Bas les masques ! L’ancien président de la République dit sans doute ce qu’il a en réalité toujours pensé in petto sur le mariage homosexuel dans son livre-programme La France pour la vie : après avoir écrit qu’il “regrette vivement de ne pas avoir tenu l’engagement de mettre en œuvre l’union civile pour les homosexuels”, il ajoute en effet à propos de la loi Taubira : “À la réflexion, je crains que, compte tenu de l’état de tension et de division de la société française auquel a abouti la méthode de François Hollande, le remède soit pire que le mal. Je ne souhaite donc pas qu’on légifère à nouveau, parce que la priorité doit être de rassembler les Français. C’est un point sur lequel, je l’assume, j’ai évolué”.
Il est cependant permis d’avoir des doutes sur la réalité de cette “évolution”. La formule semble plutôt destinée à faire avaler la (grosse) pilule à ceux qui, chez les opposants au “mariage pour tous”, croyaient (ou feignaient de croire) à la ferme opposition à la loi Taubira du président des Républicains et candidat potentiel à l’Élysée.
“Si ça vous fait plaisir, ça coûte pas très cher”
Chacun garde en mémoire l’épisode du 15 novembre 2014. Ce soir-là, Nicolas Sarkozy est l’invité du meeting de Sens commun, l’association de sympathisants de l’ex UMP au sein de la Manif pour tous. L’ancien chef de l’État, alors candidat à la présidence de l’UMP, plaide pour une “réécriture de fond en comble” de la loi Taubira. Tohu-bohu dans l’assistance : “Abrogation ! Abrogation !”, crie-t-on de la salle. Nicolas Sarkozy dissimule mal son irritation et finit par lâcher : “Si vous préférez qu’on dise qu’on doit abroger la loi Taubira pour en faire une autre… En français, ça veut dire la même chose, ça aboutit au même résultat. Mais enfin, si ça vous fait plaisir, franchement, ça coûte pas très cher”. Deux semaines après cette soirée mémorable, Nicolas Sarkozy était élu à la tête du parti renommé depuis Les Républicains.
Jeu de rôles
On peine à croire qu’une réponse d’une ambigüité si peu masquée qu’elle en paraît cynique, ait pu satisfaire beaucoup d’auditeurs. Aussi les dénonciations enflammées qui stigmatisent aujourd’hui le revirement du candidat officieux à l’élection présidentielle s’apparentent quelque peu à un jeu de rôles : “Nicolas Sarkozy a visiblement congédié ses convictions”, déplore La Manif pour tous tandis que Sens commun juge “déplorable” ce “virage à 180 degrés”. Chez Les Républicains, c’est sans surprise Hervé Mariton qui se montre le plus sévère : “Quand on s’engage à faire quelque chose, il faut le tenir. Comment voulez-vous que les Français aient confiance en les hommes politiques qui disent une chose un jour et le contraire le lendemain ? Le tête à queue de Nicolas Sarkozy, ce parjure, je crois que c’est très mauvais”, a déclaré sur I-Télé le député de la Drôme et candidat à la Primaire du centre et de la droite (Europe 1).
Dans les rangs du gouvernement, c’est de bonne guerre, on savoure la situation. “Je me réjouis” que l’ancien président des Républicains “ait évolué sur le mariage des personnes de même sexe et renonce à vouloir changer la loi et “démarier les mariés””, écrit dans un communiqué Laurence Rossignol, la secrétaire d’État à la Famille. “Cette évolution de société que la gauche a conduite dans un débat souvent tendu et excessif était déjà soutenue par la majorité des Français”, ajoute la secrétaire d’État. “Que des responsables politiques, hier opposés, s’y rallient aujourd’hui, confirme que sur des sujets de société importants, nous pouvons avancer, convaincre et apaiser.”
Le faux argument du “démariage”
Mais l’affaire reste à suivre : la Manif pour tous annonce qu’elle a demandé un rendez-vous à Nicolas Sarkozy “pour comprendre ses motivations, lui rappeler la nécessité de revenir sur la loi Taubira, lui rappeler aussi – ce qu’il fait mine d’ignorer – que l’abrogation ne suppose aucunement de “démarier” et, enfin, lui exposer les solutions juridiques”. (Dans son livre-programme, l’ancien président argue en effet qu’ “il ne saurait être question de démarier les mariés, ce serait injuste, cruel et en outre juridiquement impossible”). Sens commun, qui avait placé une trentaine de ses militants sur les listes LR aux régionales, prévient qu’il ne “soutiendra pas la candidature de ceux qui ne soutiennent pas leurs engagements jusqu’au bout”.
“On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment”, affirmait le cardinal de Retz. Et si le plus simple – et le plus novateur en politique ! – était de refuser d’y entrer ?