C’est dans une atmosphère lourde et silencieuse que s’est dévoilée la photographie devenue le symbole fort des violences sexuelles commises dans l’Église. Le 6 novembre dernier, lors de l’Assemblée plénière des évêques de France réunie à Lourdes, Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques (CEF) de France a conduit un temps mémoriel et pénitentiel pour toutes les personnes victimes des violences sexuelles commises dans l’Église.
Après un court message d’accueil, Mgr Hugues de Woillement, secrétaire générale de la CEF, s’est alors tourné vers le drap blanc qui recouvrait une image scellée dans le mur extérieur de l’hémicycle Sainte-Bernadette, près de la grotte de Massabielle. Le drap une fois retiré, l’émotion n’a pas manqué de se répandre dans toute l’assemblée. Sur ce cliché se dessine le visage triste d’un enfant dont une larme chaude coule sur son visage. En la regardant, on ne peut que penser à tous ces enfants abusés qui ont porté pendant si longtemps leur fardeau sans avoir pu parler.
À l’image de Michel, l’auteur de la photographie, qui a lui-même été victime d’un prêtre pédophile à l’âge de 8 ans lors d’une colonie de vacances. C’est en avril dernier, lors du confinement, qu’il décide de partir à la découverte des beautés artistiques de 200 églises de sa région pour assouvir sa passion pour la photo et son besoin de poser des images sur ses émotions. Il croise alors la route de l’église Sainte-Croix de Saint-Gilles-Croix-de-Vie en Vendée. À l’intérieur, son œil est rapidement attiré par un détail qui le bouleverse. Sur la chaire à prêcher le visage d’un ange pleurant le renvoie à la triste réalité de son histoire : “Quand j’ai vu la larme couler sur ce visage, je me suis reconnu. J’ai vu le chagrin de l’enfant que j’étais. Cet enfant triste et seul qui n’arrivait pas à mettre des mots sur la violence qu’il subissait.”
Ciblant sa photographie uniquement sur le visage pour ne pas voir les ailes d’ange, Michel repart chez lui avec son précieux cliché en boîte. Il ouvre ensuite un blog et y dévoile ses pérégrinations photographiques. Plus tard, il réalise une exposition à la Maison du diocèse de la Roche-sur-Yon. L’émouvante photographie de l’enfant qui pleure ne manque pas de bouleverser ceux qui la croisent, notamment l’évêque qui est venu voir l’exposition. À partir de ce moment-là, l’histoire de la photo va prendre un tournant inattendu.
Un cliché dévoilé au monde entier
En octobre 2020, Mgr Luc Crépy, président du Conseil de prévention et de lutte contre la pédophilie de la CEF, le contacte pour lui demander la permission d’utiliser sa photographie dans le cadre de l’Assemblée plénière. Michel, qui est invité à y assister mais qui refuse pour des raisons personnelles, accepte cependant de prêter sa photographie. À ce moment-là, il pense que celle-ci va être simplement exposée sur une table dans l’hémicycle de l’Assemblée, accompagnée du texte qu’il a écrit en écho à la photographie.
“Imbroglio : dans les yeux de l’enfant, se mêlent la souffrance de la violence subie, le déni de sa parole, et une grande solitude. Plus tard, devenu adulte, à l’imbroglio de son enfance se rajoutera une colère d’avoir été mis en danger et de ne pas avoir été secouru. Il comprendra que c’est toute la culture d’un système qui a voulu se protéger au lieu de le protéger. Et son imbroglio ne cesse de se creuser autour de cette interrogation : Pourquoi ne peut-on pas lui rendre justice ? C’est tellement vital pour lui, pour qu’enfin il puisse avoir la paix et que cesse de couler sa larme d’enfance.”
Quelle ne fut pas son émotion alors qu’il découvre, en direct de la télévision, sa photographie accrochée et agrandie sur le mur extérieur de l’hémicycle Sainte-Bernadette. Quelques minutes après, son texte personnel est même lu. “J’ai ressenti beaucoup d’émotions. J’ai repensé à l’enfant de 8 ans que j’étais, qui avait essayé de parler et à qui on avait simplement répondu “fais des efforts pour t’intégrer””, se souvient-il avec tristesse. Quinze jours après, Michel participe à l’Assemblée de la Corref à Lourdes. Il lui faut du temps pour aller voir sa photographie mais il finit par y parvenir. Ce jour-là, de nombreuses victimes, comme lui, viennent le voir. Tous se sont reconnus dans cette photo. “On ne peut plus rester indifférent à ce qui s’est produit. Entrer dans une démarche de reconnaissance, c’est ce qui nous permet de cheminer vers une réparation. Ma paix intérieure, je la trouve grâce à toutes ces victimes qui se reconnaissent dans le visage de cet enfant.”