C’est un passage presque obligé entre Lourdes et saint Jean-Pied-de-Port, Pau et l’Espagne. À trois cent mètres d’altitude, entourée de sommets pyrénéens, Sarrance est le lieu le plus étroit de la vallée, irriguée par le Gave d’Aspe. Au centre du village se tient l’abbaye consacrée à Notre-Dame. De taille humaine, avec ses parquets et son cloître à deux étages dotés de balustrades en bois, “on se croirait dans l’auberge des trois mousquetaires”, se sont exclamés les frères en visitant l’abbaye pour la première fois.
“La Vierge Marie a choisi ce lieu”, indique frère Paul-Emmanuel, futur prieur de la communauté. Dans ce lieu de pèlerinage depuis le douzième siècle, le plus ancien des Pyrénées Atlantiques, puis reconnu tel par le pape Innocent II en 1140, la Sainte Vierge veille sur les pèlerins et les personnes venues se reposer auprès d’elle. “Sous ta miséricorde, nous cherchons refuge, sainte Mère de Dieu. Accueille nos prières quand nous crions vers toi”, implorent-ils chaque soir, à genoux près de la niche située derrière l’autel.
À la demande de l’évêque de Bayonne, Mgr Marc Aillet, les frères sont chargés de redynamiser le pèlerinage. L’accueil des pèlerins est une tradition pour les chanoines de l’ordre Prémontré. Comme à l’abbaye sainte Foy de Conques – où les Jacquaires de la via Podiensis s’arrêtent depuis trente ans – les pèlerins de Compostelle font halte à Sarrance. Cette dernière étape avant la frontière permet, à ceux qui veulent éviter le chemin très fréquenté du Puy, d’emprunter la Via Tolosana, venue d’Arles. Par leur prière ouverte à tous – liturgie des heures et Eucharistie – les frères assurent une présence spirituelle. L’accompagnement et la bénédiction avant de repartir sur le chemin sont aussi proposés. L’hôtellerie du XVIIe siècle, inscrite aux monuments historiques, peut héberger trente personnes mais nécessite d’importants travaux de restauration.
L’abbaye de Sarrance n’accueille pas seulement les Jacquaires. Le frère Dominique-Marie, futur recteur du sanctuaire, souhaite, avec les frères, en faire un pôle spirituel pour la vallée d’Aspe : retraites individuelles et conjugales prêchées par les frères, lieu d’écoute, accueil pour le sacrement de réconciliation… Les idées fusent pour les prêtres enthousiasmés par cette belle aventure. “Quelque chose de beau nous est offert à vivre et nous avons envie d’y adhérer sérieusement”, confie frère Paul-Emmanuel. “Nous y voyons un signe du Ciel : Dieu est toujours là et nous répondons à son appel”.
De fait, la présence des Prémontrés à l’abbaye de Sarrance s’inscrit dans la continuité. Chassés à la Révolution, ils y sont revenus en 2011, en la personne de frère Pierre, succédant ainsi aux pères de Betharram. Celui-là, ordonné prêtre pour le diocèse de Bayonne depuis cinquante-six ans, a néanmoins été appelé à “une vie de prière en communauté et au milieu du monde“. Novice à l’abbaye de Mondaye, il vient depuis s’y abreuver six à sept fois par an. Frère Pierre reconnaît avoir été l’instrument de la greffe de l’ordre des Prémontrés dans les Pyrénées. “La sève Prémontrée prise à l’abbaye de Mondaye a pris en moi“, témoigne le prêtre octogénaire. Sa prière, associée à celle des paroissiens et des hospitaliers, d’être rejoint par d’autres Prémontrés est enfin exaucée. “C’est un bonheur de transmettre mon bâton de berger à de plus jeunes frères”, se réjouit-il.
Dans ce lieu pourtant aride, on découvre Sarrance au tournant d’une route, comme un cadeau de bienvenue de la Vierge Marie.
Par la création de l’Association Saint Norbert en Aspe, frère Pierre a pu acheter le monastère – exceptée l’église, propriété de la commune – et y accueillir pèlerins et personnes souhaitant reprendre pied dans leurs difficultés. Entouré de prêtres à la retraite ou en repos, il a assuré la charge de curé du canton d’Accous, charge qui sera désormais assumée par les frères Renaud et Julien. Le premier en sera le curé. Aguerri, il l’a été pour cinquante villages en Normandie, autour de l’abbaye de Mondaye. “Il était temps de changer de mission”, confie-t-il. “Nous allons être comme des pionniers, là où la présence Prémontrée s’inscrit depuis des siècles, malgré des interruptions”. La paroisse est justement dédiée à saint Norbert, fondateur de l’Ordre. Sa statue figure devant le chœur doré de l’église baroque, ainsi que celle de saint Augustin, dont les Prémontrés suivent la règle. Frère Julien, le plus jeune des quatre frères, en sera le vicaire. Frappé par la pluie qui tombait sur le Béarn lors des visites nécessaires au discernement, il a vu dans le sourire des habitants et des paroissiens de Sarrance “une lumière intérieure”. Leur accueil est en effet très chaleureux et enthousiaste.
“Dans ce lieu pourtant aride, on découvre Sarrance au tournant d’une route, comme un cadeau de bienvenue de la Vierge Marie et on vient puiser, à la très belle fontaine à vasque du village, un rafraichissement humain et spirituel”, promet frère Renaud. Notre-Dame de Sarrance accueille inconditionnellement.