Après les attentats de Paris en novembre, de nombreux utilisateurs sur Facebook ont recouvert leur photo de profil du drapeau français. J’étais bouleversée pour toutes les victimes, mais je ne l’ai pas fait. Je me suis en effet demandée si j’étais plus, moins ou aussi triste que lors d’autres attaques, et si je ne devrais pas changer ma photo pour rendre hommage aux morts d’autres massacres.
J’ai eu honte d’avoir ce genre de pensées et j’ai préféré ne rien faire.
Cependant, je n’ai pas insulté ceux qui arboraient des drapeaux français.
Parmi mes amis qui avaient ajouté le drapeau français, certains avaient agi, sans aucun doute, sous la pression sociale : tout le monde le fait, donc moi aussi. D’autres voulaient indéniablement montrer à quel point ils sont de bonnes personnes et dire au monde : “Regardez, je réagis à cette crise de façon politiquement et émotionnellement correcte”. Et d’autres encore se sentaient certainement attristés et en colère et voulaient faire quelque chose, et changer leur photo de profil était ce quelque chose.
On devrait pouvoir montrer son chagrin. Personne n’est obligé de participer, mais considérer que la peine des autres est sincère et s’abstenir de critiquer ceux qui affichent publiquement leur tristesse est une marque d’humanité.
Quand David Bowie est mort, beaucoup d’auteurs (dont moi) ont souhaité s’exprimer.
Une ou deux heures plus tard, certains s’insurgeaient déjà contre l’hypocrisie et le comportement moutonnier des réactions. D’aucuns ont immédiatement ressenti le besoin déclarer au monde entier qu’ils se moquaient éperdument de sa mort.
À quoi servent ces commentaires ? Même si la souffrance affichée par quelqu’un n’est pas sincère, pourquoi s’en offusquer ? Pourquoi faut-il à tout prix afficher son indifférence ?
La question se pose quel que soit le sujet. D’où vient ce besoin de dire : “Tout le monde regarde le foot aujourd’hui, mais moi, je m’en moque”, “Tout le monde veut voir Star Wars, mais pas moi” ?
Une des raisons est due aux réseaux sociaux qui nous permettent de trouver aisément des personnes partageant nos opinions et qui nous poussent constamment à dire que l’on aime quelque chose, à suivre quelqu’un, à devenir membre d’un groupe, à tel point qu’un désaccord constitue désormais un affront.
Une autre explication est liée à notre besoin pernicieux de paraître branché : ce qui est populaire, partagé par un grand nombre de personnes est forcément digne de mépris. Personnellement, avoir un avis similaire à d’autres ne me dérange pas. Ne pas partager l’opinion majoritaire et continuer tranquillement son chemin n’est pas une tare non plus.
Nous en avons également assez qu’on nous dicte ce que nous devons ressentir, qu’on nous force à être ému à propos de tout. Je le conçois tout à fait. Mais n’oublions pas qu’au delà de la stratégie de manipulation des médias, les opinions des gens normaux y sont aussi représentées. En déclarant : “Il est mort ? Rien à cirer !”, peut-être pensons-nous défier les magnats des médias et conserver une certaine indépendance émotionnelle, mais nous nous attaquons aussi aux autres victimes de ces médias.
Se montrer indifférent à un événement qui affecte d’autres personnes est inélégant, mais manifester ostensiblement son indifférence à la mort de quelqu’un va au-delà. Personne n’est contraint d’être triste. Ni même de s’intéresser au sujet. En tant que catholiques, notre seule obligation est de prier pour l’âme du défunt. Mais pas plus.
Si vous n’aviez pas d’estime pour le mort, si vous pensez qu’il ne méritait pas son succès, qu’il est responsable de l’échec professionnel de votre fils, qu’il va finir en enfer, et voulez à tout prix vous exprimer, faites-le, mais plus tard. Pas tant que le corps est encore chaud.