Reims, 1083. Le soleil n’est pas encore levé, et la messe du matin est encore loin. Une lourde pluie arrose la ville et berce le sommeil des habitants. Mais une âme troublée fait les cent pas dans sa chambre. Bruno n’arrive pas à fermer l’œil.
Pourtant, il devrait se réjouir. Après des années de combat et deux conciles, l’évêque Manassès de Gournay a enfin été chassé. Cet individu qui a fait serment de servir Dieu, s’enrichissait en vendant les biens sacrés de l’Église. Ce cupide a commis une grave erreur en voulant entraîner Bruno dans ses affaires. Lorsque ce dernier a refusé, Manassès a tenté de le discréditer auprès de leur semblable. Mais la droiture et l’humilité de Bruno ne l’ont pas trahi. Après dix ans de lutte, la justice a enfin gagné. Pourtant, Bruno n’est pas moins ennuyé.
Le mérite de la gloire
Depuis la fin de cette sombre affaire, on le réclame partout. D’une part, on veut faire de lui l’évêque de Reims, pour prendre la place de Manassès. Le pape Urbain II veut le nommer archevêque de Reggio. Dans toutes les grandes villes, on veut l’entendre parler, lire ses essais de théologies…
Avec la gloire, on lui offre aussi le salaire digne de ces fonctions. Les lettres qu’on lui adresse pour le conjurer de prendre tel ou tel poste ne manquent pas de lui rappeler l’or à la clef. Ce même or qui fait tourner la tête des hommes comme Manassès.
Bruno ne peut s’imaginer garder l’esprit sain au milieu d’une montagne d’or et d’éloge. Comment pourrait-il trouver la dignité et la richesse du Christ au milieu des biens terrestres convoités par les hommes ? Tout n’est que poussière à côté de l’amour de Dieu. Rien de ce monde ne les suivra au royaume éternel.
Bruno trouve la paix et le bonheur dans la solitude sacrée où il partage son âme avec Jésus. Que sont les richesses des hommes à côté de la reconnaissance du ciel ? Décidément, la voie de l’ermite est bien attrayante.
L’aube des chartreux
Bruno prend alors congé des fidèles de Reims après un dernier sermon sur le renoncement aux vanités du monde. Avec quelques compagnons inspirés, il se rend auprès de saint Robert de Molesme (1029-1111). Ne voulant pas être livré à lui-même, il se met sous la direction du sage moine. Bruno veut être bien initié à la vie d’ermitage avant de pouvoir suivre sa vocation.
À l’été 1084, Bruno et six compagnons se rendent au massif de la Grande-Chartreuse. Selon l’évêque de Grenoble, c’est le meilleur endroit pour y trouver la solitude. Bruno les a prévenus mainte fois qu’en le suivant ils abandonneraient tout. Rien n’y fait, ses compagnons rejettent aussi la vanité du monde.
Pendant des jours, ils se frayent un chemin en passant par broussailles, gouffres périlleux et bois infestés. Mais plus ils s’éloignent, plus ils se rapprochent du désert qu’ils désirent. Une vie loin du monde qui ne souhaite que louer Dieu et ses merveilles. Enfin, ils arrivent en haut d’une falaise. Une clairière et une vue sans pareille les accueillent.
– Bonté, bonté ! s’exclame Bruno, ému par la splendeur des lieux. Le Seigneur est si bon de nous donner un endroit où l’adorer.
Dans cette clairière va naître un premier monastère et l’ordre des chartreux. Ce sera l’un des plus influents et des plus honorés de l’Église. Bruno de Cologne s’éteint en 1101 en Italie sans se douter du précieux héritage qu’il laisse derrière lui. Il est fêté le 6 octobre. Aujourd’hui, on retrouve les chartreux en Europe, Asie, Amérique du sud et du nord.