La Cour suprême des États-Unis a opéré un revirement de jurisprudence historique. L’arrêt Dobbs v Jackson Women’s Health Organization a annulé la jurisprudence Roe v. Wade. Désormais, l’avortement sans condition jusqu’à la viabilité du fœtus, soit 24 semaines, n’est plus garanti dans tous les États-Unis. Ce sera dorénavant aux États de légiférer sans contrainte et démocratiquement sur cette question difficile. Décision historique, mais surtout séisme médiatique et politique planétaire ! Les réactions alarmistes et outrées des pro-choice se font entendre. Dans une quasi-unanimité, chefs d’États, leaders politiques, personnalités ont déclaré leur opposition à la décision d’une Cour suprême qu’ils qualifient de réactionnaire, patriarcale et intégriste. La nouvelle jurisprudence serait l’abolition de l’avortement, les juges sont représentés par les dessins de presse en ayatollah, les États-Unis sont comparés à la dictature religieuse de la série à succès The Handmaid’s tale comme si les militants pro-vie étaient des mâles blancs fanatiques, dominateurs et pervers.
En France, le groupe Renaissance (ex-LREM) à l’Assemblée a déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire dans la Constitution le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Comme s’il fallait protéger la loi Veil de 1975 qui, en moins de 50 ans est passée d’une loi de dépénalisation à une liberté fondamentale sanctuarisée par un délit d’entrave à l’avortement… Le tout, sans opposition. Aucun élu ne conteste la loi Veil. Parmi les personnalités politiques de premier plan, hormis François Bayrou, peu s’opposent à la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Pourtant la réalité de la jurisprudence américaine et des mouvements pro-vie d’outre Atlantique est bien différente. Elle est beaucoup plus complexe, nuancée, loin des manichéismes. Dans le tintamarre médiatique, tout est caricaturé en faveur du clan pro-choix. Regardons ces sujets de plus près.
Le revirement de la Cour suprême
Présenté par nombre de commentateurs comme la fin du droit à l’avortement, l’arrêt Dobbs v Jackson Women’s Health Organization est en réalité tout autre. Pour le comprendre, regardons d’abord l’arrêt annulé : Roe v. Wade est une décision de la Cour suprême qui, en 1972, a considéré que le quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis, datant de 1868, impliquait un droit fondamental à l’avortement jusqu’à la viabilité du fœtus. Les juges avaient alors interprété très largement un amendement qui protège la vie privée des citoyens américains. Le quatorzième amendement ne parle absolument pas d’avortement, ni de grossesse… Pourquoi cette surinterprétation ? Beaucoup parlent d’activisme, de lobbying pour que la Cour de 1972 prenne cette décision, considérée par beaucoup de juristes comme une erreur judiciaire. Et la conséquence de Roe a été terrible : elle a empêché les cinquante États de légiférer sur ce sujet. Toute loi restreignant l’avortement était interdite. Ainsi, l’arrêt Dobbs qui l’a renversé, portait sur une loi du Mississipi interdisant l’avortement non-médical au-delà de quinze semaines…
En France, le délai légal de l’IVG est de quatorze semaines, la loi Veil serait donc illégale aux États-Unis !
En France, le délai légal de l’IVG est de quatorze semaines, la loi Veil serait donc illégale aux États-Unis ! Ce qui souligne le caractère extrême de Roe v. Wade : l’avortement sans condition jusqu’à la viabilité du fœtus, soit environ vingt-quatre semaines (six mois). Décision extrême prise par une cour de justice et non un parlement, c’est-à-dire une décision contraire aux principes démocratiques américains. L’arrêt Dobbs est au contraire un rétablissement de ce principe démocratique. Il ne se prononce ni sur le statut de l’embryon, ni sur le droit à la vie. Il n’a fait que rendre une interprétation rigoureuse et honnête de la Constitution américaine : celle-ci ne contient aucunement un quelconque droit à l’avortement. Cette question relève donc du législateur démocratiquement élu.
La question de l’intégrité des juges, mise en cause par leur arrêt précédent sur le port d’armes et leur nomination par Donald Trump, a été posée. Sur les armes à feu, ils pouvaient difficilement statuer autrement puisque la liberté de porter une arme est, cette fois-ci, explicitement défendue par le deuxième amendement. Le seul moyen de revenir sur ce droit est de réviser la Constitution, non d’espérer de la Cour suprême qu’elle fasse une mauvaise interprétation du texte. Enfin, sur leur nomination par le président Trump, rappelons que celui-ci souhaitait que la Cour suprême invalide l’élection de Joe Biden en reconnaissance de leur promotion. Évidemment, il n’en fut rien, ces juges étant reconnus comme étant les meilleurs juristes des États-Unis et appréciés pour leur intégrité. Ils ne sont pas des politiques, mais des magistrats. Néanmoins, le soutien de Donald Trump au mouvement pro-vie lui a conféré une image négative qui a éclipsé la diversité de cette famille de pensée.
Les mouvements pro-vie aux États-Unis
Les mouvements pro-vie américains ne constituent pas cette “droite religieuse” extrémiste évoquée par le tsunami médiatique. Très loin de là, le mouvement pro-vie comprend un grand nombre de mouvements. Même s’il marque de plus en plus le clivage droite-gauche, il existe encore des démocrates pro-vie. C’est le cas par exemple de John Bel Edwards, gouverneur de la Louisiane. Il faut citer aussi le mouvement DFLA : les démocrates pour la vie d’Amérique, mouvement certes en perte de vitesse mais qui existe toujours. Les démocrates pro-vie ont une vision très forte du combat pour la vie humaine : ils ont une vision globale, ne se limitant pas à la restriction de l’avortement mais aussi à l’aide envers les femmes enceintes en détresse. Ils défendent un féminisme protégeant la femme et son enfant, une justice sociale en faveur des plus pauvres.
Un grand texte américain, inconnu en France, résume cette vision puissante : intitulé “A new american compact, caring about women, caring for the unborn”, cette tribune a été signée par des figures démocrates pro-vie comme Sargent Shriver et son épouse Eunice Kennedy, sœur du président John Fitzgerald Kennedy. Sargent Shriver était un des leaders démocrates les plus estimés, responsable de la “guerre contre la pauvreté” au sein du gouvernement de Lyndon Johnson (1963-1968), il est une grande figure sociale du XXe siècle. Shriver est l’antithèse de Trump, et sa mémoire (il est mort en 2011) est vénérée par beaucoup d’Américains. Catholique très pratiquant, un procès en béatification est évoqué. Il a co-signé cette tribune dans le New York Times en juillet 1992, il y a trente ans, avec des cosignataires prestigieux, démocrates, républicains, de convictions religieuses différentes avec aussi des athées et agnostiques, des origines sociales différentes, composé de Noirs et de Blancs. Loin d’être une tribune réactionnaire, c’est un grand texte social et pourtant très ferme contre Roe v. Wade dont il déplore le caractère extrême et anti-démocratique.
Un nouveau pacte américain
Comme son nom l’indique, ce texte appelle à un nouveau “pacte américain”, reposant non sur l’individualisme extrême porté par Roe, mais par la solidarité, par le soin donné aux femmes et aux enfants à naître. Un pacte américain plus proche de celui voulu par les pères fondateurs des États-Unis. Loin du patriarcat dont les pro-vie sont accusés, c’est un texte féministe, d’ailleurs signé par une leader féministe noire, qui dessine une belle approche du combat pour la vie humaine, pour toutes les vies humaines de la conception à la mort naturelle. Une approche sociale, intégrale qui peut inspirer les Français car elle touche le sens profond du mouvement pro-vie : protéger toute vie humaine, pas seulement par des interdictions, mais surtout par une justice sociale, par une qualité de vie pour tous, par un lien social fort dans une société démocratique.