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La fin d’une bipolarisation illusoire ?

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Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Sénat

Jean Duchesne - publié le 19/04/22

Pour l’essayiste Jean Duchesne, les élections de 2022 ruinent sans doute l’alternative gauche-droite. Qui la regrettera ?

Les commentateurs n’ont pas manqué de relever, avant le second tour de l’élection présidentielle en France, que les candidates des deux grands partis qui, depuis des décennies, polarisaient la vie politique dans le pays avaient recueilli si peu de voix (moins de 5% chacune) que leurs frais de campagne ne seraient pas remboursés, puisque représentant des opinions marginales, quasiment privées et finalement sans impact assez net pour être reconnues et protégées dans les débats démocratiques. Comment en est-on arrivé là ?

Une réponse à cette question est que « la gauche », pour exister, a inventé la « droite », et que celle-ci a dépéri dès qu’elle a cru être une réalité autonome. Expliquons-nous. Pendant longtemps, il n’y a pas une mais des « gauches ». Au début du XIXe siècle, les orléanistes étaient à gauche des légitimistes, de même que plus tard les libéraux par rapport aux conservateurs et traditionalistes. Les gauches forment un « bloc » en 1899, un « cartel » en 1924… La coalition victorieuse en 1936 s’appelle « Front populaire », et pas « de gauche ». Les partis qui la composent vont des communistes révolutionnaires aux radicaux devenus pragmatiques et modérés, ce qui révèle un flou idéologique, si ce n’est intellectuel.

L’idée de « la gauche » (au singulier, avec l’article défini laissant entendre qu’il s’agit d’un absolu transcendant les circonstances) s’impose après la Seconde Guerre mondiale. Elle permet aux communistes, désormais staliniens mais encore loin d’espérer devenir L’idée de « la gauche » (au singulier, avec l’article défini laissant entendre qu’il s’agit d’un absolu transcendant les circonstances) s’impose après la Seconde Guerre mondiale. Elle permet aux communistes, désormais staliniens mais encore loin d’espérer devenir majoritaires, des alliances avec les socialistes réformistes, en attendant que le capitalisme s’effondre de lui-même, tandis que tous les autres sont devenus fermement républicains — ce qui signifiait auparavant être « à gauche ». « La gauche » (unique) est donc dès lors la bannière qui rassemble tous ceux qui sont soit marxistes, soit persuadés que le marxisme va dans le sens du Progrès et que, même s’il tend au totalitarisme, le risque est contrôlable. Et tous ceux qui ne sont pas « de gauche » sont déclarés « de droite », qu’ils le veuillent ou non.

L’alternance ratée

Au fil du temps, pendant les « Trente Glorieuses », la démocratie chrétienne ou libérale (contrairement à ce qui se passe ailleurs en Europe) et le gaullisme (spécificité française, bien sûr) s’avèrent impuissants à constituer un pôle symétrique à « la gauche ». Ni l’une ni l’autre ne repose sur une pensée diamétralement opposable à « la gauche », qui d’ailleurs domine outrageusement dans les domaines universitaire et culturel, tandis que divers « centres » ne parviennent pas à produire une synthèse ni à ouvrir une troisième voie. Toutefois, l’arrivée du « socialiste » Mitterrand en 1981 marque bientôt le début d’une relativisation de « la gauche », déjà intérieurement dépassée depuis 1968 par le « gauchisme ». 

Les réformes programmées s’arrêtent en effet dès 1984 au profit d’une « rigueur » gestionnaire. Le Parti communiste s’écroule après la chute du Mur de Berlin et l’implosion de l’URSS. Le candidat « de gauche » est battu aux présidentielles de 1995, 2002 et 2007. Il l’emporte cependant en 2012. On a pu croire alors que s’établissait enfin une alternance entre « droite » et « gauche ». Mais en 2017, le sortant « de gauche » est si impopulaire qu’il s’abstient de se représenter. On peut se contenter d’estimer que les personnalités de Nicolas Sarkozy puis François Hollande expliquent leurs non-réélections, le premier par échec aux urnes et le second par renoncement. Mais on est aussi en droit de se demander si ce ne sont pas simplement les idées de « gauche » et de « droite » qui sont désormais épuisées.

Mimétisme sous la symétrie

Ce qui est dénommé « la droite » n’est qu’une non-gauche, en ce sens qu’elle n’exclut aucune coopération, sauf avec le communisme reconnu liberticide. Pour le reste, elle adopte les « valeurs » promues par « la gauche » : justice sociale, solidarité, humanisme, étatisme, laïcité… Des mesures « sociétales » caractéristiquement « de gauche » (légalisation de l’avortement, facilitation du divorce) passent sous un président « de droite » (Giscard d’Estaing). Son successeur du bord adverse (Mitterrand) s’avère plus réaliste et « florentin » que dogmatique. Autrement dit, « la droite » n’a pas d’identité propre, et ne se définit que négativement par rapport à « la gauche » et tout en lui empruntant. Et celle-ci, une fois au pouvoir, s’étiole dans le pragmatisme de ses élus et leur incapacité à instaurer le paradis sur terre qu’elle promet.

Le paysage politique est en recomposition, avec d’une part ceux qui ne se plaignent pas trop et de l’autre les mécontents dont les motivations et aspirations divergent trop pour constituer une opposition unie.

Le résultat est qu’à la fin de la Guerre froide, lorsque le libéralisme protéiforme semble triompher, les deux camps qui, chacun à sa manière, lui sont compatibles, deviennent deux réseaux de notables, tandis qu’apparaît une nouvelle donne : l’écologie contestataire, dont « la gauche » se montre impuissante à profiter pour se relancer. Les personnalités occupent alors tant bien que mal, aux niveaux local et national, le vide laissé par des différenciations qui ne sont plus si nettement programmatiques et encore moins philosophiques. Le coup de grâce est porté à cette bipolarisation lors de l’élection présidentielle de 2017.

Quand « la gauche » va mal, « la droite » ne s’en porte pas mieux

Mais ce n’est pas seulement par la victoire d’Emmanuel Macron, « en même temps » des deux côtés et en fait ni de l’un, ni de l’autre. Car « la primaire de la droite » de fin 2016, remportée par François Fillon a sans doute été plus décisive. La non-gauche avait (à raison !) jusque-là toujours refusé d’être appelée « la droite ». Et elle le revendiquait au moment où « la gauche » sans laquelle elle n’aurait pas existé était en pleine débandade… L’échec de son champion est sans doute dû, au moins autant qu’aux attaques personnelles qu’il a essuyées, au fait que l’échec annoncé de « la gauche » divisée démotivait le vote pour « la droite ». Que celle-ci vaut surtout comme anti-gauche et perd son intérêt quand « la gauche » va mal est confirmé par le faible score en 2022 de Valérie Pécresse, issue du principal parti dit « de droite ».

Cependant, puisque Jean-Luc Mélenchon n’a pas été loin de se qualifier pour le second tour, on dira peut-être que « la gauche » est plus solide, et dans une version plus « extrême » que le mitterrando-jospino-hollandisme. Or le candidat « insoumis » se garde bien de se réclamer de la déjà vieille « gauche ». Son audience tient largement à ses qualités de tribun et il a 71 ans. Trouvera-t-il quelqu’un à qui passer la main ? Marine Le Pen, la rivale d’Emmanuel Macron en finale est, elle aussi, classée « extrême », cette fois « à droite ». Mais qu’est-ce que l’extrême du symétrique d’une identité qui a toujours été problématique et l’est plus que jamais ? Et son parti a-t-il, de même que celui de Jean-Luc Mélenchon, assez de consistance pour survivre à son fondateur et chef ?

Intérêts propres et bien commun

Il convient d’ajouter que l’on peut aussi douter de la pérennité du parti d’Emmanuel Macron. Beaucoup dépend ainsi de personnalités bien plus que d’idées. Le paysage politique est en recomposition, avec d’une part ceux qui ne se plaignent pas trop et de l’autre les mécontents dont les motivations et aspirations divergent trop pour constituer une opposition unie. Et tout cela est tributaire, plus encore que de leaders, du contexte économico-technico-international et même sanitaire, où la latéralisation gauche-droite est devenue un concept inadéquat (si tant est qu’il ait jamais été justifié). Il ne s’ensuit pas qu’il faudrait renoncer à tout principe ou recul, pour ne voir que ses intérêts immédiats ou croire en des solutions simplistes. Car les choix politiques, rarement satisfaisants, reposent sur un jugement moral dans le discernement contingent et faillible, donc non nécessairement tragique, du bien commun.

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ÉlectionsEmmanuel Macronmarine le penPolitique
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