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Y a-t-il un « désir d’Amérique » dans le catholicisme français ?

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Pascal Deloche / GODONG

Louis Daufresne - publié le 19/11/21

Le rédacteur en chef de Radio Notre-Dame pointe les limites de la sociologie pour analyser et comprendre l’évolution du catholicisme français. Selon lui, l’attraction du « modèle américain » répond d’abord à une attente spirituelle.

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Allons-nous « vers une “américanisation” du catholicisme français » ? La revue Esprit (novembre 2021) pose cette question dans un long article de l’historien Bruno Dumons, directeur de recherches au CNRS (LARHRA-Lyon). Sur ce phénomène peu étudié, l’auteur sort quelques chiffres et beaucoup de noms : de Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon, à la communauté Saint-Jean, des Béatitudes aux cours Alpha, de la communauté Saint-Martin aux coachs de Talenthéo, de la Prière des Mères à l’Emmanuel : l’article pointe le dynamisme d’une cathosphère urbaine et bourgeoise. 

On sait depuis longtemps que « face aux campagnes asséchées et désertées, aux territoires périphériques et de banlieue sans réelle identité, la vitalité du catholicisme français ne repose plus que sur les grandes villes ». On voit aussi que « les paroisses de centre-ville […] accueillent selon les affinités liturgiques ou pastorales des populations caractéristiques du processus anglo-saxon de gentrification des métropoles ».

Un produit d’importation ?

La « civilisation paroissiale » ayant disparu, il subsiste des paroisses « affinitaires ». L’anthropologue Valérie Aubourg, cité par Dumons, les voit déborder « d’une multitude d’“activités” en tout genre à la manière d’un office du tourisme, gérées comme des entreprises où règnent la gouvernance, le management et la culture du rendement, dirigées par un chef de communauté faisant office de patron ».

Cette manière d’exprimer la foi rompt avec la dimension socio-historique incarnée par « la religion de nos pères » et « la messe de toujours ». Ce faisant, les milieux gentrifiés réduisent la foi « au rang de produit marketing venu d’ailleurs, que l’on consomme à sa guise et dont l’héritage (celui, architectural, des cathédrales et des églises de villages par exemple) ne s’inscrirait plus que dans la préservation d’un patrimoine national ». À l’ère de la concurrence, on ne naît plus chrétien, on le devient. Le levier de la croyance embraye sur le pignon de la réalisation de soi. Ce catholicisme-là est à la fois pro-choice et born gain. C’est la logique des « 3 com » : communautaire, commercial et communicatif. 

L’américanisation se déploie comme un mécanisme à double sens : il n’y a pas que l’influence de l’Amérique ; il y a surtout le désir d’Amérique.

L’affinitaire crée un milieu favorable à un prosélytisme axé sur la performance. L’argent y est perçu comme une énergie positive. Ce trait s’ajoute à l’anglophilie très ancienne des élites françaises, fortement relayée par les grandes écoles et les business schools, matrices des concepts du Nouveau Monde. Cela ne signifie pas que la gentrification soit le seul trait saillant de l’appartenance à l’Église catholique. Outre ces « emprunts à l’espace nord-américain » (dont l’article parle), l’historien pointe une autre tendance — plus discrète et plus prolétarienne — celle « des apports du continent africain ». Mais, en définitive, si la seconde tend à équilibrer la première, le catholicisme français se ramène dans les deux cas à un produit d’importation.

Le modèle américain

Ce que Dumons regarde, c’est ce que l’américanisation dit sociologiquement, culturellement, politiquement. L’auteur ne mesure pas les acquis de la « nouvelle évangélisation ». Il confond les « utopies communautaires » de l’expérience des prêtres-ouvriers ou du cistercien Bernard Besret à Boquen dans les années soixante, aux réalités collectives « déclinées sur le modèle du pentecôtisme américain ». Si les premières appartiennent à l’histoire, les secondes perdurent, malgré les crises. « L’utopie communautaire, dit-il, n’a en rien enrayé l’importance du détachement à l’égard des pratiques sacramentelles. » Certes, la déchristianisation suit son cours, la fatalité statistique en témoigne. Une question se pose néanmoins : pourquoi le catholicisme parle-t-il aux milieux aisés, si la foi ne se reçoit plus comme un héritage, un devoir ou une routine ? Le fait chrétien est axé sur l’intériorité, l’élévation et la remise en cause du sujet. Cette dimension se reflète dans la puissance d’attraction et d’innovation du modèle américain.

Comme le montre l’historien Ludovic Tournès, cité par Dumons, l’américanisation se déploie comme un mécanisme à double sens : il n’y a pas que l’influence de l’Amérique ; il y a surtout le désir d’Amérique. Face à l’inertie des structures et à leur empreinte sur le paysage français, les forces vives du catholicisme français se débrouillent seules, quitte à importer ici ce qui leur paraît fonctionner là-bas. La vitalité de cette religion se trouve dans des lieux et des milieux que la technostructure cléricale ne soutient guère et finance peu, voire pas du tout.

L’attente d’une proposition spirituelle

Une autre raison explique ce tropisme américain : c’est notre histoire. L’influence du marxisme sur le monde intellectuel et le pouvoir du Parti communiste laissèrent peu de place à l’épanouissement d’un catholicisme transversal. Son espace se réduisit d’autant plus que le clergé postconciliaire se délesta de la piété populaire. Le poids des « cathos de gauche » dans les relais institutionnels eut aussi un effet d’éviction. Le militantisme démocrate-chrétien en faveur de la gauche mitterrandienne aboutit à une impasse. Les balourdises cléricales sur le terrain miné de l’antiracisme éloignèrent aussi des fidèles en attente d’une proposition spirituelle. Si on ajoute la peur de l’URSS et le charisme de Jean-Paul II, on s’aperçoit que « la droitisation du catholicisme » liée à l’Amérique remonte à la Guerre froide et que les nouveaux enjeux, éthiques et sociétaux, ne font que l’accentuer. François Hollande en avait compris l’intérêt quand il exploita la Manif pour tous pour cliver l’opinion.

Dumons déplore le « repli identitaire » et « la recomposition politique autour des valeurs conservatrices, notamment sur les questions éthiques ». Ces mots sont à prendre avec précaution : « repli identitaire », « valeurs conservatrices » sont des stéréotypes. Ceux-ci sont-ils compatibles avec l’américanisation qu’analyse l’auteur ? S’il y a importation d’une culture étrangère, en l’espèce venue des États-Unis, que reste-t-il à conserver ? Même chose pour le « repli identitaire ». Celui-ci s’oppose à l’américanisation, cette culture-monde qui n’accepte pas qu’un héritage ou des frontières lui fassent obstacle.

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