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« Quand Notre-Dame d’Albert tombera, la guerre finira… »

notre dame de brebières

Collection particulière

Anne Bernet - publié le 26/10/21

L’historienne Anne Bernet poursuit son pèlerinage des sanctuaires marials pour le mois du Rosaire avec l’histoire de Notre-Dame d’Albert (Somme). Sa destruction prophétique devait annoncer la fin de la Grande Guerre.

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Peut-être s’agit-il d’un cas unique. Notre-Dame de Brebières, à Albert (Somme), doit sa célébrité mondiale aux événements qui conduisirent à sa destruction, que ce vieux sanctuaire picard n’eût jamais connue sans les désastres de la Grande Guerre de 1914-1918. Tout commence d’une façon très classique, comme dans l’histoire de la fondation de très nombreux pèlerinages sans que ces similitudes doivent pour autant inciter à croire à de pieuses fantaisies ; cela rappelle seulement que notre pays a connu un passé traversé d’invasions, violences, incendies, persécutions et meurtres, expliquant la disparition de dévotions anciennes.

Nous sommes en 1138, dit la chronique. Ou un peu avant car cette date est en fait celle de la première mention de Notre-Dame de Brebières. Près de la petite ville picarde d’Ancre, rebaptisée Albert au XVIIe siècle, un berger fait paître ses moutons. Depuis quelques jours, il assiste, agacé, au manège d’une de ses brebis qui s’acharne, quoique l’herbe soit plus verte et plus épaisse ailleurs, à revenir toujours brouter la même touffe rase. Les cris, et même les coups de houlette ne découragent pas l’animal qui s’obstine. Cela est si peu dans le caractère ovin que l’homme se décide à y regarder de plus près et à creuser à cet emplacement. Sans doute n’y va-t-il pas de main morte car, soudain, alors qu’il vient de heurter quelque chose d’enfoui, il entend une voix de femme qui crie : « Arrête, berger ! Tu me fais mal ! » Sidéré, le pastoureau découvre qu’il a mis au jour une antique statue de grès jaune représentant la Vierge à l’Enfant, un agneau couché à ses pieds.

Prévenu, l’évêque, selon ce qui se faisait en pareil cas, quand on retrouvait ainsi les vestiges d’une dévotion ancienne anéantie lors de quelque désastre, érigea une chapelle à l’emplacement de cette découverte et la confia à un prieuré bénédictin. On appela la Madone Notre-Dame de Brebières, tant à cause de l’agnelet qui l’accompagnait qu’à cause des circonstances de son invention miraculeuse. Tout naturellement, les bergers firent d’elle leur sainte patronne. Ce culte demeura très modeste, très local, en dépit d’un charmant pèlerinage chaque 8 septembre qui voyait passer des troupeaux enrubannés et des chœurs de pasteurs, et même en dépit de l’attachement du seigneur d’Ancre, Monsieur d’Humières, l’un des chefs de la Ligue qui, à la fin des Guerres de religion, plaça la défense du catholicisme sous la protection de Notre-Dame de Brebières.

Le réveil catholique

Les guerres, qui dévastèrent la Picardie dans les décennies suivantes, mirent un terme à tout cela et le retour de la paix ne ramena pas les pèlerins. En 1727, constatant l’abandon du pèlerinage et le mauvais état du sanctuaire, l’évêque d’Amiens jugea sage de le faire fermer et de transférer la statue, qui n’était plus celle d’origine, disparue dans des circonstances inconnues et remplacée au XIVe siècle par une copie en l’église Notre-Dame d’Albert où elle tomba si bien dans l’oubli qu’elle fut négligée, pendant la Terreur, par les déchristianisateurs, de sorte qu’elle survécut à la Révolution.

Au sommet d’un clocher de 76 mètres de haut, une statue colossale de la Vierge, visible jusqu’à Amiens, qui brandissait à bout de bras l’Enfant Jésus comme pour lui faire bénir toute la plaine picarde.

À compter des années 1830, le réveil catholique allait changer tout cela. En quête d’un grand sanctuaire marial pour le diocèse, les évêques amiénois se souvinrent soudain de Notre-Dame de Brebières. Le pape Grégoire XVI accorda, à leur demande, l’indulgence plénière à quiconque viendrait, aux conditions prescrites par l’Église, visiter la Vierge à l’agneau. L’immense élan marial qui accompagna les apparitions de la rue du Bac, La Salette, Lourdes, Pontmain et, dans l’intervalle, la promulgation, en 1854, du dogme de l’Immaculée Conception, fit le reste. Le pèlerinage prit une ampleur inespérée et l’église paroissiale fut bientôt trop petite. Il fallut penser à en construire une autre. Eu égard aux possibilités financières d’une ville comme Albert, l’on restait dans les initiatives modestes et raisonnables lorsque, le 1er octobre 1882, on nomma curé l’abbé Anicet-Marie Godin.

Le rêve fou de l’abbé Godin

Prêtre marial, grand dévot des apparitions, l’abbé Godin jeta au feu les projets qui avaient eu l’accord de ses prédécesseurs et déclara qu’il ferait de Notre-Dame de Brebières l’équivalent des plus grands pèlerinages. On le crut un peu fou, et plus encore lorsqu’il se mit en tête de bâtir une basilique, rien de moins ! Contre toute attente, la souscription lancée auprès des « brebis fidèles pour les brebis perdues » connut un immense succès, l’argent afflua. La première pierre fut posée en 1885 et le chantier terminé en 1895 par l’installation au sommet d’un clocher de 76 mètres de haut d’une statue colossale de la Vierge, visible jusqu’à Amiens, qui brandissait à bout de bras l’Enfant Jésus comme pour lui faire bénir toute la plaine picarde.

Déclarée basilique mineure en 1899, admise aux honneurs du couronnement en 1901, le lieu, mélange composite de coupoles byzantines, de minarets nord-africains, d’art omeyade, et d’emprunt au Dôme de Florence, était impressionnant mais, d’un point de vue artistique, un peu contestable… « La basilique d’Albert est une gigantesque horreur, elle tient à la fois du marché couvert, de la gare de chemins de fer et du bazar », écrivait un journal anticlérical local, qui déplorait la démolition d’une « vieille église pittoresque » au profit de « ce musée d’abomination ». Abominable ou pas, Brebières attirait les foules, à la grande joie de l’abbé Godin, qui mourut, tout content d’avoir si bien œuvré pour la Sainte Vierge, en 1913. Le Ciel lui épargna ainsi d’assister à l’effondrement de ses rêves et de ses efforts…

Dans un fracas d’apocalypse

Occupée par les Allemands le 29 août 1914, reprise par les Français au lendemain de la victoire de la Marne, Albert se retrouva alors en pleine zone de combat. Début octobre, une bonne partie de la ville était réduite à un vaste champ de ruines, mais, curieusement, les Allemands épargnaient la basilique. Ce n’était pas geste de piété mais commodité stratégique : le prodigieux clocher offrait un repère idéal à l’artillerie. Au moins jusqu’à la mi-janvier 1915, date à laquelle, soudain, les obus se mirent à tomber comme grêle sur le pauvre sanctuaire. Vingt-quatre heures suffirent à anéantir le cher édifice de l’abbé Godin. La statue ancienne, celle du pèlerinage, avait été, heureuse précaution qui la sauva, mise à l’abri à Amiens. Dans la matinée du 15 janvier, parachevant la besogne, un projectile frappa le piédestal de la statue colossale. Survint alors un événement qui marquerait tous ses témoins : au lieu de s’écrouler, comme l’avait fait le reste de l’édifice, Notre-Dame de Brebières, maintenue par ses structures métalliques, s’inclina à l’horizontale, telle une main gigantesque au-dessus de ces terres saccagées et sanglantes. Et elle resta là, dans cette position impossible.

Au troisième coup de canon, Notre-Dame d’Albert s’écroula dans un fracas d’apocalypse.

Une « prophétie » ne tarda pas à courir la Picardie, la France et l’Europe ; elle disait : « Quand Notre-Dame d’Albert tombera, la guerre finira. » Mais Notre-Dame d’Albert ne tombait pas et elle était toujours dans la même position quand, en 1916, les troupes britanniques relevèrent les Français dans la ville. Au terme de l’effroyable bataille de la Somme, elle tenait encore, et elle planait toujours entre ciel et terre lorsque, fin mars 1918, les Allemands reprirent Albert. Et avec la ville, ce qui restait de l’immense clocher, point d’observation inégalable qu’il n’était pas question d’abandonner à l’ennemi… Le 16 avril 1918, la mort dans l’âme car tirer sur un sanctuaire français serait d’un effet déplorable sur l’opinion, surtout après avoir tant dénoncé la barbarie allemande au lendemain du bombardement de Reims, le haut commandement britannique donna l’ordre de faire tomber le clocher d’Albert. Au troisième coup de canon, Notre-Dame d’Albert s’écroula dans un fracas d’apocalypse.

Au-dessus des cimetières

Le lendemain, l’avance allemande, qui avait paru jusque-là irrépressible, fut cassée net et tous les efforts déployés n’y changèrent plus rien. Le 22 août, les Anglais reprenaient Albert. En 1927, Notre-Dame de Brebières fut relevée à l’identique, les frais de reconstruction payés par les combattants du secteur et leurs familles, pour lesquels la Vierge miraculeuse représentait, toutes confessions confondues, un symbole d’espoir et un précieux souvenir. Plus de cent ans après, du haut de son clocher reconstruit, Elle étend au-dessus des cimetières des deux camps enfin réconciliés son ombre maternelle et, en leur montrant l’Enfant qui triompha du Mal et de la Mort, Elle rappelle à tous la promesse de la vie éternelle et de la paix sans fin.

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