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Birmanie : une union inédite contre le pouvoir militaire

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AFP

Manifestations à Naypyidaw, (Birmanie) contre le coup de force militaire. Février 2021.

Agnès Pinard Legry - publié le 24/02/21

Un mouvement de contestation sans précédent traverse la Birmanie depuis le coup de force de l’armée le 1er février et l’arrestation d’Aung San Suu Kyi. Toutes les communautés ethniques et religieuses se retrouvent dans les rangs des manifestants.

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Rangoun, Naypyidaw, Mandalay, Inle, Amarapura… Les images sont saisissantes. Chaque jour depuis l’arrestation d’Aung San Suu Kyi et le coup de force de l’armée le 1er février, des dizaines de milliers de Birmans défilent dans les rues de toutes les villes du pays afin de réclamer la libération de la dirigeante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND). À Rangoun, la capitale économique, c’est équipés de casseroles sur lesquelles ils tapent afin de « chasser le démon » qu’ils protestent. À Mandalay, la deuxième plus grande ville de la Birmanie, les pancartes à l’effigie d’Aung San Suu Kyi fleurissent dans les rues. Dans les cortèges, les jeunes arborent fièrement le salut aux trois doigts levés du film The Hunger Games popularisé lors du mouvement de contestation en Thaïlande en 2014. Sur les réseaux sociaux, les hastags #WeNeedDemocracy, #SaveMyanmar, #PeaceAndJustice et #ReleaseOurLeaders inondent les conversations. Ce que l’armée birmane prenait pour un ruisseau sur le point de s’assécher se révèle être une vague, une déferlante que les généraux n’avaient pas prévu.

« C’est une surprise par leur capacité de rassemblement, leur audace et l’aspect innovant de cette contestation ! », observe Sophie Boisseau du Rocher, chercheur Centre-Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI). « Du fait de l’engagement de la population et du mouvement de désobéissance civile, on a vraiment un rapport de force très différent de ce qu’on a pu voir par le passé », analyse-t-elle. « La population birmane a l’habitude de contester, de résister. On l’a vu en 1988, 1990, 2007. Mais aujourd’hui il y a quelque chose de nouveau et ce quelque chose de nouveau s’établit sur le refus de laisser l’armée revenir aux commandes du pays ».

« Le mouvement de protestation qui a suivi l’arrestation d’Aung San Suu Kyi portée par son parti, la LND, était assez prévisible », note de son côté David Camroux, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences-Po Paris, spécialiste de l’Asie-Pacifique. « Ce qui ne l’était pas, c’est que ce mouvement soit rejoint par une masse de personnes réclamant le retour de la démocratie qui va bien au-delà du soutien à Aung Sa Suu Kyi ». La contestation touche donc toute la société, y compris les fonctionnaires. À Naypyidaw, par exemple, capitale administrative artificielle créée en 2005 par l’ancien dictateur où un tiers des habitants sont des militaires, les manifestations sont extrêmement nombreuses. Shans, Kachin, Kayah, Môn… Toutes les ethnies, les communautés ont pris part à la mobilisation. « Celles qui ont hésité au début à contester le coup de force ont été dénoncées par les concitoyens, ce qui les a contraintes à rejoindre le mouvement de résistance », détaille Sophie Boisseau du Rocher. « On voit apparaître une unité, conjoncturelle certes, de la résistance. Les militaires ont réussi à faire l’unité contre eux ». Un point de vue que partage David Camroux. « En Birmanie il y a un lien entre l’ethnicité, la religion et le territoire, ce qui donne lieu en temps normal à des réalités très diverses. Mais aujourd’hui, tous se retrouvent dans ce mouvement de contestation ».

L’Église catholique a pris position en faveur du mouvement de résistance et l’a fait de façon beaucoup plus claire que la communauté bouddhiste.

Dans les rangs hétéroclites des manifestants, on distingue aussi les sobres voiles de quelques religieuses. La congrégation des sœurs de Saint Joseph de l’Apparition, basée à Rangoun, apporte un soutien visible aux manifestants. Les sœurs n’hésitent pas à défiler à leurs côtés en leur apportant du café, de l’eau et de la nourriture. Sur les réseaux, les sœurs, très actives, multiplient les appels à la paix et à la prière. Apprenant qu’il y avait de premières victimes lors de ces manifestations, elles les ont portées dans leurs prières avec ces mots : « Aux héros de la démocratie que nous soutenons chaque jours ». Dans le pays qui compte au total à peine plus de 6% de chrétiens (et moins de 3% de catholiques), l’Église catholique a bien évidemment un rôle limité. Mais un rôle qu’elle tient à assumer. « La paix est possible. La paix est la seule voie et la démocratie est la lumière de cette voie », a déclaré deux jours à peine après le coup d’État militaire l’archevêque de Ragoun, le cardinal Bo. « Il a publiquement demandé à ce que les règles du jeu démocratique soient respectées, que les résultats des élections soient appliqués avec dignités », reprend Sophie Boisseau du Rocher. « Agissant ainsi, l’Église catholique a pris position en faveur du mouvement de résistance et l’a fait de façon beaucoup plus claire que la communauté bouddhiste ».

sœurs de Saint Joseph de l’Apparition birmanie
Sœurs de Saint Joseph de l’Apparition

Pourquoi un tel coup de force de l’armée aujourd’hui ? Le parlement birman élu en novembre 2020 devait se réunir pour la première fois ce 1er février, jour de l’arrestation d’Aung San Suu Kyi. « L’armée entendait éventuellement partager le pouvoir avec la LND tout en gardant l’ultime pouvoir décisionnel. Or depuis l’arrivée de la LND au pouvoir, l’armée a constaté une contestation de plus en plus grande de ses prérogatives, partagée par les citoyens », analyse Sophie Boisseau du Rocher. « Elle devait donc agir vite et empêcher que le Parlement ne se réunisse ».




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La question qui se pose aujourd’hui est celle du rapport de force. « A-t-il véritablement été modifié et donne-t-il aux citoyens plus d’arguments pour résister à l’armée ? », s’interroge encore le chercheur. « Nous sommes dans un rapport de force mental et il est impossible de savoir qui va l’emporter. Mais ce qui est sûr, c’est que l’armée ne s’attendait pas à l’ampleur de ce mouvement de résistance et à l’innovation dont font preuves les jeunes et l’ensemble de la population pour dire leur mécontentement ». Un mécontentement qui pourrait malheureusement selon elle se transformer en conflit. « L’armée a annoncé qu’elle allait tirer sur les foules pour rétablir la stabilité. Ce qui est inquiétant, c’est que généralement quand elle dit quelque chose, elle le fait ». Le ministre des Affaires étrangères birman, nommé par la junte, s’est rendu à Bangkok (Thaïlande) ce mercredi pour des discussions avec les puissances régionales afin de trouver une issue à la crise. L’Indonésie a pour sa part annoncé être en discussion avec les différentes parties impliquées dans la crise birmane.

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BirmanieGuerrePaix
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