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L’art de la louange chez le converti Patrick Kéchichian

Patrick Kéchichian

Patrick Kéchichian.

Agnès Bastit-Kalinowska - publié le 20/10/22

Agnès Bastit rend hommage à l’écrivain et critique littéraire Patrick Kéchichian, qui vient de mourir à l’âge de 71 ans. Converti au catholicisme grâce au cardinal Lustiger, il exprimait avec grâce l’art lumineux de la louange.

L’écrivain Patrick Kéchichian, longtemps critique littéraire au journal Le Monde et chroniqueur à La Croix, est mort le 18 octobre dernier. Il était fils d’émigrés arméniens. Vers la trentaine, il découvre et embrasse le catholicisme grâce au charisme de Mgr Lustiger qui lui donne le sacrement de confirmation. Depuis, tout en poursuivant son activité d’écrivain (L’Aiguille de minuit, Des princes et des Principautés, La Défaveur) et de critique, qui était pour lui un exercice d’ouverture à autrui, il conservait l’humilité et l’émerveillement du converti face à la foi catholique. Il a su l’exprimer avec grâce dans un texte bref et lumineux, son Petit éloge du catholicisme (Gallimard, 2009) suivi, dans le même esprit de mise en valeur de la littérature chrétienne, d’une anthologie commentée de textes pauliniens : Saint Paul, le génie du christianisme, Petites Sagesses, 2012.

Éloge du catholicisme

En mémoire de cette belle voix poétique et chrétienne, lisons quelques lignes extraites de son Petit éloge du catholicisme (Gallimard) :

“Le désir de l’éloge, comme tout vrai désir, est sortie, abandon joyeux de soi. Il invente sa langue. Singulière, elle n’est ni naturelle ni spontanée, mais exclamative, poétique, priante, jaillissante… Même pauvre et maladroite…, elle est encore riche, non d’elle-même, mais de ce qui la fait incessamment jaillir… L’éloge suppose l’existence, la consistance de la personne (ou de la chose) dont on veut dire et chanter les mérites, l’intérêt, l’intelligence, la beauté, la hauteur, la profondeur etc. Cette personne, il faut d’abord la nommer — ou échouer à la nommer —, l’invoquer, se placer en pensée… face à elle.”

Quelques notes en marge de ce riche texte. Tout d’abord, l’éloge ou l’acclamation est “ex-clamative”, au sens de sortie de soi, d’explosion hors de l’intériorité et tournée vers autrui. Sa pauvreté (relative) vient de ce qu’il ne s’agit pas d’un discours composé, maîtrisé, mais du jaillissement répétitif débordant du cœur du fidèle. La louange se fait alors volontiers accumulative, comme le cri répété du Sanctus (“saint, saint, saint”) ou comme l’avalanche de synonymes qui se pressent dans le Gloria “nous te louons, nous ne bénissons, nous t’adorons, nous te rendons grâce…”). La précision de l’adverbe “incessamment” fait écho au conseil de Paul, le maître aimé de Patrick Kéchichian “sans cesse rendez grâce” (1 Th 5, 17-18). On pense encore à la louange des Séraphins, dont la liturgie nous dit qu’ils lancent leur cri d’une voix incessante (“incessabili voce proclamant“, selon l’hymne du Te Deum). De ce fait, la louange est par nature “poétique”, c’est-à-dire que la richesse de son objet lui confère une beauté de forme — la forme de l’hymne ou du psaume — qui ne vient pas d’un simple apprêt humain. 

“Partout où l’homme touche aux choses divines, sa langue s’éloigne de la langue courante, sa langue est sanctifiée, pour ainsi dire, par le contact avec le divin”

La dimension fondamentale de la louange 

Comme l’écrivait jadis la grande spécialiste du christianisme ancien et de la langue liturgique Christine Mohrmann, “partout où l’homme touche aux choses divines, sa langue s’éloigne de la langue courante, sa langue est sanctifiée, pour ainsi dire, par le contact avec le divin”. Vient ensuite la dimension fondamentale de la louange : son orientation vers un être extérieur à nous, qui appelle l’éloge précisément par ce qui l’est — sa grandeur, sa bonté, sa beauté etc. Le fait de “nommer” correspond à l’aboutissement et à l’ultime étape du processus, celle qui permet de rejoindre enfin l’être visé, d’entrer en relation avec lui, d’initier un “face à face”.

Tout se passe donc comme si cela ne pouvait intervenir qu’au terme d’un arrêt suspensif, rendant perceptible la distance, l’effort nécessaire, parfois marqué par l’impuissance, pour atteindre l’objet de sa louange. Le cri des Séraphins rapporté par Isaïe aboutit ainsi, après la triple répétition de l’affirmation “saint”, à prononcer le nom de celui dont la sainteté est proclamée : “saint – le Seigneur Sabaoth“. Avant de s’abîmer dans la contemplation de la face de ce Seigneur. Telle est la leçon de louange que nous a donnée Patrick Kéchichian, pour laquelle nous lui sommes reconnaissants.

Tags:
ConversionLouange
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