Ses reflets verdoyants ou mordorés en fonction de la gamme choisie laissent difficilement indifférents les amateurs et les curieux des bonnes choses. La chartreuse, inventée au XVIIIe siècle par les moines chartreux et initialement dédiée à des fins médicinales, s’est imposée mondialement chez les particuliers, les bars et les restaurants du monde entier. Composée de 130 plantes, la recette n’a pas changé (ou à la marge) et garde tout son mystère : seule une poignée de moines connaît la composition de la Chartreuse. Mais ce qui s’apprête à changer, c’est la stratégie de Chartreuse diffusion, l’entreprise qui commercialise la chartreuse et dont les moines sont actionnaires majoritaires.
74e successeur de saint Bruno à la tête de l’Ordre des Chartreux, Dom Dysmas, le prieur de la Grande Chartreuse, a récemment déclaré aux administrateurs de Chartreuse diffusion : “La croissance infinie n’est plus possible.” Des propos dans l’air du temps, diraient certains. Mais qui dans le cas des chartreux, promettent de s’incarner très concrètement. Les chartreux ont décidé, alors même que l’entreprise se porte extrêmement bien, de limiter la production.
Une mise en cohérence
Dans un entretien accordé au Dauphiné Libéré Emmanuel Delafon, le PDG de l’entreprise, détaille ainsi cette volonté de cohérence des chartreux. Tandis que “la liqueur a tout écrasé entre 1840 et 1900 et depuis 20 ans” et a pris “une place dévorante”, l’entreprise veut revenir à ses fondements, car “c’est profondément juste”, explique au journal le patron. “C’est un retour vers le futur. Ou une bascule vers le passé, comme vous préférez.”. Par exemple, à l’export, qui représente 50% du chiffre d’affaires de Chartreuse diffusion, l’objectif est d’ « acheminer d’ici 2024-2025 l’ensemble de nos bouteilles à destination du marché new-yorkais par bateau à voile. On arrête le système carbone”. Et le PDG de reprendre : “Oui, il y a des solutions qui existent, oui elles coûtent plus cher, mais oui il faut payer ce prix-là demain.”
Une autre raison avancée est d’ordre environnementale. Trouver les 130 plantes nécessaires à la recette devient “compliqué” en raison du climat, des canicules et des sécheresses qui se multiplient, explique encore Emmanuel Delafon. “Produire deux fois plus de plantes, ça ne passerait simplement pas.” Les moines de la Grande Chartreuse compte également développer de nouveaux projets tournés vers l’herboristerie, la phytothérapie afin d’employer ces plantes pour le soin et la santé. “Il y a une vraie attente autour d’une utilisation différente du végétal”, résume Emmanuel Delafon. Écologie, préservation des ressources, la nécessité de davantage de lien social… Et si les monastères avaient mille ans d’avance ?