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Apprendre à maîtriser ses plaintes

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ARTOKOLORO / QUINT LOX / ARTOKOLORO QUINT LOX / AURIMAGES VIA AFP

Rembrandt, Jérémie pleurant la destruction de Jérusalem, Amsterdam, Rijksmuseum.

Jean-François Thomas, sj - publié le 19/02/23

S’il existe de vrais motifs pour se plaindre, il en existe beaucoup qui procèdent d’une manière de profiter de la faiblesse d’autrui. Étrangement, ce sont souvent les plus pauvres qui se lamentent le moins et qui gardent leur énergie pour goûter les joies les plus simples.

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Il fait partie de la nature humaine pécheresse de se complaire dans la plainte, cette dernière souvent justifiée d’ailleurs par l’état lamentable de notre humanité depuis la faute et ses dramatiques conséquences. Toute l’Histoire sainte est pleine de ces cris car l’homme, même élu et soutenu par Dieu, n’est jamais content de son sort. Souvenons-nous des récriminations des Hébreux délivrés d’Égypte et déjà nostalgiques de leur servitude plus confortable que la vie nomade libre de corvées. Les oignons et les concombres de l’esclavage apparurent alors si doux… Il est rapporté que, durant l’Exode, le peuple ne cessa de « murmurer », faute de pain, faute de viande, faute d’eau. À chaque fois, le Très Haut envoya ses grâces et ses dons : la manne, les cailles, l’eau du rocher. 

La juste plainte

Les lamentations, avec ou sans cause, sont vraiment héréditaires et affectent tous les êtres humains à travers les âges. Certaines sont très légitimes, comme celles de Jérémie pleurant sur la perte de Jérusalem et sa destruction, ceci malgré tant d’avertissements. L’Église les chante durant la Semaine sainte, d’Aleph à Thau, en des accents à nul autre pareils, transmettant de génération en génération ces plaintes adressées vers le ciel par l’âme souffrante, celle du juste iniquement persécuté : « Voyez, Seigneur, que je suis dans la tribulation ; mes entrailles sont émues ; mon cœur est bouleversé au-dedans de moi, parce que je suis rempli d’amertume ; au dehors le glaive tue ; au-dedans, c’est de même la mort »(Lamentations de Jérémie, 1, 20, Resh). 

La question douloureuse adressée à Dieu est le « comment » : comment est-il possible qu’un tel cataclysme écrasât la ville sainte ? Le titre hébraïque des Lamentations est ‘êkâh, c’est-à-dire « comment », reprenant le premier mot jaillissant de la bouche du prophète accablé. Une telle plainte est donc compréhensible et n’a rien de peccamineux. Elle est rejointe, d’âge en âge, par toutes celles des victimes, des innocents, des souffrants, ce que Charles Baudelaire sut si justement exprimer en décrivant la geste de quelques peintres fameux : 

« Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;

C’est pour les cœurs mortels un divin opium !
C’est un cri répété par mille sentinelles,

Un ordre renvoyé par mille porte-voix ; 
C’est un phare allumé sur mille citadelles,

Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !
Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage

Que nous puissions donner de notre dignité 
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité ! »

(Les Fleurs du mal, Les Phares.)

Une manière de profiter de la faiblesse d’autrui

Point donc de gémissements capricieux, tels que ceux que nous poussons trop souvent, nous regardant comme les plus malheureux des hommes dans un monde qui, hélas, n’en manque pas. Il faut bien reconnaître que nos plaintes ne jaillissent pas toujours d’un esprit à la torture, d’un corps écartelé, d’une âme écrasée, mais qu’elles sont plutôt le produit de notre imagination débridée, de nos émotions et de nos passions au galop ; fruits aussi de notre ressentiment, de notre jalousie, de notre mécontentement perpétuel. Réservons nos lamentations, de façon sainte, aux réelles épreuves de notre existence. Les réputations et les jugements universels sont souvent arbitraires et caricaturaux, mais ils soulignent parfois des traits de caractère réels. 

Il est dans le caractère français d’exagérer, de se plaindre et de tout défigurer dès qu’on est mécontent. »

Dans le monde entier, le Français est regardé comme celui qui « râle », qui n’est jamais content de rien, y compris celui qui naît avec une petite cuillère en argent sous la langue. Vivre en France, surtout dans les grandes villes, et encore plus dans la capitale, peut devenir épuisant lorsque toute une mentalité, toutes les habitudes, conduisent sans cesse à des revendications agressives, des frustrations et des violences.

Tel est l’héritage révolutionnaire qui a tant abîmé l’esprit français si vanté dans toute l’Europe du XVIIIesiècle. Ce dernier fut fameux, et envié, car il était justement composé d’un savoir-vivre permettant d’affronter les inévitables contrariétés et tristesses de la vie avec un certain recul, un certain détachement permettant la patience et la remise à leur juste place des maux grands et petits. Napoléon avait raison de dire : « Il est dans le caractère français d’exagérer, de se plaindre et de tout défigurer dès qu’on est mécontent. »

En fait, comme les Hébreux du désert, nous sommes très manipulateurs car nous avons compris que se plaindre est une manière de profiter de la faiblesse d’autrui, d’appeler sur nous sa pitié.

Cette tendance constante affaiblit non seulement les personnalités, mais aussi le pays tout entier. Il est par ailleurs tout à fait indécent de se plaindre ainsi, sans raison valable, tandis que le plus grand nombre de nations survivent dans des conditions effrayantes. L’excellent et piquant Antoine de Rivarol épinglait : « L’homme passe sa vie à raisonner sur le passé, à se plaindre du présent, à trembler pour l’avenir. » En fait, comme les Hébreux du désert, nous sommes très manipulateurs car nous avons compris que se plaindre est une manière de profiter de la faiblesse d’autrui, d’appeler sur nous sa pitié. Voilà pourquoi nous sommes des champions en ce domaine, assurés d’obtenir au moins quelques miettes et de devenir, pour un temps très court, le centre de l’attention : l’enfant pleure et se roule par terre, tandis que l’adulte, lui, transforme ses caprices en plaintes.

Apprendre à goûter les simples joies

Toute éducation parentale devrait se soucier d’apprendre à l’enfant à maîtriser ses frustrations, à affronter les désagréments et les douleurs qui, nécessairement, jalonneront le parcours de l’existence. La tendance actuelle est plutôt à l’opposé, ceci de façon très dommageable. Il suffit de regarder et d’écouter les parents et leurs enfants dans l’espace public. La démission des premiers est souvent la réponse aux complaintes des seconds. L’habitude prise d’obtenir ce que le désir du moment convoite ne peut que conduire à des catastrophes.

Étrangement, les plus pauvres parmi les pauvres de bien des régions du monde ne se lamentent pas constamment, préférant garder leur énergie pour saisir et goûter les simples joies. Rien de nouveau sous le soleil. Tout a déjà été décrit en détail dans les Saintes Écritures. Le spécialiste des lamentations justifiées, que fut le Léon Bloy du Désespéré et de La Femme pauvre, notait qu’ »il n’y a que les pauvres qui partagent », donnant ce qu’ils n’ont point ou si peu, ne louchant pas sur les biens et sur les bonheurs du voisin, ne jalousant pas celui qui, par une protection mystérieuse, semble passer, au moins pour un temps, à travers les gouttes de la souffrance.

Voilà une grâce à demander, sans tarder et sans relâche, au seuil du carême et au cœur de la Septuagésime. Perdre du temps à grogner, à râler est autant qui s’envole et qui pourrait être autrement bien employé à se réjouir, à goûter, à contempler. Il est trop bête de passer à côté de tout ce qui est beau, bon et vrai, sous prétexte que tout n’est pas selon notre attente, notre goût, notre voracité. Refuser, en geignant, les misères de la vie n’aide certainement pas à les détruire ou à les diminuer. Accepter n’est pas fatalité mais sagesse millénaire. Ne soyons pas des sans-culottes spirituels.

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