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La réponse du « divin marquis » aux pharisiens de notre temps

Le Marquis de Sade

©Wikimedia

Alexandre Meyer - publié le 08/09/16

Voilà donc les horreurs que se permettent tacitement ceux qui se mêlent de punir les crimes des autres !

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Rouler la nuit en plein chassé-croisé estival réserve parfois d’agréables surprises. Pas l’inéluctable embouteillage de Montélimar évidemment, mais la programmation nocturne de France culture. Un véritable bijou radiophonique qui exhume chaque soir des archives de la maison ronde. Captations sonores de pièces de théâtres, entretiens historiques et lectures de romans oubliés. Le timbre caractéristique des comédiens du Français fait son office et les kilomètres s’effacent.

La speakerine de la « radio-diffusion-télévision-française » présente Émilie de Tourville ou la Cruauté fraternelle du marquis de Sade (1740-1814). Une adaptation radiophonique présentée par Gilbert Lely et réalisée par Henri Soubeyran le 7 janvier 1959.

Émilie de Tourville est une des principales nouvelles contenues dans le recueil posthume des Historiettes, contes et fabliaux, rédigé à la Bastille en 1787 et 1788. Émilie de Tourville s’apparente au plus tragique récit des crimes de l’amour paru du vivant de l’auteur et où les notions du bien et du mal sont toujours défendues contradictoirement avec une éloquence égale, par les personnages en présence. Dans cette cruauté fraternelle, on retrouve toutes les ressources d’un art qui place le marquis de Sade au premier rang des conteurs français, quelle vivacité dans le récit, quelle énergie dans le dialogue, comme sa diction est pure au sein des horreurs qu’il nous rapporte, comme sa maîtrise des gradations sait bien déchirer notre cœur.

Peut-être éprouverez-vous une compréhensible répulsion à l’idée de baisser les yeux sur une œuvre du marquis de Sade. Si le propos liminaire de Gilbert Lely ne vous a pas convaincu non plus de vous plonger dans ce petit ouvrage, alors laissez vous bercer quelques instants par le jeu des acteurs, écoutez ceci :


Rien de licencieux, enfin presque

Cette petite œuvre de Sade réserve une étonnante adresse aux tartuffes et aux moralisateurs, d’hier et d’aujourd’hui ! La morale de l’histoire s’avère pour le moins surprenante pour qui connaît l’œuvre sulfureuse du « divin » Marquis :

« Rien n’est sacré dans une famille comme l’honneur de ses membres, mais si ce trésor vient à se ternir, tout précieux qu’il puisse être, ceux qui sont intéressés à le défendre le doivent-ils au prix de se charger eux-mêmes du rôle humiliant de persécuteur des malheureuses créatures qui les offensent ? Quel est enfin le plus coupable aux yeux de la raison, ou d’une fille faible et trompée, ou d’un parent quelconque qui pour s’ériger en vengeur d’une famille, devient le bourreau de cette infortunée ? »

Pas de quoi jeter cette historiette dans « l’Enfer » des bibliothèques, rassurez-vous. Quoique, mais les passages suggestifs sont assez subtilement distillés pour ne pas rougir à leur lecture. La jeune Émilie, sortie du couvent deux ans plus tôt, est en âge de se marier. Notre aventurière, choyée par son père, tombe amoureuse d’un jeune homme d’excellente situation et de belle apparence. Ce dernier, profitant de l’émoi qu’il a su créer dans le cœur de la jeune fille, lui donne rendez-vous chez une marchande de mode de sa connaissance.

Le désir de l’homme fait le malheur d’une femme

Désirant s’épargner de fastidieuses démarches auprès du paternel qui couve la petite et la destine à la plus avantageuse union, pressé d’assouvir de moins nobles désirs, il réussit à la convaincre de trouver un stratagème pour échapper à la vigilance de sa famille. Tout est vite consommé :

« À la sixième fois que je le vis dans cette fatale maison, il prit un tel empire sur moi, il sut me séduire à tel point qu’il abusa de ma faiblesse et que je devins dans ses bras l’idole de sa passion et la victime de la mienne. »

L’idylle dure un an. Mais le vice et l’indignité de la modiste qui abrite les tourtereaux va précipiter notre infortunée dans les tréfonds du déshonneur. Profitant d’un retard du Dom Juan, la maquerelle livre par ruse la malheureuse à la concupiscence d’un autre (crime typiquement sadique). Émilie est prise au piège de cet odieux commerce : révéler ce qui vient de se produire à son amant la condamne à le perdre. Parler à son père lèverait le voile sur son inconduite et éloignerait à tout jamais la perspective d’un mariage. Dénoncer l’entremetteuse jetterait sur elle-même l’opprobre publique.

Ses deux frères qui la jalousent depuis toujours, ont eu vent de l’affaire et la confondent. Leur vengeance est sans pitié : Émilie est enfermée et soumise à la torture. Un billet de son amant a entraîné sa perte :

« J’ai fait la folie d’aimer votre sœur, monsieur, et l’imprudence de la déshonorer ; j’allais réparer tout ; dévoré par mes remords, j’allais tomber aux pieds de votre père, m’avouer coupable et lui demander sa fille… Au moment où se formaient ces résolutions… mes yeux, mes propres yeux me convainquent que je n’ai affaire qu’à une catin qui sous l’ombre des rendez-vous que dirigeait un sentiment honnête et pur, osait aller assouvir les infâmes désirs du plus crapuleux des hommes. N’attendez donc plus aucune réparation de moi, monsieur, je ne vous en dois plus… »

La justice triomphe

La probité, la noblesse de cœur d’un homme va donner un tour plus heureux à toute cette histoire. Le comte de Luxeuil s’est porté au secours d’Émilie qui a réussi à se soustraire à ses gardiens. Au récit de toute l’aventure, il s’emporte :

« La conduite de votre amant est affreuse, non seulement elle est injuste, mais elle est même cruelle ; si l’on est prévenu au point de n’en vouloir point revenir, on abandonne une femme dans ce cas-là, mais on ne la dénonce pas à sa famille, on ne la déshonore pas, on ne la livre pas indignement à ceux qui doivent la perdre, on ne les excite pas à se venger… »

Le plaidoyer en faveur des femmes, objet malheureux de la convoitise des hommes, victimes des tourments où les désordres de la passion les jette, est remarquable chez Sade qui ne les épargne guère dans le reste de ses écrits.

« Je blâme donc infiniment la conduite de celui que vous chérissiez… mais celle de vos frères est bien plus indigne encore, celle-là est atroce à tous égards, il n’y a que des bourreaux qui puissent se conduire ainsi. »

Mis à l’index, anathème, athée et anticlérical, le marquis plagie l’évangéliste ! « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre » (Jean 8, 7). Ou encore « Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ;de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera » (Matthieu 7, 1).

« Jamais les chaînes n’ont servi à rien ; on se tait dans de tels cas, mais on ne ravit ni le sang ni la liberté des coupables ; ces moyens odieux déshonorent bien plus ceux qui les emploient que ceux qui en sont les victimes, on a mérité leur haine, on a bien fait du bruit et on n’a rien réparé. »

Sade, qui passa vingt-sept ans en prison ou en asile de fous sur les soixante-quatorze années que dura sa vie, glisse ici un bref réquisitoire contre l’archaïsme de l’enfermement. Une opposition prémonitoire au « tout-carcéral » qui alimente aujourd’hui encore le débat intellectuel sur le sens de la sanction pénale…

Et la morale est sauve

Le comte de Luxeuil poursuit :

« Quelque chère que nous soit la vertu d’une sœur, sa vie doit être d’un bien autre prix à nos yeux, l’honneur peut se rendre, et non pas le sang qu’on a versé… »

Il sont nombreux les petits caïds comme les bons chrétiens qui toisent les jeunes filles, les jugent et les rabaissent parce qu’elles ont eu la faiblesse de succomber à leurs avances scélérates. Combien de crimes se commettent encore tous les jours au nom de cet « honneur » ? Honneur travesti, dénaturé, défiguré. Les femmes n’occupent pas une place enviable dans l’œuvre de Sade où leur vertu est plus souvent livrée à la bestialité des hommes qu’à leur zèle chevaleresque. Dès lors, Émilie de Tourville apparaît comme une figure singulière et ambivalente.

Toute empressée qu’elle est à céder à la tentation que sa nature frivole encourage, Émilie fait montre d’un grand courage et pardonne à tous. Elle ne cesse pas d’aimer celui qui est la cause de tous ses malheurs. Elle n’en veut pas à ses frères qui la martyrisent. Elle aime profondément son père et se morfond de lui causer quelque peine. N’est-elle pas cette « femme de la ville », cette « pécheresse » qui, tout en pleurs, se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus ? « Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux le parfum. Ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour » (Luc 7, 37).

Sade contre les nouveaux inquisiteurs

L’ultime partie du récit a ceci d’incroyablement moderne qu’elle dénonce autant la raideur des deux frères d’Émilie, que la tartufferie des dévots qui entendent imposer partout le puritanisme et l’intolérance :

Ô juste ciel, voilà donc les horreurs que se permettent tacitement ceux qui se mêlent de punir les crimes des autres ! On a bien raison de dire que de telles infamies sont réservées à ces frénétiques et ineptes suppôts de l’aveugle Thémis (déesse grecque de la justice, personnification de la Loi Divine qui régit le comportement des hommes, Ndlr), qui nourris dans un rigorisme imbécile, endurcis dès l’enfance aux cris de l’infortune, souillés de sang dès le berceau, blâmant tout et se livrant à tout, s’imaginent que la seule façon de couvrir leurs turpitudes secrètes et leurs prévarications publiques est d’afficher une raideur de rigidité qui, les assimilant pour l’extérieur à des oies, à des tigres pour l’intérieur, n’a pourtant pour objet en les souillant de crimes, que d’en imposer aux sots et de faire détester à l’homme sage et leurs odieux principes et leurs lois sanguinaires et leurs méprisables individus.

À la lecture de la morale de l’histoire, comment ne pas penser aux agents de la terreur qui, sous l’étendard idéologique d’une religion dévoyée, sèment la mort et réduisent en esclavage les infidèles. « Ineptes suppôts de l’aveugle Thémis », débauchés, impurs et vénaux. « Souillés de sang. » La corruption de ces ayatollahs est tellement manifeste, leur immoralité tellement évidente qu’ils se cachent derrière les préceptes commodes de la « Loi Divine ». Hypocrites ! Oui marquis, vous avez raison, l’homme sage n’a pas fini de les combattre.

Retrouvez le texte intégrale d’Émilie de Tourville, ou la cruauté fraternelle ici.

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