Rome, an 62. Le soir tombe sur la prison de Mamertine et un calme insolite y règne. D’ordinaire, il y a toujours du bruit. Mais depuis quelques jours, on n’entend plus les gémissements de désespoir ou les cliquetis de chaînes qui hantent normalement les geôles. Une sérénité étrange s’est emparée des lieux.
C’est ce que remarque Martinien en arrivant au mont Tarpéien. Soldat de métier, il n’a jamais eu à garder une prison si calme. Peut-être que les prisonniers sont trop épuisés pour faire le moindre bruit ? Martinien se méfie. Trop de calme dans une prison ne présage rien de bon.
D’habitude, les prisonniers qui demandent autant de surveillance sont généralement des ennemis importants de l’empire. Ce Pierre est certes un blasphémateur, mais pourquoi tant de précautions pour un homme quelconque ?
Un prisonnier hors du commun
Arrivés devant la cellule de Pierre, les soldats s’étonnent de trouver une dizaine de leurs compatriotes. Ceux-ci écoutent attentivement leur prisonnier parler. Furieux, Martinien les chasse de là.
À son tour, le soldat observe Pierre à travers les barreaux. C’est un vieillard à la barbe blanche, déchaussé et vêtu d’une tunique miteuse. Malgré cela, une extrême sérénité se lit sur son visage et il salue poliment les nouveaux venus. Martinien et son compagnon prennent place devant la cellule et entame leur tour de garde. Mais bien vite, la curiosité prend le dessus.
– Que racontais-tu pour que tes geôliers t’écoutent ainsi ? demande-t-il.
– On m’a demandé ce que je faisais ici, répond Pierre. Et j’ai répondu que j’étais là pour avoir propagé les paroles de mon Seigneur et maître, Jésus Christ.
Ce nom, Martinien l’a déjà entendu. Ce Pierre est donc un chrétien, un serviteur de l’homme crucifié pour s’être proclamé fils de Dieu il y a plusieurs décennies.
– Ton maître est mort, n’est-ce pas ? Pourquoi servir un homme mort ?
– Certes, mon maître est mort, répond Pierre en riant. Il a emporté toutes les fautes des hommes et est revenu sans elles. Car mon Seigneur est homme et Dieu.
Ces paroles devraient être d’une absurdité sans nom pour le romain. Pourtant, la réponse de Pierre l’intrigue et la curiosité ne le lâche plus. Il demande à Pierre de lui parler de son maître. Même Processus écoute attentivement. Pierre conte les miracles du Christ et la Résurrection dont il a été témoin. Sans lassitude, il enseigne à Martinien l’amour de Jésus pour les hommes. Il parle jusqu’à la nuit tombée. Et les légionnaires sont pendus aux lèvres de l’apôtre.
Une conversion et un miracle
– Si ton Dieu aime tous les hommes, alors m’aime-t-il aussi ? Moi qui adore Mars, dieu de la guerre ? Moi qui persécute ses disciples ?
– Le plus indigne parmi les hommes est aimé autant que le plus pur de tous. Il n’y a pas de place pour la haine dans le cœur de mon Seigneur. Je te le dis, toi, Martinien, le Christ t’aime autant que moi.
À ces mots, le cœur de Martinien s’enflamme et sans crier gare, une larme lui échappe. Comment Pierre connaît-il son nom si ce n’est son Dieu qui le lui a murmuré ? Les jambes du soldat se dérobent sous lui et il tombe à genoux devant son prisonnier.
– Pierre, s’écrie-t-il. Je vais de ce pas te chercher de l’eau, alors baptise-moi au nom du Christ.
Le vieillard sourit. Il tourne ses mains et son regard vers le ciel. Il demande à Jésus de lui accorder la grâce de faire entrer les deux soldats dans la chrétienté. Quelque chose de froid touche alors le genoux de Martinien. Un ruisseau s’écoule de la roche sèche de la cellule de Pierre.
La volonté de Dieu ne peut être plus claire. Pierre trempe ses mains dans la petite source et baptise ses geôliers. Quarante autres auraient été convertis par Pierre en même temps qu’eux.
Martinien ne tarde pas à payer de sa vie sa conversion. On raconte qu’il subit mille tortures sans jamais renier le Christ. On finit par le décapiter sur la voie Aurélia. Selon la tradition, c’est sainte Lucine qui récupère et ensevelit leurs corps.
Au IXe siècle, le pape Pascal Ier fait transporter ses reliques à la basilique Saint-Pierre. Il est le saint patron des gardiens de prison.