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« Ça se fera quand même ! » La chapelle Saint-Joseph-des-Champs à Entrammes

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Anne Bernet - publié le 06/03/22

En ce mois de mars, Anne Bernet nous propose un voyage des sanctuaires dédiés à saint Joseph. La construction de la chapelle Saint-Joseph à Entrammes (Mayenne) fut une œuvre de volonté et de patience, placée sous le signe de la charité et de la miséricorde.

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Lors de son apparition du 19 juillet 1830, rue du Bac à Paris, Notre Dame, parmi les nombreuses annonces qu’elle a faites à Catherine Labouré, a dit le désir du Ciel que saint Joseph soit de plus en plus vénéré et qu’un mois de Joseph soit institué en mars comme il existe un mois de Marie en mai. L’Église prendra la demande d’autant plus au sérieux que la dévotion au charpentier de Nazareth s’inscrit dans la nécessité, urgente en ce XIXe siècle, de reconquérir les classes populaires laborieuses, et d’abord ce monde ouvrier, ce prolétariat détaché de toute pratique religieuse, souvent hostile au catholicisme et sur lequel les Rouges, les « partageux », exercent une attirance grandissante.

Joseph est également, pour les catholiques fidèles, souvent décontenancés par les profonds changements sociétaux nés de la Révolution — les atteintes à la famille — un recours, un protecteur. Rien d’étonnant si, dans ce contexte, un certain nombre de sanctuaires et de pèlerinages vont naître, quasiment de rien, un peu partout en France et se trouver des publics, certes locaux, mais fidèles de génération en génération, au point de maintenir des traditions pourtant souvent battues en brèche. C’est le cas de la chapelle Saint-Joseph-des-Champs à Entrammes, en Mayenne. 

Le relèvement des filles perdues

L’histoire commence dans les années 1820 lorsque les jésuites, installés à Laval en 1816, s’émeuvent du sort de nombreuses ouvrières du textile, qu’un chômage devenu endémique depuis plusieurs décennies, réduit à une telle misère qu’elles doivent se prostituer pour survivre. La Révolution a détruit, comme elle a détruit toutes les institutions caritatives catholiques, les maisons religieuses qui, autrefois, recueillaient ces femmes et leur permettaient d’échapper au trottoir. À leur place —l’histoire de Fantine dans les Misérables le rappelle — la législation napoléonienne ne prévoit que la prison et les maisons de force dont ces malheureuses, souvent filles-mères, ont une peur horrible. Ce qu’il faudrait, ce sont des institutions où les prostituées, professionnelles ou occasionnelles, pourraient entrer librement, tout comme elles seraient libres d’en ressortir. Dans ces établissements, elles se referaient une santé, physique, morale, spirituelle, et apprendraient un métier qui leur permettrait de vivre honnêtement et convenablement. Reste que peu de gens sont prêts à se dévouer à cette cause et à se soucier du relèvement des « filles perdues », comme on dit alors.

Grâce à saint Joseph

À Laval, les jésuites ont la chance de rencontrer Thérèse Rondeau, une jeune repasseuse d’une vingtaine d’années, très pieuse, toute dévouée à l’Église, remarquablement courageuse et intelligente, qui, en dépit de ses réticences premières, en dépit, surtout, des persécutions féroces qu’elle va subir, non seulement de la part des bien-pensants mais aussi d’une partie du clergé, accepte de se charger de cette mission ingrate. Ainsi est fondée l’œuvre de la Miséricorde lavalloise, qui sera à l’origine de fondations polonaises et comptera parmi ses filles la messagère de la Miséricorde divine, Faustine Kowalska. Mais ceci est une autre histoire.

En ce milieu des années 1830, après une incroyable série d’épreuves, des difficultés matérielles et financières à vues humaines insurmontables, une très grave maladie qui a failli la tuer et détruire son œuvre avec elle, Thérèse Rondeau, à bientôt 45 ans, malgré une santé définitivement altérée, est devenue une personnalité dont la renommée a gagné la France entière et même l’Europe. On murmure, dans son dos car cela la fâche, même si c’est vrai, que cette maîtresse femme fait des miracles et obtient tout de Dieu. Si on lui pose la question, Mère Thérèse hausse les épaules. S’il est vrai que la Providence la sort de toutes les difficultés, même les plus inextricables, c’est grâce à saint Michel, et surtout au bon saint Joseph, qu’elle prie sans cesse et fait prier avec cette formule charmante : « Saint Joseph, notre bon père, priez pour nous, s’il vous plaît. »

Au lieu-dit de la Croix-Bataille

Et cela marche, au point que, sans un sou vaillant, la Miséricorde ne cesse de croître et grandir. Mère Thérèse bâtit énormément mais ne veut pas se borner aux besoins matériels de la communauté : il faut, certes, des dortoirs pour les filles, toujours plus nombreuses, qui frappent à sa porte, des ateliers, mais cela ne suffit pas si Dieu n’est pas le premier et le mieux logé chez elle. Mère Rondeau, bâtisseuse effrénée, aime plus que tout construire des chapelles. En cette fin des années 1830, ayant déjà doté la maison lavalloise de la sienne, bien qu’à peine construite, elle la juge trop petite et rêve de la rebâtir plus grande et plus belle, ce qu’elle fera un jour, Mère Thérèse songe à l’édification d’une nouvelle chapelle, qu’elle placerait sous l’invocation de Notre-Dame de Lorette, sur un terrain que la communauté possède sur la commune d’Entrammes, au lieu-dit de la Croix-Bataille. 

Ce terrain, elle l’a acheté à bon prix lorsque la commune a décidé de lotir certains espaces et ce pour une double raison : primo, la terre est pauvre, caillouteuse, et, comble de malchance dans cette région pourtant humide, sans eau donc difficile à cultiver ; secundo, ces landes, pendant la Révolution, ont servi de fosses communes pour les combattants tués lors des différentes batailles livrées devant Laval entre royalistes et républicains, puis pour les centaines de victimes de la Terreur exécutés en ville, sans parler, les cimetières étant fermés par ordre de la Convention, de tous les morts « ordinaires », qu’on y a inhumés pêle-mêle.

L’endroit est si pauvre, si désespérément stérile, que les filles de la Miséricorde, et la supérieure, l’ont rebaptisé « Toulifaut », un programme en soi !

Il ne faut pas trop gratter le sol, dans les parages, pour faire remonter les ossements… Thérèse, elle, n’a pas fait la dégoûtée, et acheté ce qu’elle a pu de ces terres, parce qu’elle a besoin de cultures vivrières afin d’améliorer l’ordinaire de sa maison et parce que certaines de ses pensionnaires, venues de la paysannerie, sont plus douées pour l’agriculture que pour les travaux d’aiguille qui occupent les citadines. Cependant, l’endroit est si pauvre, si désespérément stérile, que les filles de la Miséricorde, et la supérieure, l’ont rebaptisé « Toulifaut », un programme en soi ! Devenu annexe de la maison de ville, Toulifaut a besoin d’un lieu de culte puisque les statuts de la Miséricorde prévoient, ceci afin d’éviter des « tentations » aux pensionnaires en les laissant côtoyer des hommes, qu’elles n’assistent pas à la messe paroissiale. D’où ce projet d’une chapelle Notre-Dame de Lorette sur place. Reste que le Ciel va en disposer autrement.

Le projet du père jésuite

Protégée des jésuites, qui l’ont poussée à fonder la Miséricorde, Thérèse a des liens particuliers avec la Compagnie, et une affection spéciale envers les fils de saint Ignace auxquels elle passe tous leurs caprices. Depuis quelques années, l’un d’entre eux, déjà assez âgé, le père Debrosse, ancien supérieur du séminaire de Sainte-Anne-d’Auray et ancien directeur du collège de Bordeaux, s’est installé à Laval, un peu contraint et forcé puisqu’il n’est là qu’à cause de l’interdiction faite aux jésuites d’enseigner et de la nouvelle législation sur l’enseignement libre, assez restrictive. Éducateur dans l’âme, convaincu que les collèges sont la gloire de la Compagnie, le père Debrosse ne se console pas de leur fermeture et fatigue saint Joseph, qu’il vénère, de prières pour qu’il permettre leur réouverture.

Sans succès… Alors, l’excellent homme a promis au très chaste époux de Marie de lui élever une belle chapelle sitôt les mesures d’interdiction levées. Cette promesse, vieille de neuf ans, n’a pas eu plus de résultats… Le père Debrosse, septuagénaire, redoute maintenant de mourir sans avoir été exaucé. L’idée lui étant insupportable, il décide de forcer le Ciel : il bâtira la chapelle sans attendre davantage, de sorte que Joseph, connu pour sa probité, sera forcé d’acquitter sa dette et d’obtenir la restauration de l’enseignement libre. Voilà ce qu’il explique avec force soupirs, à l’automne 1836, à Mère Rondeau. 

Quand il s’ouvrit à elle de ce projet, pour lequel il n’a pas un sou, elle n’en est pas étonnée ; en de telles affaires, le Ciel se montre un banquier généreux. La Miséricorde s’est bâtie sans argent, une chapelle à saint Joseph s’élèvera de même, cela va de soi. Le Père Debrosse est bien d’accord et sa seule préoccupation est de trouver un terrain approprié, agréable et pas trop éloigné de Laval car il entend créer autour de son sanctuaire en projet un véritable pèlerinage. Thérèse, qui le voit venir, feint de ne pas comprendre et s’amuse à lui suggérer des endroits possibles : Avesnières, devenu faubourg de Laval, où on lotit des terres agricoles, par exemple…

Le père Debrosse répond que la basilique Notre-Dame étouffera dans l’œuf son pauvre petit pèlerinage ! Elle suggère l’église de Saint-Pierre le Pottier. Depuis la Révolution laissée à l’abandon, elle a besoin d’être restaurée mais le bâtis existe et n’entre en concurrence avec aucun autre lieu de culte. Le père Debrosse répond que « l’environnement ne lui plaît pas ». Thérèse, renonçant à plaisanter plus longtemps, s’exclame : « — Allons, mon Père, voilà qu’il me vient une idée : si vous preniez sur nos landes de Toulifaut le terrain qui vous est nécessaire ? »

« Ça se fera quand même »

Le jésuite, qui n’attend que cela, s’exclame que cela fait « tout à fait son affaire » et le marché est conclu. Mais, s’il convient au père Debrosse, l’arrangement consternent les sœurs de la Miséricorde, et elles le disent. L’on n’a pas encore fini de solder l’achat de ces terrains hypothéqués cinq ans plus tôt pour faire face à des difficultés du moment ; n’est-il pas léger d’en faire cadeau si généreusement ? Et puis, si, la Providence aidant, la chapelle se bâtit, si le pèlerinage prend son essor, de quel embarras seront les dévots qu’il attirera ? Aux terres agricoles perdues pour la subsistance de la communauté, s’ajouteront des tentations pour les pénitentes. Il y a du vrai dans ces arguments, Thérèse l’admet, mais elle est la supérieure et ses décisions ont force de loi. Elle réplique : « — Ça se peut, ma sœur, ça se peut ! Mais ça se fera quand même ! C’est arrêté. D’ailleurs, nous aurions eu là-bas une chapelle. Je comptais en élever une sous le vocable de Notre-Dame de Lorette » Il suffira d’en changer le nom ; la Sainte Vierge ne lui reprocherait pas d’honorer son époux. 

Ce n’est pas un coup de tête irréfléchi ; les impulsions de Thérèse obéissent à une logique divine. Saint Joseph est l’un des patrons de la Miséricorde. S’il lui plait d’avoir Toulifaut, il l’aura, elle le lui donne ! Début 1837, tandis que le père Debrosse et Thérèse, chacun de son côté, se mettent en quête de donateurs pour bâtir la chapelle, le domaine change de nom et devient, par anticipation, Saint-Joseph des Champs. L’argent rentre, grâce à plusieurs souscriptions. En 1839, la chapelle est ouverte aux fidèles.

Les dons et les pèlerins affluent

Les travaux ne vont pas sans mal. Été comme hiver, afin de surveiller les ouvriers, il faut se rendre sur place par tous les temps. Le père Debrosse, 72 ans, un soir de janvier, surpris par une tempête de neige, rentre transi à la Miséricorde et, loin de se plaindre, s’écrie : « Ah, j’ai fait mes preuves, cette fois, et me voilà, je pense, maintenant tout à fait chevalier de saint Joseph ! » Thérèse n’est pas en reste. Tout au long de la construction de Saint-Joseph, comme elle l’a déjà fait quand on bâtissait la chapelle de la Miséricorde, et comme elle le refera, à vingt ans de là, quand elle la reconstruira en l’agrandissant, elle aime s’asseoir près du chantier et, en surveillant le travail, récite son chapelet pour qu’aucun malheur ne survienne. Jamais, contrairement à une croyance populaire qui effraie maçons et charpentiers selon laquelle mener à bien la construction d’un sanctuaire exige la mort d’un ouvrier, il n’arrive rien de grave. 

« Cela se fera », a-t-elle décrété à propos du projet du père Debrosse. En 1839, ce sera fait, effectivement, et saint Joseph, auquel Thérèse a donné la priorité sur ses propres projets, ne se montrera pas ingrat. Les travaux de la Miséricorde, urgents et nécessaires, trouvent très vite une source de financement généreuse et inespérée. Les pèlerins ne tardent pas à affluer de Laval et de toute la région. Ici, on demande aussi bien à Joseph un secours financier, de l’aide pour trouver du travail, une assistance dans les difficultés de la vie, ou la réussite aux examens. Il ne déçoit pas, de sorte que la chapelle est modifiée et agrandie en 1878 pour prendre son aspect actuel.

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En 1944, alors qu’au lendemain du débarquement allié, les bombes commencent de s’abattre sur toutes les villes de l’Ouest, la paroisse Notre-Dame des Cordeliers se place sous la protection de saint Joseph des Champs, lui demandant d’être préservée des bombardements et des combats. Tandis que Laval, en ce mois de juin, paie un lourd tribut à la Libération de la France, la paroisse est totalement épargnée ; elle l’est encore le 6 août lors des derniers accrochages entre les Allemands en déroute et les Américains. Un ex-voto le rappelle dans l’église des Cordeliers. Aujourd’hui, la Miséricorde est devenue une maison d’accueil pour personnes âgées, mais, chaque 19 mars, et tout le reste de l’année, les pèlerins continuent de se presser à Saint-Joseph-des-Champs.

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DévotionHistoireMayenneSaint Josephsanctuaire
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