La bande dessinée fait polémique. Après Bastien Vivès, Riad Sattouf. Le 6 janvier, le parquet de Nanterre a ouvert une enquête visant le premier, pour diffusion d’images pédopornographiques. Sont en cause plusieurs ouvrages mettant en scène des enfants en situations sexuellement explicites, ouvrages destinés à un public adulte. Quant à Riad Sattouf, lauréat du dernier Grand Prix du Festival d’Angoulême, son public l’accuse désormais de pédopornographie : en cause, les images d’une bande dessinée de 2015 illustrant des fantasmes sexuels d’adolescent.
On sait bien que la bande dessinée adulte est un art qui a souvent été transgressif, et les accusateurs d’aujourd’hui donnent l’air de croire que Fluide glacial,l’Écho des savanes, ou les ultimes Rubriques à Brac n’ont jamais existé. On sait bien aussi que la création artistique est un monde à part : les œuvres d’art sont de libres fictions qui s’autorisent à prendre le large par rapport à la réalité, aux normes morales, aux opinions communes. On sait enfin que “c’est avec les beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature”, comme l’écrivait André Gide à François Mauriac, pour établir le fait qu’il n’existe pas d’œuvre d’art digne de ce nom qui ne soit hanté par le démon : il parlait de Dostoïevski. Il suffit pour s’en convaincre de lire les poèmes d’un Verlaine après qu’il a été frappé par la grâce de sa conversion : ce ne sont pas de ceux qui auront marqué l’histoire de la littérature. On sait enfin que fiction ne vaut pas incitation : à ce titre il faudrait interdire tous les Camilla Lakberg ou Harlan Coben de la terre pour incitation au meurtre !
Quelqu’un pourra-t-il leur dire qu’être aux prises d’un démon intérieur ne fait pas de vous un Dostoïevski ?
Mais tout de même… Quelqu’un pourra-t-il faire comprendre à ces auteurs que les temps ont changé ? Que la bande dessinée a conquis de nouveaux territoires, celle d’un public plus large, post-soixante-huitard, et que les délires sexuels recuits de cette génération dépassée, notamment ceux qui impliquent des enfants ont cessé depuis longtemps d’amuser la galerie ? Quelqu’un pourra-t-il leur dire qu’être aux prises d’un démon intérieur ne fait pas de vous un Dostoïevski ? Que pour mettre en image l’équation sexe-adolescence-humour, tout le monde n’a pas le talent et la finesse d’une Claire Brétecher dans les Aggrippine (Dargaud) ? On ne veut pas de bandes dessinées moralisatrices, on veut de bonnes bandes dessinées, c’est tout. Mais pour certains, c’est trop : alors la provocation et les fantasmes sexuels tiennent lieu d’inspiration… et tant qu’il y aura des lecteurs pour rejoindre cette fascination immature pour la sexualité, et il y en aura toujours, auteurs et éditeurs se draperont dans la liberté d’expression, l’alibi qui fait vendre.
La cour des grands
On veut de la bande dessinée qui émeuve, qui surprenne, qui raconte, qui fasse rire ou pleurer, qui donne à penser, qui rassasie l’œil, bref qui nous embarque. On ne veut pas du convenable, on veut du puissant, voilà la seule porte qui fait entrer un auteur dans la cour des grands. C’est ce que Riad Sattouf a su faire avec l’Arabe du Futur (Allary Éditions). C’est ce que les Cosey, les Hugo Pratt, les Tardi, les Watterson ont su faire : nous décoiffer, pas nous salir pour rien. On ne veut pas de chasse aux sorcières, on veut au contraire continuer à aimer la BD. Souvenez-vous qu’on a remisé aux oubliettes les torrents pornographiques d’Apollinaire car l’Histoire les a jugés pour ce qu’ils étaient : bêtement pornographiques et mauvais. L’histoire se répète ? Alors répétons-nous également : on veut de bonnes œuvres, de la belle bande-dessinée, on sait que faire bien et faire du bien est plus difficile que l’inverse, mais par amour de la bande-dessinée, on continue d’y croire. Alors, auteurs, à vos crayons !