“La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres…” D’où vient cette formule ? Est-ce la meilleure définition de la liberté ? Cet adage est issu tout droit des philosophies dits « contractualistes » des Lumières. Comprenez : dans un monde où chacun roule pour soi, et où tous ont les mêmes besoins fondamentaux, si chacun se met en tête de faire absolument ce qui lui plaît, personne n’aura grand-chose, voire rien. Prenons un exemple au hasard : dans un monde où chacun espère vivre en bonne santé aussi longtemps que possible, tous ont intérêt à s’empêcher de se postillonner à la figure, même si personne n’aime se couvrir le nez d’un masque du matin au soir. N’importe qui est capable de comprendre ce que voulaient signifier Hobbes, Rousseau ou Kant : une absolue liberté pour tous est la fin de la sécurité de chacun, chaque individu doit donc dans son propre intérêt renoncer à l’exercice de son bon vouloir absolu. Il faudra adopter des règles qui garantissent la sécurité de tous, qui nous protègent de nos mutuels appétits de pouvoir. Une fois ces règles adoptées, la défense des libertés peut s’organiser : liberté d’opinion, d’expression, d’association, de mouvement…
Fais ce que tu veux, sans déranger ?
Étonnons-nous cependant de ce que cette maxime visant la vie en commun, et permettant de poser les bases d’un fonctionnement démocratique soit devenue l’alpha et l’oméga de la conduite individuelle, et collective. Fais ce que tu veux, du moment que tu ne déranges personne. Ou explore tous les possibles, du moment que l’autre est consentant. Je suis libre se traduit alors ainsi : je fais tout ce qui me plaît tant que je n’empiète pas sur la liberté des autres. C’est oublier deux choses :
La liberté est un engagement
Premièrement, notre liberté n’est pas d’autant plus grande que notre champ des possibles s’étend : celui qui a tout à sa portée mais ne choisit jamais rien, devant qui s’ouvre toutes les portes mais n’en pousse jamais aucune est exactement dans la même situation qu’un homme empêché. Il ne fait rien, non par impossibilité mais par impuissance à vouloir, à choisir, à s’engager. En réalité, notre liberté est d’autant plus grande, que notre capacité à nous engager est forte, solide, vigoureuse.
La liberté se prouve et s’éprouve dans l’engagement, l’engagement se déclenche quand l’amour entre en scène.
Au service d’un bien
Deuxièmement, l’essence de la liberté est ailleurs, elle ne se mesure pas à la quantité des choix qui s’offrent à nous. La question qui mérite d’être posée n’est pas : « Jusqu’où peut aller la liberté : liberté d’opinion, d’expression, de déplacement ? » La question seule question qui vaille est : « Une liberté : pour faire quoi ? » Ainsi, ce qui nous rend libre c’est avant tout d’avoir encore et toujours la capacité à former des projets qui valent la peine qu’on se lève et qu’on se batte. Paradoxalement une vraie liberté est toujours au service d’un bien, lumière pour l’intelligence, élan pour la volonté. Ne défendons pas les libertés dans un objectif stérile de préservation d’elles-mêmes : la liberté se prouve et s’éprouve dans l’engagement, l’engagement se déclenche quand l’amour entre en scène.
Ainsi ma liberté s’arrête non pas là où commence celle des autres : ma liberté s’arrête lorsque je n’ai rien à aimer, lorsque je ne vois plus rien qui vaille la peine d’être sauvé. Décider d’aimer la vie, et vouloir un monde où chacun ne roule pas pour soi, voilà précisément le cœur de notre liberté : c’est à la valeur de nos objectifs que se mesure notre liberté.
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