Ma génération a connu un Jean Paul II déjà âgé et malade et voyait en lui un géant dont nous savions que les grandes années étaient derrière nous. Restait, sous nos yeux et ceux du monde entier, son extraordinaire exemple de stabilité et d’immense dignité dans la souffrance. L’accession de Joseph Ratzinger sur le trône de saint Pierre coïncidait quant à elle avec notre entrée dans l’âge adulte ; elle a aussi été notre entrée dans une foi adulte. Arrivés après la grande époque des “Pentecôtes nouvelles”, dont tant se sont avérées de lourdes supercheries, nous avions besoin, loin des enthousiasmes retombés, de revenir au cœur de l’annonce chrétienne. En cela, l’encyclique Deus Caritas est a été pour tant d’entre nous comme un coup d’envoi et la découverte de la profondeur de l’enseignement magistériel.
Nourris par ce texte qui servait de ressource dans nos aumôneries, nos groupes Even, nos sessions et pèlerinages, nous avons pris goût à l’enseignement de ce pape à la pensée exigeante et claire. Spe Salvi et Caritas in Veritate nous renforçaient dans la compréhension et la pratique des vertus théologales tandis que, comme théologien, Joseph Ratzinger nous donnait à contempler avec les deux yeux de la foi et de la raison, la figure de Jésus de Nazareth lui-même (Parole et Silence, 2012).
À travers ces textes mais aussi tant de discours déterminants comme ceux de Ratisbonne, des Bernardins et celui, jamais prononcé hélas, de la Sapienza, nous mesurions combien ce pontificat nous invitait à une foi profondément nourrie par la raison afin de rester fermes dans un monde sécularisé, sans irénisme ni raideur.
La foi et la raison étaient sauves dans leur ordre propre et leur articulation, l’enseignement de l’Église nous apparaissait dépoussiéré des querelles des dernières générations
En un sens, Benoît XVI semblait écrire, avec une maestria et une clarté remarquables, la conclusion des XIXe et XXe siècles européens dans leur rapport à la foi chrétienne marqué par le modernisme et l’intégrisme. La foi et la raison étaient sauves dans leur ordre propre et leur articulation, l’enseignement de l’Église nous apparaissait dépoussiéré des querelles des dernières générations et la liturgie elle-même indiquait cette respiration nouvelle. Elle n’avait pour finalité ni de nous dire nous-mêmes, ni d’expérimenter des modes d’expression de la foi, mais de nous ancrer dans le Mystère du Christ en puisant dans les trésors, vivants et renouvelés, que l’Église avait patiemment reçus et façonnés. Les JMJ du pape Benoît XVI et tout particulièrement celles de Madrid rassemblaient dans la joie ces traits saillants du pontificat. Firmes en la fe,chantions-nous en Espagne, mais pour mieux nous taire devant le Saint-Sacrement exposé à tous lors de l’inoubliable et tempêtueuse veillée.
À sa juste place
N’était-ce pas, au fond, un avant-goût de la démission à venir ? Loin de l’image absolutisante de la papauté qu’on a voulu lui associer, le pontife, moins souverain que jamais, a su lui-même se taire et s’effacer, convaincu que le seul Pasteur de l’Église continuerait de la conduire et que l’Esprit Saint susciterait un homme à l’énergie intacte pour faire face aux défis du XXIe siècle. Il a, ce faisant, remis la figure du pape à sa juste place et cela devait certainement infléchir définitivement notre rapport à la papauté. Le serviteur de l’unité de l’Église, qui raffermit ses frères par sa parole et son agir, ne fait que passer… Stat Crux ! Dès lors, si l’heure est à l’action de grâces pour cette vie édifiante et cet enseignement incomparable, nulle place ne peut être sérieusement laissée à la nostalgie ou à la complainte. C’est au Christ, qui ne passe pas, que doit aller notre attachement. En cela et sans minimiser leurs différences de style et de tonalité, le pontificat de Benoît XVI nous préparait à entendre l’appel de François à aller aux périphéries. Nous y aurons un nouvel intercesseur !