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Le plaisir est-il de gauche ?

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AFP

Henri Quantin - publié le 16/03/22

Le candidat communiste à l’élection présidentielle se veut le candidat du bonheur et de la jouissance. Dans sa chronique hebdomadaire, l’écrivain Henri Quantin lui fait remarquer qu’un véritable ami du peuple ne peut pas être un adversaire de la vertu.

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Fabien Roussel l’a déclaré avec enthousiasme : « Oui, le plaisir est de gauche ! Oui, jouir, c’est de gauche ! » De la part d’un candidat dont les affiches évoquent plus un DJ des années quatre-vingt qu’un président de la République, la déclaration n’étonne pas entièrement. Comme nouveau manifeste du Parti communiste, c’est moins convaincant. Et dans la bouche d’un homme qui a fait récemment l’éloge du système chinois, c’est franchement incongru, à moins qu’il ne s’agisse de sado-masochisme. Il est vrai que l’on peut certainement jouir de sa toute-puissance en écrasant un dissident ou en torturant un prisonnier.

L’émancipation sexuelle a succédé à l’émancipation sociale. D’abord travailler sans chaîne, ensuite jouir sans entraves avec le soutien de l’État. Tel serait le glorieux bilan de la gauche.

« Le plaisir est de gauche » : cela pourrait, certes, être une variation sur le titre de Houellebecq, Extension du domaine de la lutte. Lutter pour la reconnaissance de la manière de jouir de chacun, de fait, est désormais présenté comme une nouvelle révolution. Olivier Py, qui entre facilement en « trans », raconte ainsi que les metteurs en scène marxistes de la génération précédente auraient sûrement considéré comme petit bourgeois de faire de sa sexualité une question politique. Au contraire, les nouvelles têtes d’affiche théâtrales sont souvent plus actives sur la cause LGBTQIA+ que sur le soutien de ce qui reste de la classe ouvrière. L’émancipation sexuelle a succédé à l’émancipation sociale. D’abord travailler sans chaîne, ensuite jouir sans entraves avec le soutien de l’État. Tel serait le glorieux bilan de la gauche.

Houellebecq donne toutefois un sens très différent à son « extension du domaine de la lutte ». Il désigne par là le triomphe de la compétition économique jusque dans la sphère intime. Entre les sexes, désormais, comme entre les travailleurs, la loi d’airain du marché instaure le règne du jetable, du contrat précaire, du renvoi sans préavis, de la loi du plus fort et de la performance. Dans un monde dont la stabilité amoureuse est bannie comme bourgeoise et hypocrite, le marché de la séduction est aussi impitoyable que le marché du travail pour celui qui vieillit.

Les eaux glacées du calcul égoïste

Fabien Roussel gagnerait à méditer la fameuse phrase de Marx et Engels que Houellebecq, lui, n’a pas oublié :

« Partout où elle a pris le pouvoir, la bourgeoisie a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du paiement au comptant. Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité traditionnelle, dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange… La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent… »

« Entre l’homme et l’homme » , écrit Marx. Pour comprendre le monde actuel, il suffirait donc d’ajouter : « et entre l’homme et la femme » (et même, si on y tient, « entre le non-binaire et le non-binaire »). Reprenant ce texte à l’occasion d’une joyeuse démolition de la pensée libertaire bêtifiante de Jacques Prévert, Houellebecq notait qu’il fallait être sacrément aveugle pour croire que la libération des forces sexuelles pourrait apporter le moindre réchauffement aux eaux glacées. Le jouisseur, plus encore qu’un autre, ne connaît que le calcul égoïste. C’est pourquoi mai 68 n’a pas débouché sur la défaite de l’hypocrisie de la bourgeoisie (« Essayons d’être enfin fidèle à l’Évangile que nous professons par intérêt sans y croire »), mais sur le triomphe de son cynisme (« Plus la peine de s’embêter à faire semblant »). C’est pourquoi aussi un véritable ami du peuple n’est sûrement pas un adversaire de la vertu. Fabien Roussel a ajouté qu’il était « un militant du bonheur ». S’il ne distingue pas bonheur et jouissance, il est condamné à se soumettre aux mensonges commerciaux de l’individualisme mondialisé. Plus que militant du bonheur, il est alors marchand d’illusions publicitaires.  

De notre côté, nous préférons écouter saint Thomas d’Aquin, meilleur maître en plaisir, quoi qu’on en pense, que bien des hommes de gauche ou de droite. 

Dire tout cela, est-ce refuser le plaisir ? Non, c’est rappeler une évidence : le plaisir n’est ni une fin en soi, ni un critère d’action à lui seul. S’il tient absolument à tout soumettre à une grille politique binaire, que Fabien Roussel se demande à la rigueur quels sont les plaisirs de droite et quels sont les plaisirs de gauche. Il peut aussi chercher de quels bords sont les gouvernements qui prétendent régenter jusqu’au plaisir de leurs citoyens (et leur éducation sexuelle), s’invitant ainsi au cœur de l’intimité des familles, dans une logique qui définit un régime totalitaire. Georges Orwell, resté homme de gauche toute sa vie, l’a d’ailleurs mis en fiction dans 1984.

Les vertus du plaisir

De notre côté, nous préférons écouter saint Thomas d’Aquin, meilleur maître en plaisir, quoi qu’on en pense, que bien des hommes de gauche ou de droite. Dans son excellent petit livre Pas de vertu sans plaisir, le dominicain Jean-Marie Gueullette nous rappelle cette remarque pleine de bon sens de la Somme théologique : « Nul ne peut vivre sans quelque satisfaction sensible et corporelle.  » Il ne semble pas pour autant que nul ne puisse vivre sans être de gauche. Ne confondant pas le plaisir et les désordres qu’il peut susciter, saint Thomas relève ensuite trois fonctions du plaisir : soutien dans l’effort (un carreau de chocolat dans la montée), remède à la tristesse (un deuxième carreau, parce que le ciel est gris), participation du corps à la joie (un troisième carreau pour fêter Pâques, mais c’est le dernier, sinon le plaisir devient désordonné et fait perdre la joie pascale).

Cette défense du plaisir ajusté est la conséquence de l’unité de la personne, qui n’est ni « une âme qui est dans un corps » ni « une âme qui a un corps », mais « le composé d’une âme et d’un corps ». Ce qui est bien pour l’âme apporte donc indissociablement une forme de satisfaction sensible et corporelle. De là cette affirmation de saint Thomas, que Fabien Roussel devrait méditer, surtout s’il s’imagine que le catholicisme est ennemi du plaisir et donc de droite : « Il ne peut y avoir d’acte parfait sans plaisir ». Pas de vertu sans plaisir, nous rappelle Jean-Marie Gueullette. La réciproque est-elle vraie, si on parle d’un plaisir ordonné ? Pas de plaisir véritable sans vertu ?  Cela se pourrait bien, mais je crains de ne pas être compris par Fabien Roussel, si j’affirme que cela signifie que le plaisir est catholique. Cela aurait pourtant le mérite de le rendre plus universel, et donc plus partagé, que s’il est de gauche.

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