Ce sont souvent de généreux donateurs qui ont permis à nombre d’églises en France d’être décorées d’œuvres d’art aussi nombreuses que variées. Au milieu du XIXe siècle, la vieille église de Decazeville, construite au Xe siècle, donnait des signes de faiblesse et risquait l’effondrement. Il a été décidé de la reconstruire. Un industriel local lance alors l’édification d’un nouveau sanctuaire. Quelques années plus tard, son fils décide de faire don d’un chemin de croix à l’église toute neuve. Gustave Moreau accepte de le réaliser… à condition de rester anonyme.
Pourquoi une telle modestie ? Nous ne disposons pas vraiment d’éléments pour expliquer cette exigence de l’artiste. Mais il est certain que, contacté pour peindre le chemin de croix, Gustave Moreau a accepté à la condition expresse que son œuvre reste anonyme. Était-ce parce que le genre était déconsidéré dans les milieux artistiques, parce que trop cultuel ? Ou parce qu’il préférait les sujets offrant plus de latitudes à l’imagination de l’artiste ?
Unique chemin de croix rattaché au mouvement symboliste
La paternité de l’œuvre est révélée peu de temps après la mort du peintre en 1898. Mais son chemin de croix tombe dans l’oubli. Comme il n’est pas signé, on en oublie même l’auteur. Il faudra attendre les années 1960 pour qu’il soit de nouveau attribué à Gustave Moreau et rapidement classé monument historique.
Contemplez le chemin de Croix de Gustave Moreau de Decazeville
Mais alors en quoi ce chemin de croix est-il exceptionnel ? Gustave Moreau est considéré comme un peintre symboliste. Ses tableaux sont souvent marqués par une attirance pour le rêve, difficilement compréhensibles pour le commun des mortels, voire marqués par un certain ésotérisme. Ses œuvres les plus connues sont conservées dans les musées plutôt que dans les églises. Alors, montrer la passion du Christ, voilà qui est inattendu chez lui. Ce chemin de croix est d’ailleurs considéré comme le seul que l’on puisse rattacher au mouvement symboliste.
Et que nous montre Gustave Moreau dans son chemin de croix ? Il comporte quatorze stations, ce nombre ayant été fixé au XVIIIe siècle. Chacune des toiles a été réalisée en trois ou quatre jours, l’artiste limitant les détails et le nombre de personnages pour ne montrer que l’essentiel. Contrairement à nombre de chemins de croix de son époque, la douleur de Jésus n’est pas toujours apparente, c’est progressivement qu’il apparaît souffrant. Le peintre réalise ici une œuvre originale, tout en restant dans les contraintes du genre.