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Le sapin sur la sellette

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FREDERICK FLORIN / AFP

Tugdual Derville - publié le 02/12/21

Tous les jeudis, Tugdual Derville, cofondateur du Courant pour une écologie humaine, décrypte les grands enjeux de société à la lumière de Laudato Si’. Alors que les premiers sapins de Noël apparaissent dans nos villes, revient la polémique sur les « arbres morts ». Symbole de vie, rappelle notre chroniqueur, le sapin le plus écologique n’est pas celui qu’on croit…

À peine élu maire de Bordeaux en 2020, Pierre Hurmic (EELV) annulait l’installation d’un grand sapin de Noël dans sa cité. Argumentation inédite : « Nous ne mettrons pas des arbres morts sur les places de la ville, notamment sur la place Pey-Berland […]. Ce n’est pas notre conception de la végétalisation ». Et l’élu d’annoncer dans la foulée l’adoption d’une « charte des droits de l’arbre. » Il fustigeait la tradition annuelle de « l’arbre mort », sans considération pour les bancs municipaux, pourtant faits du même bois, ni pour les deux pauvres plantes exotiques qui encadraient sa conférence de presse, certes bien vivantes, mais exilées loin de leurs écosystèmes naturels et retenues captives dans leurs pots.

Banni de la fête bordelaise, le sapin 2020, dix-neuf mètres de haut, avait trouvé preneur dans la commune corrézienne de Malemort. Son maire, Laurent Darthou, l’avait récupéré en signe de soutien à la filière bois locale. Il a décidé, cette année, d’acheter un nouveau grand sapin, financé par les indemnités des élus. Après démontage, l’arbre, précise le maire, sera, comme son prédécesseur, transformé… en bancs publics !

Et voilà qu’en 2021, le maire de Bordeaux — vertement critiqué pour son abandon d’une tradition vivante — récidive en annonçant l’érection devant sa mairie d’une sculpture de onze mètres de haut. Cette fois désignée « sapin de Noël » par l’édile, elle est constituée d’un enchevêtrement de plaques de verre montés sur une armature métallique. Le tout, assure-t-il, est recyclé, recyclable et produit localement, coûtera moins cher que le grand sapin traditionnel, et sera réutilisé pendant cinq ans. Son concepteur, le designer Arnaud Lapierre, a fait ses preuves à Saint-Pétersbourg où fut érigé l’an dernier son superbe « Cône », un sapin de la même facture. 

Sur son site, l’artiste expliquait sa démarche : « Traditionnellement enraciné dans un rituel décoratif religieux, l’arbre est avant tout le symbole du triomphe de la nature sur l’hiver, et par là, de la vie sur la mort. Un sujet d’une force particulière dans une année aussi spéciale que 2020. » Transposé à Bordeaux en 2021, l’esprit de Noël semble donc sauf ! Rien à voir avec la provocation pornographique du « sapin gonflable » de l’américain Paul McCarthy qui a défrayé la chronique parisienne en 2014, place Vendôme. Étrange écologie cependant qui croit devoir remplacer le bois et la chlorophylle par du minéral…

Des sapins cultivés

À l’autre bout de l’hexagone, Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg, également écologiste, n’a pas suivi le même chemin de fer et de verre que son camarade bordelais. Sa ville aura encore en 2021 son vrai grand et beau sapin. Ce roi des forêts pèse sept tonnes : haut de trente mètres et âgé de 80 ans, le monument a été prélevé dans une futaie de la région. Il sera richement décoré. L’équipe municipale justifie l’installation de ce « phare » éphémère par 800 ans de tradition : le sapin de Noël est né au XIIe siècle en Alsace. Pendant ce temps, des Français hésitent pour leur domicile : sapin naturel ou artificiel ? S’il est naturel — ce qu’ils plébiscitent — il faut aussi en choisir l’essence : l’épicéa d’antan, à croissance rapide, est délicieusement parfumé, mais il perd vite ses plumes ; le nordman, plus récemment commercialisé, est plus lent donc plus cher, mais aussi plus robuste. Hélas, il n’exhale pas ce parfum qui chatouille des millions de mémoires enfantines. Cerise sur le sapin naturel, ce dernier peut être « bio » : la filière, garantie sans pesticides ni mécanisation, grâce à l’utilisation de « moutondeurs », est encouragée par le gouvernement, mais reste timide.

Il faut préciser que la production française de « vrais » sapins de Noël n’a rien de négligeable : il s’en vend 6 millions par an, l’essentiel pendant la première quinzaine de décembre, la plupart produits en France, surtout dans le Morvan, en Corrèze, dans le Limousin, les Ardennes et le Jura. Attention ! Il ne s’agit aucunement de spécimens prélevés en forêt, mais de sapins cultivés pour Noël. À partir de graines semées en pépinière, ils sont ensuite repiqués en pleine terre chez le producteur, avant d’être coupés, avant l’âge de dix ans — la loi l’impose —, en général à six ans. Ils seront remplacés un an plus tard par une nouvelle plantation… Seuls les arbres exceptionnellement grands viennent de la forêt.

Une filière écologique

Le joli petit sapin de Noël, régulièrement conique, n’existe pratiquement pas à l’état sauvage. Sa production relève donc d’une filière à part entière, à mi-chemin entre l’agriculture et la sylviculture, qui contribue au maintien de l’activité et des emplois dans des zones rurales désertifiées. Chaque sapin — durant sa vie en terre — participe pendant sa croissance à la réduction des émissions de gaz à effets de serre. Il peut ensuite être recyclé, avec son socle — à condition qu‘ils n’aient pas été pollués par une pulvérisation de fausse neige chimique — pour le chauffage, le compostage ou le paillage naturel, voire pour nourrir des chèvres…

En ce temps hivernal, où le moral souvent vacille, un arbre — certes coupé mais planté à cette fin — est invité chez soi, dans une habitation humaine. N’est-ce pas faire honneur à cet humble témoin de la biosphère ?

Alain Lipietz, ancien député écologiste, s’est pourtant montré radical le 20 novembre 2021 en répondant à une question du Point sur ce sujet, non sans avoir avancé exagérément qu’on « coupe 20 millions de sapins chaque année » : « On ne peut pas brûler tous les deux ans l’équivalent de la forêt de Fontainebleau […]. L’industrie du sapin de Noël est une véritable plaie, à l’instar de celle du diesel. » L’élu loue d’autres façons de célébrer Noël, invitant, notamment, à décorer des arbres sur pied, comme le grand cèdre qui siège devant la mairie de Villejuif, où il est élu. Prétendre que le sapin d’élevage concurrence la forêt reste abusif. S’il est un évènement qui menace actuellement le sapin de Noël français, c’est le réchauffement climatique. Les producteurs sont inquiets : le sapin a besoin d’humidité, et les étés trop secs peuvent en faire, avant son heure, un arbre mort. 

Fabriqué en Chine

Revenons à l’intérieur des bâtiments. À moins de fabriquer eux-mêmes leur sapin, ou d’y renoncer, les familles qui se soucient de l’impact de leurs achats sur l’environnement sont confrontées à une question : naturel ou artificiel, quel est sapin le plus écologique ? Alors que l’un est périssable et l’autre réutilisable, leurs prix sont à peu près équivalents. Pourtant la balance penche nettement du côté du bois, au détriment du plastique. Selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), il faudrait réutiliser pendant vingt ans un sapin artificiel pour compenser son coût écologique, car il est généralement fabriqué en Chine, avec des produits dérivés du pétrole, puis transporté jusqu’à nous en bateau. De plus, il n’est pas biodégradable. L’empreinte carbone d’un sapin artificiel est évaluée à 8 kilogrammes de CO2, contre 3 kilogrammes pour le sapin naturel. 

Autre solution, acheter son sapin en pot et le replanter dans son jardin… Une balade dans les zones pavillonnaires confirme que c’est une option pour quelques propriétaires… Certes, dans un modeste jardin, le sapin devient vite envahissant : il finira par être abattu ou décapité, parfois à la demande du voisinage.

Un symbole de vie

Que dire finalement pour sauver la tradition du sapin de Noël ? Qu’elle relie pour une fois, toutes les générations, trop souvent éloignées par des modes de vie inconciliables ; qu’elle nous inscrit tous, pour une fois, dans un cycle à la fois extraordinaire et familier, fait de patience, de contemplation gratuite et d’émerveillement. Chacun peut adapter la tradition à son goût par ses choix de décoration. 

En ce temps hivernal, où le moral souvent vacille, un arbre — certes coupé mais planté à cette fin — est invité chez soi, dans une habitation humaine. N’est-ce pas faire honneur à cet humble témoin de la biosphère ? Laisser son odeur naturelle envahir son domicile, voir progressivement ses aiguilles tapisser le sol, jusqu’à assister à sa déchéance, comme à la marque du temps, jeter le moment venu un squelette à recycler… Pourquoi ne pas voir là un rappel de notre propre histoire, nous qui avons été plantés ici-bas, qui avons grandi, et qui serons un jour fauchés par la mort, et recyclés par la vie terrestre, tout en embrassant l’éternelle ? Et si cet arbre éphémère nous apprenait à vivre autant qu’à mourir ? On en oublierait presque que l’installation d’un joli sapin contribue — en principe — à préparer les cœurs à l’avènement du Sauveur. Le symbole antique fut repris par les chrétiens : au solstice d’hiver, les feuilles persistantes des conifères symbolisent la victoire de la vie !

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