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Saint Paul, le vitamineur de la chrétienté

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Daniel Marguerat - publié le 28/06/23

Si l’on veut savoir ce que signifie être chrétien aujourd’hui, c’est Paul qu’il faut lire, et le lire dans le texte, pas à travers le filtre des caricatures qui l’accablent depuis deux mille ans. Telle est la conviction de l’historien et bibliste Daniel Marguerat, qui montre dans son "Paul de Tarse, l’enfant terrible du christianisme" (Seuil), comment est née la pensée fulgurante d’un homme qui lutte et qui aime, qui peine et qui souffre.

Célèbre parmi tous les apôtres, Paul de Tarse est aussi le plus mal connu. On le dit colérique, doctrinaire, antiféministe, hostile au judaïsme. Après le message simple de Jésus, dit-on, Paul serait venu tout compliquer avec une théorie obscure du péché… mais qui a vraiment lu ses lettres ? Qui a deviné l’homme derrière les écrits de Paul de Tarse ? Être original à propos de l’apôtre, aujourd’hui, c’est immerger ses écrits dans sa vie tumultueuse et passionnée. Jusqu’ici, en français, des historiens ont tenté de reconstituer la biographie de l’apôtre. D’un autre côté, des théologiens ont analysé et présenté sa pensée à partir de ses lettres. Pour ma part, je croise les deux approches. Car derrière les écrits de ce grand théologien, il y a un homme qui aime, qui lutte, qui peine et qui souffre. Derrière ses sursauts de tendresse, derrière ses éclats de colère, derrière ses tirades à couper le souffle, qui est l’homme Paul ? Qu’a-t-il vécu, expérimenté, souffert — au point que, de cette vie, a surgi une pensée fulgurante ?

Un théologien en mouvement

Ce qu’on appelle la “théologie de Paul” n’est pas une doctrine intemporelle, qu’on débiterait à coup de formules dans un catéchisme. C’est une pensée qui prend forme progressivement, qui dialogue, qui évolue. Je montre sous quelles impulsions, à la suite de quelles rencontres, sous le coup de quels chocs la pensée de Paul s’est peu à peu construite. On assiste ainsi à la montée en puissance d’une pensée sur l’identité chrétienne, à son évolution, à ses correctifs aussi quand l’apôtre estime avoir exagéré. Bref, c’est une théologie en mouvement qui se déroule sous nos yeux. On apprend comment l’apôtre réconforte les chrétiens de Thessalonique harcelés pour leur foi. Comment il confie aux femmes en Église une place et un rôle qu’elles perdront rapidement ensuite. Comment il milite à Corinthe contre les discriminations. Comment il plaide chez les Gaulois de Galatie en faveur de l’universalité du christianisme. Et comment il fut, tour à tour, adulé, détesté ou oublié.

On considère parfois Paul comme le fondateur du christianisme. C’est faux. L’apôtre des nations se présente toujours comme le serviteur, et il vaudrait mieux traduire “l’esclave”, de Jésus Christ. C’est l’Évangile de Jésus Christ qu’il annonce, qu’il met en avant, et non pas sa propre spiritualité. Il est vrai que Paul est bien l’inventeur de quelque chose : l’universalité du christianisme. Adressant sa mission aux non-juifs, il a dû formuler l’identité chrétienne hors des références de la culture juive. S’il n’est pas le premier à avoir prêché aux non-juifs, il est pionnier dans la formulation d’un message universel. Grâce à lui, le mouvement de Jésus n’est pas resté à l’état de secte juive, mais a pu gagner l’ensemble du monde gréco-romain. Son génie intellectuel a fait de lui l’homme-clef, l’homme providentiel, dans l’essor d’une chrétienté ouverte à toutes les nations.

Une pensée radicale qui dessine l’avenir

Pourquoi parler de “l’enfant terrible du christianisme” ? Il y a derrière ce slogan affectueux deux raisons. La première est que la pensée de Paul est forte, radicale même. Personne n’a pensé aussi fortement que lui la mort de Jésus et ses implications, ni le fait que désormais, Dieu accueille quiconque lui fait confiance sans poser de condition. L’Évangile de Paul, c’est l’annonce du don pur. Ses propos ont de quoi réveiller, interpeller, vitaminer une chrétienté aujourd’hui un peu fade et fatiguée. Si l’on veut savoir ce que signifie être chrétien aujourd’hui, c’est Paul qu’il faut lire. Non pas le Paul filtré par deux mille ans de lecture et accablé de caricatures, mais le Paul de Paul, c’est-à-dire Paul dans le texte. Celui que je me suis employé à exhumer.

Seconde raison : Paul a un projet ambitieux d’Église. Pour lui, tout croyant baptisé — homme ou femme, juif ou non-juif — reçoit de Dieu une égale dignité, une égale valeur, d’égales responsabilités. Dans les communautés qu’il a créées, les femmes exercent des responsabilités qu’on dirait aujourd’hui ministérielles. Car Paul de Tarse n’est nullement l’antiféministe qu’on croit. Cet apôtre n’est pas un conservateur du passé ; sa pensée nous dessine l’avenir. Sa vision d’Église, j’ose le dire, la chrétienté ne l’a pas encore réalisée. Paul, un homme du passé ? Allons donc ! Sa pensée incandescente a toujours de quoi nous enflammer.

Pratique

Paul de Tarse. L’enfant terrible du christianisme, Daniel Marguerat, Seuil, 2023, 550 pages, 25 euros.

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