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« Contrairement aux apparences statistiques, un pape n’est pas plus facilement canonisé »

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Krzysztof Stępkowski

Augustin Talbourdel - publié le 17/07/21

Sur les quelque 10 000 saints que compte l’Église, 83 sont papes. Ce qui représente plus d’un tiers des Souverains pontifes de l’histoire. L'historien Roberto Rusconi, auteur de Santo padre : La santità del papa da san Pietro a Giovanni Paolo II, revient sur la canonisation des papes dans l’histoire de l’Église.

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Pourquoi la majorité des papes canonisés ont-ils vécu durant le premier millénaire du christianisme ?
Roberto Rusconi : Lors du premier millénaire du christianisme, il n’existait pas de procédure formelle pour la canonisation d’un baptisé, comme c’est le cas aujourd’hui. La sainteté, quelque soit l’individu concerné, était reconnue par la communauté, par les évêques ou par un synode des évêques. Certes, la reconnaissance de la sainteté n’avait pas lieu sans procédures et sans informations sur le pontife, mais elle n’était pas codifiée. En outre, la liste des papes vénérés comme saints se constitue, pour faire bref, entre le VIIIe et XIIe siècle. Ces reconnaissances de sainteté sont introduites dans la liturgie dans ce qu’on nomme le « sanctoral ». C’est une façon d’honorer la mémoire d’un saint. La reconnaissance, à l’époque, était donc d’abord de type liturgique : elle s’inscrivait dans la prière quotidienne des fidèles. Enfin, la grande majorité des papes, avant la reconnaissance du christianisme comme religion officielle de l’Empire romain, vers la fin du IVe siècle, était considérée, à l’époque, comme des martyrs. A posteriori, les historiens ont établi que seuls trois d’entre eux sont réellement morts en martyr. Dans ces cas-là, on comprend que la dévotion prévale sur la philologie.

Quand le procès de canonisation des papes a-t-il changé et pourquoi ?
Il faut attendre 1234, sous le pontificat de Grégoire IX, pour que soit introduit pour tous un vrai procès de canonisation. À partir de cette époque, la canonisation requiert une enquête, des témoignages, des commissaires. Le dossier du postulant parvient alors jusqu’au consistoire des cardinaux, puis jusqu’au pape. Tous vérifient la légitimité du dossier et, éventuellement, le proclament saint. À cette époque, la différence formelle entre bienheureux et saint n’existait pas encore : elle fut introduite au XVIIe siècle.

C’est une période de l’histoire de la papauté qui connaît, de fait, de nombreuses canonisations plus ou moins obscures. Le cas de Clément III est assez significatif. Élu pape par la force — on devrait dire pseudo-pape ou anti-pape — en 1080, Clément III a occupé le ministère pétrinien durant le conflit entre le Saint-Empire romain germanique et l’Église romaine. La légitimité du pape dépendait alors du vainqueur de ce conflit. Or, le parti de Clément III a perdu. En réalité, il a eu une réputation de saint, bien qu’assez discrète dans la région du Latium, à tel point que son successeur, Pascal II — que l’on considère aujourd’hui comme le pape romain légitime de l’époque — a même fait disperser les restes afin de supprimer le culte à son sujet. Un autre cas, bien que différent, est celui de Célestin V, au XIIIe siècle. Il renonce à la papauté quelques mois après son élection, à l’âge de 85 ans. La monarchie française d’Anjou se montre favorable à la canonisation de Célestin contre la mémoire de Boniface VIII. Devant les pressions du monarque, le prélat de l’époque, un Français, Clément V, trouve une solution : il canonise Célestin V, non comme un pape, mais comme moine, de son vrai nom Pietro de Morrone. Beaucoup plus tard, on le nommera saint Pietro Celestino.

À partir du XIXe, la dévotion au pape se développe, en particulier en France. Un lien quasiment direct se crée, chez les fidèles, avec un Souverain pontife qui n’est plus anonyme, lointain.

Dans l’histoire récente, depuis le concile Vatican II, comment les papes sont-ils canonisés ?
À partir du XIXe, à peu près en même temps que la disparition des États pontificaux dans la péninsule italienne, le rapport entre les fidèles catholiques et le pape s’améliore de manière significative. La dévotion au pape se développe, en particulier en France. Un lien quasiment direct se crée, chez les fidèles, avec un Souverain pontife qui n’est plus anonyme, lointain, mais connu. Dès Léon XIII, les photographies et les films faits sur le pape aident beaucoup à rendre l’évêque de Rome plus populaire. Dans le même temps, et pour les mêmes raisons — meilleures informations sur les papes —, les procédures de canonisation sont peu à peu ralenties. Encore une fois, cela dépend beaucoup des cas et des contextes. Pie IX est béatifié à la fin du XXe, plus d’un siècle après sa mort, tandis que la canonisation de Pie X s’est faite rapidement : il meurt en 1914 et est canonisé en 1954.

Il est de coutume d’adresser au pontife le titre de « Sa Sainteté ». En quoi consiste la sainteté pour un pape ?
Dans l’Antiquité, le titre « sa sainteté » était adressé à tous les évêques. Progressivement, à partir du VIIIe siècle, elle n’est donnée qu’à certains d’entre eux ayant un statut particulier, avant d’être entièrement réservée au pape, ainsi qu’aux patriarches des Églises orientales, à partir des XIVe et XVe siècles. Quant à la sainteté, dans le cas d’un pontife, cela dépend beaucoup de ce dernier et de l’époque en question. Prenons le cas de Pie IX. Dans les premières années de son procès de canonisation, on l’a érigé en défenseur des droits de l’Église contre la naissance du royaume d’Italie. Cependant, il doit finalement sa béatification — il n’a pas encore été canonisé — à son statut de pape du concile Vatican I. En quelques décennies, de l’ouverture du procès en 1907 à la béatification en 2000, l’image que nous avons de lui a entièrement changé.

Sur les 266 papes de l’histoire, 83 ont été canonisés : est-il plus facile d’être saint quand on est pape ?
Contrairement aux apparences statistiques, un pape n’est pas plus facilement canonisé. Depuis que le procès de canonisation a été introduit jusqu’à aujourd’hui, les reconnaissances de sainteté des papes ont été très peu nombreuses et les procès de canonisation sont beaucoup plus longs (et coûteux) que par le passé. Après Célestin V (1313), le pape suivant à être canonisé est Pie V, le pape de la bataille de Lépante (1571). Ensuite, il faut attendre Pie X et les papes du XXe siècle.

La canonisation d’un pape est-elle une affaire politique ?
En grande partie, oui. En canonisant Pie X, on a canonisé un pape qui, dans l’imaginaire ecclésiastique, reste associé à la répression du modernisme. Sa canonisation est, d’une certaine façon, un sceau sacré qui est posé sur le pontificat de Pie XII qui voulait canoniser Pie X durant l’année sainte 1950 — année de la canonisation de Maria Goretti. La difficile avancée du procès de béatification de Pie XII reflète aussi les tensions politiques autour de ce pape.

La canonisation trop rapide d’un pape présente-t-elle des risques ?
Oui, c’est toujours un risque. Le cas de Jean Paul II est emblématique. En 1983, le pape polonais a introduit un ensemble de normes qui ont accéléré le procès de canonisation, réduisant l’intervalle pour l’ouverture de la procédure à cinq ans et permettant aussi les dérogations, comme il l’a fait dans le cas de Mère Teresa. Immédiatement, on a dérogé pour lui aussi et procédé très (voire trop) rapidement à sa canonisation. Quand on pense à la quantité de documents que pouvait contenir le dossier d’un pape dont le pontificat a duré 27 ans… Il y a quelque chose de l’ordre de l’engouement populaire. Sa canonisation a essentiellement procédé avec, pour base, les biographies du pontife qui ont été publiées au même moment. Certains commissaires qui ont participé au procès de canonisation ont fait remarquer que cela se produisait trop hâtivement. Ces derniers temps, certains autres, devant les problèmes épineux qui n’ont pas été résolus durant son pontificat et qui ont resurgi récemment, ont fait le même constat.

De nombreux traits marquants des papes peuvent nous inspirer. Mais la canonisation d’un pape, dans une conception hiérarchique, obéit davantage à une reconnaissance du rôle de la papauté par l’Église.

Pourquoi canonise-t-on un pape ?
Évidemment, un pape canonisé n’est pas considéré comme un saint comme peut l’être tout autre chrétien baptisé. Tous les chrétiens ont vocation à être saints, mais tous n’ont pas vocation à être papes. Reconnaître la sainteté d’un pape, surtout à l’époque contemporaine, revient au fond à reconnaître le rôle de la papauté comme institution. Certes, de nombreux traits marquants des papes peuvent nous inspirer. Mais la canonisation d’un pape, dans une conception hiérarchique, obéit davantage à une reconnaissance du rôle de la papauté par l’Église. À titre personnel, comme je le montre dans mon ouvrage, les raisons de la canonisation d’un pape peuvent être d’un ordre plus politique. Dans le cas de Jean Paul II, par exemple, la canonisation du pape a marqué du sceau du sacré tout son pontificat. À la mort de Jean XXIII, alors qu’on cherchait à le canoniser rapidement au cours du concile Vatican II, Paul VI a bloqué le procès de canonisation. Pourquoi ? Outre les problèmes de procédure, Paul VI savait que la canonisation de Jean XXIII lui aurait lié les mains : il n’aurait pas pu montrer certains désaccords avec les orientations et les décisions d’un pape déclaré saint.

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Béatification et canonisationPape FrançoisSaint
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