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« Si l’Europe abandonne l’Ukraine, elle perdra sa propre liberté »

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Żołnierze ukraińscy modlą się w cerkwii w Kijowie

Lafargue Raphael/ABACA/Abaca/East News

Marcin Przeciszewski/KAI - publié le 11/03/22

"Si l'Europe abandonne l'Ukraine, elle perdra tôt ou tard sa propre liberté. Il est donc nécessaire de s'opposer à cette barbarie sur tous les fronts", explique depuis Kiev, Constantin Sigov, philosophe et directeur du Centre européen à l’Université de Kiev (Ukraine).

Philosophe, éditeur et directeur du Centre européen à l’Université de Kiev, Constantin Sigov est l’un des intellectuels les plus connus d’Ukraine, particulièrement engagé dans la défense des droits de l’homme et de la dignité de la vie humaine sous tous ses dimensions. L’une de ses contributions durables au dialogue œcuménique a été la fondation et la direction du Centre Saint Clément à Kiev. Il dirige également la célèbre maison d’édition « Duch i Litera » (« Esprit et lettre ») et participe aux travaux du Conseil des églises et des organisations religieuses de Kiev. Depuis Kiev, il analyse pour Aleteia les enjeux politiques et éthiques pour son pays, mais aussi pour l’Europe.

Aleteia : L’archevêque gréco-catholique de Kiev, Sviatoslav Shevchuk, a déclaré que « l’Ukraine devient le centre spirituel du monde ». Comment faut-il comprendre ces mots ?
Konstantin Sigov : Aujourd’hui, le défi le plus important est de défendre la dignité humaine. Et c’est aussi la lutte, dont l’Ukraine est le centre aujourd’hui. L’Ukraine est le lieu où nous devons défendre cette vérité fondamentale. Et quand on donne sa vie pour les autres, c’est le témoignage le plus essentiel qui donnera du courage aux autres.

Vous vous battez donc non seulement pour la liberté de l’Ukraine, mais aussi pour celle des autres pays européens ?
Oui, nous en sommes conscients, mais il est important que l’Europe le comprenne. Et c’est là que réside le problème. Une grande partie des Européens pensent encore que l’Ukraine est quelque part loin à l’est, alors qu’elle n’est qu’à environ deux heures de vol de Paris ou de Berlin. Si nous ne la défendons pas, elle représentera un grand danger pour l’ensemble de l’Europe. L’armée russe a déjà pris le contrôle de deux de nos centrales nucléaires, le risque de contamination nucléaire ainsi que le risque de catastrophe écologique sont énormes pour toute l’Europe.

Payons-nous aujourd’hui le prix énorme de l’attention de l’Occident, portée pendant des décennies sur la Russie et sur les relations avec elle, sans tenir compte de l’Ukraine ?
Oui, absolument. J’ai l’impression que l’opinion publique européenne est heureusement en train de changer de position, mais il est nécessaire que des personnalités du monde de la culture ou de la science s’expriment clairement à ce sujet. Nous avons besoin que le message qu’Albert Camus, formulé lors de l’intervention soviétique en Hongrie, atteigne l’Europe entière. Il a parlé de l’alternative entre la liberté et la barbarie. Il faut comprendre que la neutralité n’est plus possible : ni à Bruxelles, ni à Paris, ni à Berlin, ni à Varsovie. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que l’Ukraine soit une sorte de zone neutre et démilitarisée, comme l’exige la Russie. Si l’Europe abandonne l’Ukraine, elle perdra tôt ou tard sa propre liberté. Il est donc nécessaire de s’opposer à cette barbarie sur tous les fronts, y compris dans le domaine de l’économie, de la culture et des médias.

Où êtes-vous exactement ? Êtes-vous en sécurité ?
Je suis avec ma famille dans la banlieue nord de Kiev, à Vyšogrudok, près de l’une des routes de sortie qui peuvent être utilisées par l’armée russe. Malgré tout, j’essaie de travailler notamment en m’occupant de la maison d’édition « Duch i Litera » (Esprit et lettres, ndlr).  Ces jours-ci, j’ai publié une nouvelle œuvre de notre grand compositeur Valentin Sylvestrov, un ami proche d’autres grands musiciens européens. Il s’agit d’une interprétation de l’hymne ukrainien. Cela aide les gens à survivre et leur donne de la force. Sa musique exprime exactement ce que nous voulons faire aujourd’hui en Ukraine et pour le monde.

« En tant qu’Ukrainiens, nous nous battons non seulement pour l’indépendance, mais aussi pour le respect de la dignité de chaque être humain. »

C’est-à-dire ?
En tant qu’Ukrainiens, nous nous battons non seulement pour l’indépendance, mais aussi pour le respect de la dignité de chaque être humain, sans distinction de race, de religion ou de nationalité. Nous comprenons cela parce qu’en tant que société, nous sommes nous-mêmes très diversifiés. Certains d’entre nous parlent ukrainien dans leur vie quotidienne, d’autres parlent russe. Mais nous avons des racines polonaises, russes, biélorusses, juives, grecques ou tatares. Et c’est dans ce melting-pot diversifié que l’unité culturelle de l’Ukraine a pris forme. C’est quelque chose d’inhabituel et d’exceptionnel. Et c’est sans doute pour cela que nous sommes si sensibles au respect de chacun. C’est ce que nous attendons du monde et surtout de la Russie : qu’ils acceptent notre droit de décider de notre destin. Comme les Russes, qui doivent également avoir le droit à la liberté et au respect de leur humanité… Ils en souffrent certainement.

L’Occident le comprend-il ? Vous dites qu’il regarde l’Europe de l’Est à travers le prisme de la Russie…
Cela nous fait beaucoup de peine, mais heureusement, c’est en train de changer. Ce qui se passe ces derniers jours, malgré le cauchemar de la guerre, offre une chance. Tous les pays européens doivent comprendre que depuis le 24 février 2022, le monde est différent. L’Europe prend conscience que la politique de l’autruche à l’égard de la Russie, ne mènera à rien. Et quand nous regardons le président Macron et d’autres dirigeants européens, nous voyons qu’ils commencent à comprendre qu’ils doivent être beaucoup plus courageux. Chacun, qu’il vive en France, en Pologne ou en Allemagne, est appelé à devenir le « nouveau Churchill »…

L’Ukraine dans le feu de la guerre, apporte le témoignage qu’il existe des valeurs qui doivent être défendues même au prix de la vie. Nous vivons aujourd’hui une révolution de la dignité.

Que voulez-vous dire par là ?
Churchill a dit un jour aux dirigeants occidentaux : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre. » Comme ces paroles sont pertinentes aujourd’hui ! L’Europe a besoin d’un réveil, d’une nouvelle éthique et d’une redéfinition des valeurs qui doivent être défendues. Cela ne peut pas signifier céder constamment au Kremlin. Nous avons besoin de cette démonstration qu’il est possible de suivre une autre voie. J’ai l’impression que l’Ukraine, aujourd’hui dans le feu de la guerre, apporte le témoignage qu’il existe des valeurs qui doivent être défendues même au prix de la vie. Le plus important est la dignité humaine, car elle est le fondement de l’humanité. Aujourd’hui, non seulement à Kiev, mais aussi dans d’autres villes ukrainiennes, nous vivons un nouveau Maïdan, une révolution de la dignité. Nous voyons des hommes emmener leurs femmes et leurs enfants en lieu sûr, et des hommes s’engager dans l’armée. Dans les rues de Kiev, Kharkiv ou Mariupol, il y a de longues files d’attente de personnes qui donnent leur sang.

D’où vient ce courage du peuple ukrainien admiré par le monde entier ?
Il s’agit de la défense des valeurs essentielles, sans lesquelles la vie perd son sens. En Ukraine, nous avons une longue tradition de mouvements dissidents. Comme mon ami de Kiev, Josyf Zisels, un militant ukrainien des droits de l’homme, qui a passé plus de 10 ans dans les prisons soviétiques. Aujourd’hui, cet esprit dissident s’est répandu dans toutes les villes d’Ukraine. La question de l’indépendance et de l’intégrité de l’Ukraine est une question de vie ou de mort pour nous. Mais cette lutte n’est pas quelque chose d’abstrait, elle a un visage. Lorsque je regarde les photos de ceux qui ont donné leur vie, ce n’est pas une foule sans visage, mais les visages de personnes concrètes, qui montrent généralement un sourire ou même un certain sens de l’humour. Ces visages personnalisent les valeurs pour lesquelles nous nous battons ici. Le Bien a toujours un visage.

Vous êtes très impliqué dans le dialogue œcuménique. Pour vous, Kiev est un lieu de véritable amitié œcuménique. Comment se traduit-elle ?
L’archevêque Shevchuk est en contact très étroit avec le chef de l’Église orthodoxe ukrainienne, le métropolite Epiphanius. Ce sont des hommes du même âge et qui partagent les mêmes idées. Ils ont également de bonnes relations avec Vitaliy Krivitskiy, l’évêque catholique romain. Ils travaillent en étroite collaboration avec les responsables d’autres églises et communautés religieuses, y compris la communauté juive. Cela s’est traduit par un office commun organisé le Mercredi des cendres à la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, conjointement avec le pape François, qui a lancé une journée de prière pour l’Ukraine. J’ai consacré trente ans de ma vie à la construction du dialogue œcuménique, et je suis très heureux qu’il existe réellement en Ukraine. L’appel de Jean Paul II pour que l’Europe respire avec ses deux poumons, résonne vraiment ici, à Kiev. L’Europe en a besoin non seulement sur le plan strictement religieux, mais aussi sur le plan culturel et scientifique. L’Ukraine constitue un élément important du poumon oriental de l’Europe, sans lequel le continent ne pourra pas vivre. Et le drame actuel nous y invite d’autant plus.

Comment imaginez-vous les jours et les semaines à venir ? Allez-vous gagner ?
Je crains le pire. Nous avons un tyran de l’autre côté, pour qui aucune vie ne compte, et pour qui ses propres citoyens ne sont que de la « chair à canon ». La folie à laquelle il nous pousse est difficile à imaginer. Par conséquent, nous devons tout faire pour calmer le feu qui se propage depuis le Kremlin. Il doit être arrêté.

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