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Avortement : qui pense à l’accompagnement des femmes en détresse ?

SMUTNA KOBIETA

Pixel-Shot | Shutterstock

Benoist de Sinety - publié le 26/06/22

La fin du droit fédéral à l’avortement aux États-Unis ne peut pas être vue comme une victoire ou comme une défaite. Pour le père Benoist de Sinety, curé de la paroisse Saint-Eubert de Lille, l’événement devrait plutôt interroger les consciences. Que décide-t-on, par exemple, pour accompagner plus humainement les femmes en situation de détresse ?

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L’annonce de la décision de la Cour suprême américaine au sujet de l’avortement provoque une avalanche de réactions jusque dans notre propre pays. Cela n’a rien d’étonnant : d’une part car, même si cela agace, l’hégémonie culturelle de nos alliés d’outre-Atlantique reste puissante. D’autre part, le sujet lui-même, qui reste un formidable tabou dans notre propre société, ne cesse de travailler notre inconscient collectif. 

La première légalisation en URSS

Si l’on regarde l’histoire, il est intéressant de noter que le premier pays au monde à avoir légaliser l’avortement est l’URSS en 1920 sous l’impulsion d’Alexandra Kollontaï, commissaire du peuple à la Santé. Il sera interdit par Staline en 1936 devant le nombre croissant de femmes y recourant, afin de faire remonter une natalité en crise. L’augmentation des avortements clandestins a un effet quasi-immédiat : en 1950 la mortalité maternelle est de 329 pour 100.000 naissances, et 70% de ces décès sont causés par des avortements clandestins. En 1955, de nouveau légalisé, l’avortement devient une pratique de contrôle des naissances : à la fin de la dictature soviétique l’avortement est ainsi le principal moyen de réguler la fécondité, avec un nombre d’avortements par femme s’élevant entre trois et quatre. En 2014, selon le rapport annuel publié sur la santé publique en Russie, on estimait que 930.000 avortements avaient été pratiqués dans le pays…

Aux États-Unis, le droit fédéral à l’avortement, comme nous le savons maintenant grâce aux multiples articles publiés depuis quelques heures à ce sujet, date de 1973 et du célèbre arrêt Roe v. Wade. L’abrogation par la Cour suprême qui vient d’être signifiée ne changera, selon beaucoup de spécialistes, pas grand-chose dans la pratique. Depuis ces dernières années, 95% des comtés de certains États du Sud, (les plus opposés à l’avortement) comme le Mississipi, le Missouri, ne comptent plus un seul établissement pratiquant l’avortement. Et chaque État reste maître de décider de continuer ou non à légaliser l’interruption volontaire de grossesse.

Chape de plomb

En France, qu’en est-il ? Criminalisé en 1920 et passible des assises, l’avortement est d’abord autorisé en 1955 pour des motivations thérapeutiques. La loi Veil en 1975 le dépénalise. Cette loi, profondément remaniée notamment depuis une dizaine d’année (loi Vallaud-Belkacem de 2014 et passage du délai légal de 12 à 14 semaines en 2022) garde une portée symbolique même si son auteur aurait aujourd’hui du mal à y reconnaître ses principes d’alors. C’est qu’une chape de plomb a été très vite coulée sur tout débat à ce sujet. Nul ne peut, publiquement, prendre la parole et évoquer les 230.000 avortements annuels comme une question posée à la société tout entière. 

Quoiqu’on puisse en effet penser de l’avortement, n’est-il pas possible de s’interroger et d’essayer de comprendre quelles en sont les raisons ? 230.000 avortements, ce sont d’abord 230.000 femmes qui se trouvent chaque année dans notre pays en situation de détresse. Combien parmi elles sont laissées seules, abandonnées à la froide technologie médicale et aux diagnostics abrupts, sans accompagnement ni en amont ni en aval ? Notre histoire moderne nous montre que cette pratique n’est pas liée à un système politique donné mais plutôt à la manière dont ce système renvoie chacun de nous, de sa dignité de personne à un statut d’individu. L’État libéral, comme l’État dictatorial, au fond, se fiche pas mal des uns et des autres. La dignité de la personne n’est souvent qu’un principe gravé en préambule mais qui ne correspond en rien à la vision politique : le nazisme, le marxisme, et aujourd’hui « le Fric », sont autant d’idoles devant lesquels tous les grands principes volent en éclat au nom de l’intérêt supérieur.

Une question de coût pour la société

Il faut avoir entendu les récits de couples (pour ne pas parler des seules mères célibataires) qui, dès lors que le diagnostic prénatal est inquiétant, se voient poursuivis par l’administration et les médecins eux-mêmes afin de ne pas poursuivre une grossesse « à risque » : rien ne leur est épargné. On leur parle de l’avenir incertain de cet enfant, du poids que sa charge exercera sur sa fratrie et sur la société… Car c’est bien là finalement que beaucoup s’accordent : inutile de faire payer à la collectivité le coût d’un enfant non-désiré ou handicapé. On ne devrait pas s’en étonner : c’est pour des raisons similaires que la question de l’euthanasie est si régulièrement proposée comme solution finale. Les récents scandales autour de la maltraitance dans les maisons de retraite, à leur manière, y contribuent : le vieux coûte cher ! 

Il serait autrement plus courageux de réfléchir enfin à ce que représente aujourd’hui dans notre société la vie humaine.

Il serait profondément immoral de désigner les femmes ayant recours à un avortement : elles ne font qu’utiliser un droit qui leur est donné. Supprimer ce droit ne sert à rien non plus, car, tout en ne modifiant en rien les pratiques des plus riches, cette interdiction pousserait les plus pauvres à des pratiques dangereuses d’un autre âge. Il serait autrement plus courageux de réfléchir enfin à ce que représente aujourd’hui dans notre société la vie humaine, à sa valeur qui ne saurait dépendre des logiques économiques et financières. Je me permets d’ailleurs d’interroger ceux qui militent en évoquant avec émotion ces 230.000 enfants qui ne naîtront pas et qui manqueront donc à notre société, tout en expliquant doctement que la même société ne peut accueillir un seul étranger de plus sur son territoire. Il n’est pas possible de prétendre se soucier du faible que de manière sélective !

Éveiller les consciences

La décision américaine fait l’effet d’un coup de tonnerre bien amplifié mais dont nombre d’échos oublient (à dessein) de préciser que l’avortement était autorisé, sur le plan fédéral, jusqu’à la constatation de la viabilité du fœtus en-dehors de l’utérus estimée entre 24 et 28 semaines. La Cour a ainsi confirmé une loi du Mississipi interdisant l’avortement après 15 semaines. Le chiffre de 24 peut paraître un peu abstrait : rapporté en nombre de mois, cela fait 6… C’est en fait l’excès dément dans lequel le législateur américain était tombé qui provoqua sa chute : parce qu’il y a toujours un moment où, quelle que soit l’opinion, « trop c’est trop »… Il est toujours utile que la justice le rappelle. Mais il serait aussi absurde de ramener cela à la victoire d’un camp contre un autre. S’il s’agissait d’une telle logique, cela ne mènera à rien d’autre qu’à préparer la revanche de l’autre camp dans les mois ou les années à venir. En attendant, rien n’aura été pensé sur la manière d’accompagner plus humainement les femmes qui en ont besoin et de traiter plus efficacement les raisons qui provoquent ces drames. Cela aurait plus d’avenir que les très démagogiques et, il faut quand même le dire, très pathétiques propositions d’inscrire le droit à l’avortement dans notre Constitution. Comme si d’aucun cherchaient à protéger leur désir d’excès qui se manifeste de plus en plus clairement…

Les tables de loi, même gravées dans le marbre, ne vaudront jamais plus que la recherche du bien commun qui éveille les consciences personnelles et fait grandir alors la société tout entière. Si les chrétiens n’acceptent pas d’être de ceux qui interrogent ainsi nos contemporains, non dans une logique d’affrontement mais à la manière de l’Évangile, alors il ne restera plus que des pierres pour crier…

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