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« Ici, quand l’État n’est pas là, l’Église supplée »

Notre Dame De Kinshasa

JOHN WESSELS / AFP

Cathédrale Notre-Dame de Kinshasa.

I.Media - publié le 30/01/23

Forte de près de 50 millions de fidèles et d’un important réseau de structures éducatives et sanitaires, l’Église catholique en RDC est une des rares institutions debout dans ce pays laminé par la violence, la pauvreté, et les manquements de l’État de droit. Figure de résistance face aux régimes autoritaires depuis les années 1960, son autorité est respectée mais son pouvoir reste limité, au regard de la situation actuelle du pays.

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Depuis son élection en 2013, fidèle à son vœu de se rendre aux périphéries de l’Église, le pape François a visité de nombreux pays où le catholicisme est minoritaire. Ses deux derniers voyages furent d’ailleurs pour lui l’occasion de s’adresser à des communautés chrétiennes ultra-minoritaires, comme au Kazakhstan, en septembre dernier, ou bien à Bahreïn, au mois de novembre.

Son déplacement en République démocratique du Congo du 31 janvier au 3 février s’inscrit dans une toute autre réalité. Là-bas, le catholicisme y est puissant, au point de peser dans tous les domaines de la société.

Numériquement d’abord, les catholiques représentent la moitié de la population de cet immense pays de plus de 105 millions d’habitants. Cette implantation de l’Église en RDC est ancienne puisqu’elle remonte à la toute fin du XVe siècle, lorsque les premiers missionnaires portugais débarquèrent à l’embouchure du fleuve Congo.

Une histoire marquée par la présence de religieux

Au XVIe et XVIIe, les missions se sont poursuivies, avec l’arrivée de jésuites puis de capucins. C’est en 1624 qu’est écrit le premier catéchisme en langue kikongo pour diffuser le christianisme à travers le royaume Kongo, rappelle un article de l’Institut français des relations internationales (IFRI) rédigé par Laurent Larcher, journaliste à La Croix. Après une période de transition, l’activité missionnaire reprend au XIXe siècle avec l’arrivée de Français.

Lorsque la région passe dans les mains du roi des Belges Léopold II, en 1885, le pape Léon XIII confie le soin à l’Église belge d’évangéliser le territoire. Pères blancs, franciscains, trappistes ou encore missionnaires du Sacré Cœur « se partagent l’intérieur des terres, ouvrent des missions, des dispensaires des écoles, construisent des églises, bâtissent des paroisses, établissent des diocèses », rapporte la note de l’IFRI, qui souligne que la participation de ces religieux à la lutte contre l’esclavage leur donne un certain crédit auprès des populations.

Début XXe, quand le domaine de Léopold II devient le Congo belge, l’Église participe, aux côtés de l’administration coloniale, à fixer les identités communautaires du Congo. « Au début du Congo belge, la majorité des Occidentaux sont des missionnaires catholiques belges : la plupart d’entre eux sont également des fonctionnaires coloniaux », abonde une étude d’octobre 2022 sur l’Église catholique en RDC rédigée par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC).

« Ils ont eu un impact spectaculaire sur les sociétés locales, participant à l’essentialisation des identités par le catalogage des communautés ethniques et la traduction de la Bible dans les langues locales », précise encore l’étude qui reprend une citation révélatrice du premier cardinal congolais, Joseph-Albert Malula (1917-1989) : « Pour notre peuple, l’Église était l’État et l’État était l’Église. »

40% des établissements de santé du pays

« C’est à cette période que se tisse ce réseau extraordinaire d’infrastructures sanitaires et éducatives », commente un diplomate, qui estime que l’Église joue encore de nos jours un rôle que l’État n’est pas en mesure de jouer.

Ces infrastructures sont présentes sur tout le territoire. Le GEC souligne que l’Église est l’un des plus grands propriétaires fonciers de RDC et estime qu’elle gère environ 30% des écoles publiques et 40% des établissements de santé du pays. Selon les chiffres du Saint-Siège, l’Église catholique dispose en RDC de 18.671 écoles et enseigne à plus de 7,5 millions d’étudiants. Elle compte aussi 2.819 centres caritatifs et sociaux.

L’Église est le premier partenaire de l’État dans le domaine de l’éducation et de la santé, palliant l’absence de services publics.

« L’Église est le premier partenaire de l’État dans le domaine de l’éducation et de la santé, palliant l’absence de services publics grâce à son réseau dense d’hôpitaux, de centres sociaux et d’écoles de tous niveaux », assure ainsi le Saint-Siège qui relève qu’une grande partie de la classe dirigeante du pays a été formée dans des écoles catholiques. « L’Église forme les élites mais est aussi présente jusque dans les petits villages », souligne un jésuite du pays, qui considère lui aussi que lorsque « l’État n’est pas là, l’Église supplée ».

À l’est du pays, dans les régions ravagées depuis des années par les guerres intestines entre groupes armés, l’Église est une des institutions en première ligne pour venir en aide aux populations. Lors du voyage du pape François à Kinshasa, des victimes des violences lui seront présentées.

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Des personnes déplacées par la guerre fuient vers la ville de Goma, dans l’est de la République du Congo, le 15 novembre 2022.

« Notre diocèse emmène une dizaine d’enfants dont les parents ont été égorgés devant eux. C’est un petit échantillon des 800 écoliers orphelins que le diocèse, avec des organisations caritatives, soutient », nous confie par exemple Mgr Melchisédech Sikuli, évêque du diocèse de Butembo-Beni, dans le Nord-Kivu.

L’après-Mobutu

Le poids de l’Église catholique dans le pays s’exprime aussi politiquement, et ce depuis près de 70 ans. Dans les années 1950, des catholiques, dont le futur cardinal Malula, ont ainsi contribué à structurer le mouvement d’indépendance du Congo qui aura finalement lieu en 1960. Mais la situation bascule rapidement. Avec la montée en puissance de Mobutu, arrivé en 1965 suite à un coup d’Etat, l’Église devient une force d’opposition.

Dans les années 1970, le dictateur lance une politique de « zaïrisation » de la société pour en expurger le passé colonial. Il interdit d’attribuer des prénoms chrétiens aux nouveaux-nés ou bien supprime l’enseignement religieux dans les écoles. L’Église, à travers la figure de Malula, dénonce vigoureusement le régime.

Avec l’échec rapide de la politique de Mobutu, les relations s’apaisent. Mais une nouvelle crise survient dans les années 1990. La société congolaise – dans laquelle les mouvements laïcs jouent un rôle important – a soif de démocratisation et l’Église va de nouveau tenter de porter ce désir.

La puissante figure de Mgr Monsengwo

C’est un évêque, Mgr Laurent Monsengwo Pasinya, qui finit par prendre la tête de la Conférence nationale démocratique (CNS). En février 1992, alors que Mobutu vient de suspendre cette structure, une manifestation de fidèles – non soutenue par la hiérarchie catholique – tourne au drame. « La marche de l’espoir » est réprimée dans le sang. Devant le tollé, Mobutu recule et accepte de relancer la CNS.

Le même schéma semble se reproduire à partir de 2015. Après 15 années de pouvoir de Kabila, l’Église se mobilise de nouveau pour organiser la transition démocratique. « Comme à la fin du mobutisme, l’Église est vite passée du rôle de médiateur à celui de critique actif du régime, voire d’opposant selon les kabilistes », note Laurent Larcher, en référence aux partisans de Joseph Kabila, arrivé au pouvoir en 2001.

La puissante conférence des évêques de RDC, la CENCO, s’investit pleinement dans la bataille et obtient le 31 décembre 2016, jour de la saint Sylvestre, la signature d’un accord prévoyant des élections à la fin 2017.

Mais le pouvoir ne respecte pas ses engagements et bien vite la CENCO dénonce la prise en otage de millions de citoyens. « Il est temps que les médiocres dégagent et que règnent la paix et la justice en RDC », tance le cardinal Monsengwo dans un contexte de vives tensions. Finalement, les manifestants obtiennent gain de cause et les élections ont lieu en décembre 2018.

De l’autorité mais pas de pouvoir ?

L’Église déploie alors 40.000 observateurs pour contrôler le bon déroulement du vote. Mais à l’issue du scrutin, l’institution ne reconnaît pas l’élection de Félix Tshisekedi au poste de président, assurant que le véritable vainqueur est Martin Fayulu. L’archevêque de Kinshasa, le futur cardinal Ambongo, condamne un « déni de vérité » et considère que Kabila a désigné Félix Tshisekedi comme son successeur.

Pour éviter la paralysie et voyant les grandes puissances occidentales reconnaître Tshisekedi, les évêques de RDC finissent par accepter l’arrivée du nouveau président.

Ce nouvel échec de l’Église catholique à assurer une transition démocratique réussie fait dire à certains spécialistes que l’Église en RDC a certes de l’autorité mais pas de pouvoir. Or, devant la situation dramatique dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui, certains pourraient reprocher à l’Église son incapacité à faire bouger efficacement les lignes.

« L’Afrique est un continent où l’Église catholique doit faire la démonstration de sa détermination et de son efficacité à défendre la justice sociale et la bonne gouvernance, à l’heure où les nouveaux mouvements issus de la jeunesse pensent qu’elle a échoué en ce domaine : quand ils ne la jugent pas trop timorée », avertit Laurent Larcher dans sa note.

Le spécialiste rappelle qu’il existe en RDC une intense « compétition religieuse » où l’Église catholique « est sérieusement concurrencée par les Églises évangéliques et pentecôtistes ». De cela, le Vatican, qui a appuyé les nombreuses initiatives des évêques pour la transition démocratique, en a conscience.

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