententiæ, autrement dit qu’elle s’applique par principe et non pas en fonction de décisions individuelles. C’est-à-dire que tout catholique qui appartient à la franc-maçonnerie est, de fait et de droit, excommunié. Il convient de préciser ici que contrairement à ce qui a été exprimé par de nombreux francs-maçons et que j’ai pu lire ou entendre en Loge, l’excommunication n’est pas un bannissement, ni une exclusion de l’Église. Il s’agit d’une peine médicinale. L’excommunié demeure membre de l’Église et peut assister à tous les offices. En revanche, et c’est théologiquement logique, il ne peut recevoir aucun sacrement, notamment l’Eucharistie.

Il est totalement incompatible d’être chrétien, notamment catholique, et franc-maçon

D’autres loges confirment l’incompatibilité

Par ailleurs, Paul Gourdeau, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, dont on ne saurait par conséquent contester ni la légitimité ni l’érudition, confirmait de son côté en 1990 l’incompatibilité des deux chemins, catholiques et maçonniques : « le combat (sic) qui se livre aujourd’hui […] repose sur l’équilibre de deux cultures : l’une fondée sur l’Évangile et l’autre sur la tradition historique d’un humanisme républicain. Et ces deux cultures sont fondamentalement opposées : ou la vérité est révélée et intangible d’un Dieu à l’origine de toute chose, ou elle trouve son fondement dans les constructions de l’homme, toujours remises en question parce que perfectibles à l’infini » (Paul Gourdeau, Humanisme n° 193, octobre 1990). Il est donc totalement incompatible d’être chrétien, notamment catholique, et franc-maçon (quelle que soit l’obédience maçonnique considérée). Pourtant, le Droit Humain (mais elle n’est pas la seule obédience dans ce cas !) persiste dans son « erreur », par la voix du Président de son Conseil National, Michel Meley : ce dignitaire maçonnique déclarait dans une conférence publique en date du 6 février 2015 à Carcassonne que « la franc-maçonnerie est ouverte à tous ».

La franc-maçonnerie comme religion

Bien qu’elle s’en défende, peut-être à des fins de non-contradiction avec le principe de laïcité qu’elle revendique, la franc-maçonnerie est une religion. L’athéisme ne saurait affranchir certaines obédiences ou loges de cette caractérisation, le concept de religion s’appliquant même en l’absence de foi en un Dieu. Il ne suffit pas de nier une évidence pour transformer une réalité, car la franc-maçonnerie n’est pas autre chose qu’un système de pensée, ou même de croyance, métaphysique et religieux : métaphysique car elle propose une conception de la vérité ultime (même si elle l’estime inaccessible, cette qualification est déjà, par elle-même, une conception métaphysique de la vérité) ; religieux car elle re-lie (de la racine étymologique du mot ligare) ses adeptes. Par ailleurs la franc-maçonnerie possède toutes les caractéristiques d’une religion, concept qui se définit par l’assemblage d’un faisceau d’indices, tant « dans les sciences de la religion, il y a place et matière à définitions multiples, donnant à voir emboîtements et complémentarités » (Régine Azria, avant-propos, Dictionnaire des faits religieux, PUF). Par analogie avec la religion catholique, par exemple, elle possède un mode d’appartenance initial : l’initiation maçonnique (le baptême est une initiation chrétienne) ; des rites (l’Église possède des liturgies et des rites) ; des cérémonies (tel est le cas par exemple des obsèques, lorsqu’une obédience propose « une tenue funèbre » lors du décès d’un franc-maçon) ; un idéal commun (par exemple, le bonheur réalisé sur terre, de l’humanité, ou la profession de foi de l’Église en le salut et la vie éternelle) ; des adeptes (la maçonnerie est composée d’initiés, quand l’Église l’est de fidèles) ; un lien régulier entre ces adeptes (les tenues maçonniques sont obligatoires ; l’Église propose à ses fidèles des offices et la messe).

Certains francs-maçons, et non des moindres, décrivent explicitement la franc-maçonnerie comme une religion à part entière

Il faut ajouter que de nombreuses obédiences croient en un Grand Architecte de L’Univers (en écriture maçonnique, le G.°.A.°.D.°.L.°.U.°. ), même si une religion peut se définir en l’absence même de toute référence à Dieu, ainsi que le note Henri Harvon à propos du bouddhisme : « Dans notre étude […] née uniquement de l’intérêt passionné que l’auteur a pris au spectacle d’une religion athée, et d’un athéisme qui veut atteindre l’absolu » (Le Bouddhisme, P.U.F, 2005, p. 6). En réalité le phénomène religieux peut également s’appréhender tout simplement comme la participation commune à une recherche existentielle, comme c’est le cas de la franc-maçonnerie, qui se définit comme association philosophique : « La religion peut être comprise comme une manière de vivre et une recherche de réponses aux questions les plus profondes de l’humanité, en ce sens elle se rapporte à la philosophie » (Jean Grondin, La Philosophie de la religion, P.U.F, 2009, p.3-6).

Des francs-maçons reconnaissent leur religiosité

Certains francs-maçons, et non des moindres, délaissant les approximations hasardeuses et les postures intellectuelles ambiguës, ce en quoi il faut leur rendre hommage, décrivent explicitement la franc-maçonnerie comme une religion à part entière. C’est ainsi que les Constitutions d’Anderson, qui sont le fondement de la franc-maçonnerie, pour ne pas dire de toutes les franc-maçonneries, précisent dans leur article 1er, c’est-à-dire avec toute la force et la pertinence d’une introduction de principe qu’« il est cependant considéré maintenant comme plus expédient de soumettre [les francs-maçons] seulement à cette religion [la franc-maçonnerie] que tous les hommes acceptent » (Constitution d’Anderson, 1723, article 1er). Oswald Wirth, auteur franc-maçon de référence éminemment érudit et spécialiste de la franc- maçonnerie, notamment dans son aspect occulte, pose la question clairement : « Reste à savoir si la franc-maçonnerie est, oui ou non, une religion » (La Franc-Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, tome « Le Maître », éd. Dervy 1977, p. 41). Et l’auteur y répond sans ambiguïté : « Ayons le courage de nous dire religieux et de nous affirmer apôtres d’une religion plus sainte que toutes les autres. Propageons la Religion de la République (en italique dans le texte) qui formera le cœur des citoyens […] ; nous sommes appelés à exercer, chacun en notre sphère, une prêtrise. »


POTDEVIN

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Un autre auteur précise que « la franc-maçonnerie apparaîtra de plus en plus comme la seule religion digne des hommes (Albert Antoine, cité par G. Serbanesco, Histoire de la franc-maçonnerie universelle, vol. III éd. Demange Paris 1966, p. 27). Enfin, Albert Pike, Grand Commandeur américain du Rite Écossais Ancien et Accepté précise la nature religieuse de la franc-maçonnerie, par l’essence même de son enseignement : « La maçonnerie enseigne et a conservé […] les principes fondamentaux de la vieille foi primitive, qui sont les vases sur lesquels s’appuie toute religion » (A. Preus, Étude sur la franc-maçonnerie américaine, p. 45).

On ne peut appartenir à deux religions

Or si comme nous pensons pouvoir le soutenir, la franc-maçonnerie est bien une religion, ce qui par principe n’aurait d’ailleurs rien de critiquable, bien au contraire, nous sommes contraints d’en conclure que nul ne peut appartenir à deux religions différentes, voire, comme en l’espèce divergentes, et sans doute pour certaines obédiences dont nombre de membres sont athées et anticléricaux (pour ne pas dire anticatholiques), antinomiques : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre » (Mt 6, 24). Il est important de relever que l’adhésion à la franc-maçonnerie relève d’un engagement solennel, c’est-à-dire d’une décision lucide et sincère, et que la profession de sa foi en Christ répond à une sincérité et à un total don du cœur ! On ne peut donc pas s’engager sur deux chemins divergents. Et encore moins y demeurer… Un chrétien convaincu et dont le cœur est profondément offert au Christ ne peut donc être en même temps un franc-maçon sincèrement engagé.

« Adogmatique », la franc-maçonnerie croit cependant la Tradition Primordiale à l’origine de toutes les religions, une affirmation respectable mais sans aucun doute erronée au regard de la foi catholique

Bien qu’elle veuille également s’en défendre, la franc-maçonnerie est bien dogmatique. Elle affirme ainsi plusieurs dogmes, parmi lesquels celui de « la Tradition Primordiale », de l’adogmatisme comme moyen d’accès à la vérité, et de l’inaccessibilité de la vérité. Quand l’Église affirme que les dogmes catholiques sont « des lumières sur le chemin de notre foi, qui l’éclaire et le rendent sûr » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 89), la franc-maçonnerie y voie une expression au mieux superstitieuse, voire péremptoire, limitative et autoritariste. « Adogmatique », la franc-maçonnerie croit cependant la Tradition Primordiale à l’origine de toutes les religions, une affirmation respectable mais sans aucun doute erronée au regard de la foi catholique.

Le dogme de l’adogmatisme

De son côté, l’article 5 de la Constitution internationale du Droit Humain déclare que la franc-maçonnerie « ne professe aucun dogme. Il travaille à la recherche de la vérité ». La conviction que l’accès à la vérité passe par le rejet de tout dogme est peut-être valable pour un franc-maçon, mais cela constitue bien sans conteste une affirmation dogmatique. À supposer même que cela soit vrai pour l’humanité, cela constituerait une vérité autoproclamée (puisque non démontrée scientifiquement et rationnellement), c’est-à-dire un dogme au sens le plus péjoratif du terme selon sa conception maçonnique. Enfin affirmer que l’on s’affranchit de tout dogme est en soi une affirmation dogmatique, en tant que méthode philosophique. En d’autres termes se dire adogmatique, revient logiquement à exprimer le dogme de l’adogmatisme.

Le dithéisme maçonnique

La franc-maçonnerie considère que le monde est sous l’emprise de deux forces d’égale valeur (ce qui est également un dogme). Elle place sur un plan d’égalité le bien et le mal. C’est-à-dire une puissance « divine » (ou supra humaine) du Bien et une autre puissance « divine » du Mal. La franc-maçonnerie est donc manichéenne, voire dithéiste (selon le caractère athée ou déiste de l’obédience considérée). L’un des symboles maçonniques les plus déterminants est le « pavé mosaïque » : il s’agit d’un assemblage de dalles blanches et noires, en forme de damier ou d’échiquier, sur le sol des loges. En tant que symbole de référence fondamental, il signifie que « tout se compense avec une rigoureuse exactitude » (O. Wirth, La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, tome « Le compagnon », éd. Dervy 1984, p. 197), c’est-à-dire le vrai et le faux, le bien et le mal, le beau et le laid, le repos… la fatigue, le plaisir… la douleur, la joie… la peine, la lumière… les ténèbres, le bonheur… l’infortune » (ibid. p. 197). Ainsi la franc-maçonnerie ne conçoit le monde que comme soumis à des forces duales, et place sur un même plan, notamment le bien et le mal. Ce qui, soit dit en passant, est également une affirmation purement dogmatique ! Telle n’est pas la conception de la doctrine chrétienne. Tandis que la franc-maçonnerie affirme un monde sous l’emprise d’un dualisme manichéen, l’Église considère à juste titre que Dieu et Satan ne se situent pas sur le même niveau ! Le premier est Créateur, et le second est créature, même si elle s’est révoltée. Le débat théologique a été tranché depuis longtemps : Dieu n’a pas créé, en lui-même, le mal. Dieu est Tout-Puissant et Satan n’est qu’un ange déchu. Enfin, par la Croix, Dieu a définitivement vaincu le mal. Dieu n’est donc pas l’égale « force spirituelle » au mal.

Le rapport à la vérité

Pour la franc-maçonnerie, la vérité est relative et évolutive, subjective, découverte par l’homme seul et en aucun cas révélée. Rappelons l’affirmation du Grand Maître Paul Gourdeau : « Ces deux cultures sont fondamentalement opposées : ou la vérité est révélée et intangible d’un Dieu à l’origine de toute chose, ou elle trouve son fondement dans les constructions de l’homme, toujours remises en questions parce que perfectibles à l’infini. » Elle est également inaccessible (Rituel d’augmentation au grade de compagnon du Droit Humain et écrit d’Oswald Wirth). La vérité maçonnique est construite par l’homme et par lui seul, au moyen d’une confrontation au symbolisme occulte. Pour un catholique la vérité est objective, transcendante et révélée par Dieu en Christ. La vérité catholique n’est pas un concept : elle est une rencontre avec Christ, accordée par la Grâce de Dieu en l’Esprit Saint. « Jésus lui dit : Moi, je suis le Chemin, la Vérité, et la Vie » (Jn 14, 6).

Mon témoignage

J’ai été franc-maçon pendant 24 ans. J’ai sincèrement cherché dans la démarche maçonnique une spiritualité, un chemin vers une transcendance qui me parlerait de Dieu. Que savais-je de Dieu à l’époque ? Quelques souvenirs de ma communion. J’étais loin de l’Église et ma foi vacillait. La franc-maçonnerie, avec ses secrets, son occultisme, me semblait un chemin. Je l’ai emprunté. J’ai obtenu la plupart des fonctions d’officier, y compris celui de vénérable maître. J’ai été coopté au sein des Hauts Grades, particulièrement occultes et hermétiques, de la franc-maçonnerie. Mais Dieu ne s’y trouvait pas ! Dieu, je l’ai rencontré dans une cellule monacale, un jour que les larmes du Christ se sont mêlées aux miennes. J’ai alors compris ce qu’était l’Amour infini du Seigneur. Il m’a fait la Grâce de me transpercer le cœur avec une puissance aussi irrésistible que miséricordieuse. À moi, franc-maçon à l’époque, pécheur, misérable ver de terre (Ps 22, 7), Jésus disait son Amour !

Nulle place pour la prière, l’oraison, ou l’adoration, dans les travaux maçonniques !

Je prie pour que mes anciens frères et mes anciennes sœurs francs-maçons aient l’immense bonheur de vivre une telle expérience. Comment le pourraient-ils en Loge, où les débats s’enferment dans un rationalisme étriqué, un hermétisme et un ésotérisme qui enferment le cœur sur un pouvoir strictement personnel et humain ? Une Connaissance occulte personnelle et incommunicable aux autres, au lieu d’un abandon total à Dieu ! C’est qu’ils ne savent pas prier ! Nulle place pour la prière, l’oraison, ou l’adoration, dans les travaux maçonniques ! Nulle place en Loge maçonnique pour le silence, qui seul permet d’accueillir la Parole de Dieu. La franc-maçonnerie ne permet nullement d’écouter silencieusement la parole de Dieu. Non, les francs-maçons débattent, argumentent, et parlent sans cesse de symbolisme et de société idéale. Ils se lamentent sur la parole perdue de leur maître Hiram, héros mythique assassiné pour ne pas avoir voulu confier le Secret aux hommes qu’il ne jugeait pas dignes car insuffisamment initiés ! Quand Jésus, vrai homme et vrai Dieu, miraculeusement incarné par la Grâce de l’Esprit et de la confiante et absolue obéissance de notre Sainte Vierge Marie, s’est livré au supplice de la Croix pour nous libérer de nos péchés !

« Ils cherchent un chemin »

Nous devons, nous catholiques, parler de Dieu à nos frères et sœurs francs-maçons. Aux catholiques, je précise qu’il convient de différencier l’erreur, et ceux qui y sont conduits ou qui s’y enferment. Ne pas confondre la franc-maçonnerie dont la doctrine est une impasse occulte, et donc par définition ouvre sur les ténèbres, et les francs-maçons qui sont enfants de Dieu (même s’ils l’ignorent ou le refusent). Nombreux sont parmi les francs-maçons ceux qui cherchent sincèrement un sens à leur vie, et que la doctrine maçonnique aveugle car elle leur a donné une lumière occulte au lieu d’une Lumière d’amour. Ils cherchent un chemin dans un secret de plus en plus complexe et qui les enferme, alors que le chemin qui mène à l’amour de Dieu est tout simple : lui ouvrir son cœur avec confiance et s’abandonner à son amour !

Il reste qu’on ne peut à la fois être engagé sincèrement en franc-maçonnerie et professer une foi catholique authentique. Pour autant, rien n’empêche les catholiques fervents de dialoguer avec les francs-maçons sincères. Le Seigneur notre Dieu nous a créés libres de nos choix. Respectons leur choix, même s’il nous paraît erroné. Demandons-leur de comprendre le nôtre ! Ne nous sommes nous jamais trompés dans notre vie ? Ne nous conduisons nous jamais comme le pharisien qui s’estime, à tort, le plus méritant et seul justifié devant Dieu (Lc 18, 9-14) ? Apprenons-leur à respecter notre foi, à ne jamais la mépriser, et surtout à différencier la laïcité, que le Christ seul nous a enseignée (Lc 20, 20-25), qui ne doit donc rien à l’humanisme des Lumières, et la posture laïcarde qui n’est qu’une intolérance outrancière à l’égard du croyant. Apprenons aux francs-maçons que nos frères et nos sœurs sont tous les hommes et toutes les femmes du monde entier, et non une poignée d’initiés qui partagent la même loge fermée sur elle-même. C’est cela le véritable universalisme !
Apprenons-leur le message d’amour du Christ et demandons-leur d’avoir le courage de se laisser aimer par lui !




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