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La bonne odeur des brebis perdues

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Shutterstock I a katz

Prêtre célébrant une messe en extérieur à New York.

Benoist de Sinety - publié le 16/04/23

Beaucoup de chrétiens ne comprennent pas que des prélats en fassent "trop" dans la rencontre des brebis perdues. Le curé de la paroisse Saint-Eubert de Lille s’en inquiète. Il rappelle que "l’Église n’a pas pour vocation à nous permettre de prendre soin de nous en nous mettant à part".

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Un Pape qui parle à bâtons rompus avec des jeunes dans un loft de la banlieue romaine. Un vieux monsieur qui regarde avec une tendresse dans laquelle on perçoit parfois un soupçon d’incrédulité des jeunes qui pour la plupart ne vont pas, ou plus, à la messe. Avec, dans les yeux, parfois, ce sentiment d’étrangeté lorsqu’on ne comprend plus ce que disent les plus jeunes, surtout lorsqu’ils parlent de sexe et de numérique. La rencontre a bien eu lieu entre François et Milagros, Victor, Juan, Maria, Lucia, Khadim et les autres. Ils ont posé toutes les questions, sans tabou ni censure. Du jeune homme violé dans un internat de l’Opus Dei et qui se plaint du silence de l’Église à l’actrice porno qui pose la question du genre, chacun prend la parole et s’exprime librement. Et l’homme en blanc répond. Même s’il ne comprend pas ce que sont les applications de rencontre et si son vocabulaire trahit bien sa génération, il converse avec bonté et attention. 

La bonne odeur des brebis

Ceux qui chercheront le scandale en seront pour leurs frais. Même les voyeurs seront déçus. Car il n’y a là rien d’extraordinaire. Ou plutôt il ne devrait rien y avoir d’extraordinaire : que le Serviteur des serviteurs de Dieu discute avec des représentants d’une humanité qui s’est détachée de toute pratique religieuse ou qui s’en sent exclue, devrait être un exercice naturel. Sentir la bonne odeur des brebis : François l’a proclamé dès le début de son pontificat, voilà l’objectif. Que la mise en scène puisse gêner, peut-être. Mais quand bien même, le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

Comment ne pas avoir en tête l’étonnement et la stupeur des apôtres retrouvant leur maître assis au bord d’un puit avec une femme de petite vertu ? Ou celle des vieux bonzes du Temple se remettant difficilement de le voir relever une femme qu’il aurait été préférable de lapider ? Je repensais à ces images en apprenant le décès de Mgr Jacques Gaillot, et, du même coup, à la première rencontre que j’eus avec l’ancien évêque de Parténia.

« Être trop »

C’était au lendemain du sinistre 13 novembre 2015. Dans le cortège des victimes de la folie terroriste, deux femmes et un homme allaient être enterrés à Saint-Germain-des-Prés dont j’étais alors le curé. L’une des familles, amie de Jacques Gaillot, avait demandé qu’il puisse présider la célébration. Je ne connaissais jusque-là de l’homme que ce qu’une forme de bien-pensance nous avait enseigné : il était allé trop loin, avait pris trop de risque, et ce qui devait arriver lui était arrivé… Il m’appela pour prendre rendez-vous : « Monsieur le curé, je serais heureux de faire votre connaissance si vous m’autorisez à officier avec vous dans votre église… » La voix est douce et presque timide…

Si le Christ nous rassemble c’est pour nous envoyer, s’il nous enseigne c’est pour que nous annoncions […] s’il s’offre c’est pour que nous nous donnions.

Lorsque je l’accueille au presbytère pour préparer les obsèques, de son sourire d’enfant et d’une voix toujours aussi douce il commença par dire : « Vous savez, je ne suis pas le diable. » D’un coup, je me retrouvais misérable dans mes préjugés et dans mes préventions. En le voyant agir au milieu de la foule anéantie, devant les trois cercueils. En l’écoutant là, comme lors de nos rencontres par la suite, je compris assez vite que l’invraisemblable de ce que l’opinion convenue lui reprochait avec tant de dureté : c’était d’être « trop ». Oui, il avait pris trop de risques en parlant aux homosexuels comme on parle à des frères. Oui il avait été trop loin en acceptant de dialoguer avec des personnes dont on doit se méfier. Oui il était trop téméraire en partageant le sort de migrants, mal logés et autres parasites en faisant primer la charité sur une fausse prudence. On ne saura jamais la vague de violence inouïe qu’il eut à endurer de la part de nombre de baptisés qui, souvent, anonymement le traitèrent avec mépris, et même haine. 

Nul ne peut se prétendre irréprochable

Ni le Saint Père, ni Jacques Gaillot, ni quiconque d’ailleurs ne peut se prétendre irréprochable. Chacun est un homme normalement pécheur et faible. On dit le Pape parfois cassant et déroutant pour ses collaborateurs. Mgr Gaillot fut souvent critiqué pour la manière de gérer ses troupes à Évreux et pour son goût immodéré pour la communication. On lui reproche aussi, avec raison, la navrante manière d’avoir gardé sous silence le passé pédophile d’un prêtre étranger accueilli dans son diocèse. Il s’en expliqua d’ailleurs quelques années plus tard, reconnaissant ses fautes et expliquant qu’il avait agi par un souci très mal ordonné de charité fraternelle envers ce prêtre. Au moins la cause n’en était pas le souci de protéger l’institution. Ce n’est pas moins grave mais c’est sans doute moins pitoyable.

Ce qui inquiète devant ces deux exemples, c’est l’exaspération qu’ils suscitent immédiatement chez nombre de baptisés qui estiment qu’un prélat n’a pas à se compromettre ainsi, que là n’est pas sa place. Mais où pourrait-elle être alors ? D’une manière qui peut être pour certains un peu dérangeante, il s’agit de nous rappeler que nous ne sommes pas là pour nous-mêmes mais pour notre prochain. Que l’Église n’a pas pour vocation à nous permettre de prendre soin de nous en nous mettant à part. Mais que si le Christ nous rassemble c’est pour nous envoyer, s’il nous enseigne c’est pour que nous annoncions, s’il nous nourrit c’est pour que nous distribuions généreusement cette manne divine, s’il s’offre c’est pour que nous nous donnions. Et rencontrer autrui, c’est aussi tout cela.

On prête au pape Pie XI la conclusion suivante : le jeune évêque de Lille Achille Liénart était dénoncé à Rome comme trop proche des milieux ouvriers : certains « bons catholiques » anonymes évoquaient dans des lettres, l’évêque « rouge ». Un jour que son conseil, une nouvelle fois, le mettait en garde contre les risques d’un tel épiscopat, le Pape se serait exclamé : « Ils le trouvent trop rouge ? Moi, pas assez ! J’en fais un cardinal ! » Puisse le Ciel nous préserver du sentiment d’en faire « assez » et susciter dans notre Église une foule nombreuse de gens qui en fassent « trop » !

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CharitéÉvêqueperipheriesVocation
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