Ce devait être un moment people, c’est devenu un moment politique. Le Premier ministre anglais Boris Johnson s’est marié dans la stricte intimité, mais cet acte privé est devenu public et a pris une tournure politique quand les Anglais ont découvert que la cérémonie était catholique. Baptisé dans la foi catholique, Boris Johnson est ensuite devenu anglican durant ses études et c’est dans cette confession qu’il est officiellement entré à Downing Street. Mais c’est dans la foi de Rome qu’il habite désormais la maison du numéro 10. Loin d’être anecdotique, cet événement montre un profond changement dans la vie politique anglaise. Si Boris Johnson est le premier catholique chef du gouvernement, c’est parce que la tradition politique anglaise a longtemps considéré que le catholicisme était interdit pour accéder à ce poste. Tony Blair, Premier ministre de 1997 à 2007, a ainsi attendu la fin de ses fonctions pour annoncer sa conversion à l’Église de Rome.
Guerres de religion
Ce rapport complexe à la religion catholique rappelle que l’Angleterre a longtemps combattu les « papistes ». Depuis Henry VIII, le royaume est très divisé sur ce sujet. Jacques II Stuart dut quitter son royaume du fait de sa conversion et de sa défaite et trouva refuge en France, où il décéda à Saint-Germain-en-Laye. Entré secrètement dans la foi catholique en 1668, sa foi fut rendue publique en 1673 lorsque le Parlement adopta le Test Act par lequel les responsables civils et militaires devaient prêter serment de renier la doctrine de la transsubstantiation. Devenu roi en 1685, Jacques II eut à affronter une révolte de la noblesse dont l’un de ses neveux était le meneur, sa défaite aboutissant à la « Glorieuse révolution » de 1688 et l’arrivée au pouvoir de Guillaume d’Orange.
Le sentiment antipapiste demeura très fort au Royaume-Uni, aussi bien en Angleterre qu’en Écosse. La conversion de John Henry Newman (1845), créé ensuite cardinal par Léon XIII, conduisit un nombre important de membres du mouvement d’Oxford à revenir à la foi catholique. Au début du XXe siècle, ce furent notamment les conversions de Chesterton et Tolkien qui replacèrent le catholicisme au cœur du débat intellectuel et littéraire. Il fallut attendre 2010 et Benoît XVI pour la première visite officielle d’un pape en Angleterre, quand Jean Paul II dut se contenter en 1982 d’une visite strictement pastorale. En dépit des vives oppositions, le pape Benoît rencontra les autorités politiques, béatifia le cardinal Newman et fit un discours demeuré célèbre à Westminster. La confession publique de Boris Johnson au catholicisme durant son mandat de Premier ministre peut être vue comme un fruit positif du voyage de Benoît XVI, qui a contribué à désamorcer les réticences à l’égard du catholicisme et à rendre cette foi plus visible pour l’opinion et plus compréhensible pour les Anglicans.
Un futur roi catholique ?
En 2019, la venue au catholicisme de Gavin Ashenden, ancien aumônier personnel de la reine d’Angleterre de 2007 à 2018, a révélé la présence du catholicisme au plus haut niveau de la famille royale. Sa conversion au catholicisme était notamment motivée par les dérives laxistes et l’abandon de grands piliers de la foi chrétienne de la part d’une partie de la hiérarchie anglicane. La publication en 2009 de la constitution apostolique Anglicanorum Coetibus permettant la création d’ordinariats regroupant les anciens prêtres et évêques anglicans devenus catholiques a permis le passage effectif de l’un à l’autre. Face au dynamisme catholique et aux divisions anglicanes, notamment sur les sujets de mœurs, l’avenir de l’Église anglicane s’avère compliqué. Le futur de l’Angleterre passera peut-être par le catholicisme, mettant alors un terme au premier Brexit, celui de la rupture avec Rome.
Si le catholicisme anglais devait poursuivre sa dynamique, verrait-on un jour de nouveau un roi catholique ?
Boris Johnson devient donc le premier Prime minister officiellement catholique depuis que cette fonction existe sous sa forme actuelle (1721). Certes, pour lui la question de la foi ne semble pas essentielle ni structurer sa pensée et son action politique, mais c’est toutefois le signe d’un changement important au Royaume-Uni puisque cette confession publique de la foi catholique n’était pas possible il y a encore une vingtaine d’années. Cela peut peut-être contribuer à renforcer les liens diplomatiques entre le Royaume-Uni et le Saint-Siège, dont le poste de Secrétaire pour les relations avec les États est aujourd’hui occupé par un Anglais, Mgr Paul Richard Gallagher. Mais cela pourrait aussi ouvrir des perspectives politiques plus fortes pour le Royaume-Uni lui-même. L’un des députés conservateurs les plus en vue et potentiel successeur de Boris Johnson est Jacob Rees-Moog, catholique et actuel Leader de la Chambre des Communes. Avec l’annonce officielle de Boris Johnson, la foi catholique de Rees-Moog n’est plus un obstacle à l’obtention du poste de Premier ministre. Si tel devait être le cas, il serait alors le premier catholique à entrer à Downing Street.
La question non publiquement posée, mais forcément dans les esprits, porte sur le premier échelon de l’État anglais : le souverain. Si le catholicisme anglais devait poursuivre sa dynamique, verrait-on un jour de nouveau un roi catholique ? L’avenir le dira, mais si tel était alors le cas, ce serait une revanche pour Jacques II.