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Vrais témoins et faux martyrs

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© Fr Lawrence Lew CC

Vincent Aucante - publié le 16/10/16

Analyse de la notion de martyre dans le christianisme et l'islam, entre interprétation fidèle et dévoiement.

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Toutes les religions monothéistes se reconnaissent des martyrs. Dans le judaïsme, la vie qui est don de l’Éternel garde de ce fait un caractère sacré. Son sacrifice n’est autorisé que dans des cas extrêmes, comme l’abjuration de l’élection d’Israël. Par exemple le sacrifice d’Isaac (Genèse 22) peut être compris comme l’archétype du martyr juif, entendu comme sacrifice personnel à Dieu. On en trouve un autre modèle dans le deuxième livre des Macchabées, lorsqu’une mère et ses sept fils refusent d’abjurer leur foi : tous meurent sous la torture par fidélité à la loi.

Le christianisme antique hérite de cette conception : le martyre chrétien désigne le témoignage suprême rendu à la vérité. Il conduit à accepter les souffrances et la mort qui sont infligées par fidélité au Christ (cf. par exemple Actes 20). Les premiers martyres chrétiens, comme Jacques le Juste, le diacre Étienne ou Jacques le Mineur, sont tués par leurs coreligionnaires juifs parce qu’ils reconnaissent en Jésus le Messie annoncé par la Bible. Les chrétiens ont ensuite été persécutés par les païens pendant des siècles, et comptent un nombre immense de martyrs. Par ses racines familiales et sa conversion au catholicisme, Edith Stein rassemble en sa personne les conceptions juive et chrétienne du martyre.

Le croisé, à la fois pèlerin et combattant

Au Moyen Âge, la vision chrétienne subit une inflexion qui conduit à faire des combattants des martyrs. Les guerres contre les païens, qu’ils soient Vikings, Hongrois ou Arabes, sont sanctifiées, et voient apparaître les premiers saints guerriers, comme Olaf, le roi de Norvège, ou Edmond, roi des Angles. À ceux qui défendent armes à la main les biens ecclésiastiques, les prélats et les papes offrent bientôt la rémission des péchés. Ils promettent même le paradis à ceux qui se rangent sous la bannière de l’Église pour en défendre les biens temporels menacés par les païens… ou les nobles chrétiens. Et ceux qui meurent ainsi les armes à la main deviennent vite de saints martyrs, comme les chevaliers Erlembaud et Liutprand. Fidèles au trône de saint Pierre et chefs de la pataria à Milan, ils périssent en combattant leurs concitoyens, chrétiens comme eux mais réticents à se soumettre au pape. Cette dérive du martyr devenu un « soldat du Christ » (miles Christi) trouve son apogée dans la croisade : le croisé est à la fois un pèlerin qui reçoit la rémission de ses fautes en partant pour Jérusalem, et un combattant qui gagne son paradis en défendant par les armes la cause chrétienne. S’il meurt au combat, il obtient le statut de martyr.

Cette perversion de la notion chrétienne du martyre, introduite par les papes Léon IV, Grégoire VII et Urbain II, a disparu avec les dernières croisades. Les vrais martyrs de la foi chrétienne sont par la suite ceux qui portent témoignage pacifiquement de la « bonne nouvelle », quels que soient les périls qui les menacent, dussent-ils perdre la vie pour cela. Les Jésuites des « réductions » au Paraguay, les victimes du génocide arménien et des persécutions communistes, celles des récents massacres de l’Orissa en Inde, sont tous des martyrs chrétiens authentiques, restés fidèles à leur foi et au message de paix du christianisme.

L’islam aussi reconnaît des martyrs

Dans l’islam, la notion de shahid rejoint avec des nuances ce double visage du martyr chrétien, oscillant entre témoignage authentique et violence guerrière.

Au sens large, le shahid désigne en effet le témoin qui combat pour la vérité (Coran, LXI, 10 ; IV, 74). Dans cette acception très générale, le shahid n’est pas nécessairement un guerrier, mais plutôt un chercheur de Dieu. C’est d’ailleurs ainsi que l’entendent les mystiques musulmans. L’islam reconnaît de fameux martyrs, en ce sens spirituel du shahid, celui qui cherche pacifiquement Dieu. Le modèle de tous les martyrs musulmans est une femme : Soumaya, une des premières fidèles à suivre la prédication de Mahomet à la Mecque, qui fut torturée puis finalement exécutée par les Quraïshites. À sa suite, de nombreuses personnalités musulmanes ont été persécutées par les pouvoirs en place, comme Hallaj, le mystique iranien, ou plus récemment Mahmoud Muhammad Taha, le « Ghandi soudanais ». Les chiites reconnaissent comme martyrs ceux qui furent injustement assassinés par les sunnites, notamment l’imam Husayn, le fils d’Ali (gendre du prophète, Ndlr), tué par les « compagnons » et successeurs de Mahomet. Tous ces authentiques martyrs ont en partage le pacifisme et la fidélité à leur foi, face aux violences dont ils sont victimes.

Valoriser celui qui meurt les armes à la main 

Toutefois la compréhension la plus courante du shahid désigne les combattants d’Allah. Le Coran promet ainsi « le paradis pour ceux qui combattent pour la cause de Dieu, y compris les meurtriers » (IX, 111). Un Hadith célèbre attribué à Mahomet indique également que « le paradis est placé à l’ombre des sabres ». Le Coran précise d’ailleurs à plusieurs reprises que le shahid aura sa place dans le paradis (III, 169 ; XXII, 58), et notamment le guerrier mort au combat, qui est même placé au-dessus des autres (II, 154 ; III, 157). Il s’agit bien ici de valoriser celui qui meurt les armes à la main pour défendre ou promouvoir par la force l’islam, et qui devient dès lors un shahid.

Les théologiens vont préciser par la suite les différents privilèges du combattant-shahid qui meurt au combat : il est pardonné de ses manquements, il gagne sa place au paradis où il aura pour épouses 72 houris, il est estimable aux yeux de tous et peut intercéder pour 70 membres de sa famille. Cette pratique va de fait renforcer la détermination des armées musulmanes luttant contre les Byzantins, puis les croisés et les Mongols. Elle est d’ailleurs développée dans de nombreux Hadiths mentionnés à partir de cette période (Muslim 20, 4655 ; 20, 4681 ; 20, 4693 ; Bukari 52, 54 ; etc.). Cet héritage violent a engendré de tous temps une nostalgie de la mort sainte au combat, et affecte encore profondément la conception musulmane du shahid.

Interdiction du suicide par le Coran 

Une telle approche violente a pu être parfois tempérée. Le suicide est ainsi interdit par le Coran (III, 145), un rejet confirmé par de nombreux Hadiths. La mort volontaire, même au combat, est donc proscrite par l’islam. De nombreux théologiens, comme Al-Bayhaqi au XIIe siècle, ont même condamné le fait d’exposer sa vie inutilement dans les combats pour gagner le paradis.

On ne trouve rien de tel chez les islamistes qui prêchent au contraire la violence sans mesure, et, dépassant l’héritage de Mahomet, n’hésitent pas à tuer des civils innocents. Ils tirent du Coran des versets pouvant justifier leur folie meurtrière. Ainsi peut-on lire que certains « donnent leur vie pour la gloire d’Allah » (II, 207). Plus encore, il est prescrit « de ne pas tuer l’âme, ce qu’Allah a interdit, excepté par droit » (XVII, 33). Ce dernier verset permet selon plusieurs commentateurs de justifier les attaques suicides, et il fut effectivement lu en ce sens par les Ismaéliens dans un autre contexte.

Divergences d’interprétation 

Depuis leur forteresse d’Alamut, sous les ordres de Hassan-i Sabbah, dit « le Vieux de la montagne », les Assassins (ou Haschischins, dont la légende perpétue leur goût pour le haschisch avant de se lancer dans leurs attaques, Ndlr) ont en effet terrorisé par leurs meurtres tous les royaumes médiévaux du Moyen-Orient. Ils réalisaient des actions suicides en tuant des personnalités bien identifiées : une fois leur crime perpétré, au cœur des villes et forteresses ennemies, ils n’avaient aucune chance d’en réchapper. Ils étaient convaincus qu’ils entreraient directement au paradis, et ils goûtaient souvent les caresses des houris promises avec un peu d’avance (tout comme nos islamistes contemporains). Mais ils n’ont jamais pris comme cibles des victimes innocentes.

On trouve aujourd’hui une justification du suicide du shahid en-dehors des mouvements terroristes chez de nombreux salafistes considérés comme des références en Occident. Mais d’autres, comme l’imam chiite Mohammed Hussein Fadlallah, condamnent de telles actions, car elles sont contraires à l’islam. La responsabilité des théologiens musulmans à l’égard des attaques suicide est bien entière : il leur appartient de rejeter l’interprétation violente du Coran, et de retrouver le sens profond et pacifique du martyre-shahid, comme le firent autrefois les grands penseurs de l’islam.

De nouveaux barbares

De plus, les actions des suicide-bombers qui tuent indistinctement n’appartiennent pas à la tradition islamique. L’idée de faire des civils innocents et anonymes des cibles militaires vient plutôt de l’histoire des guerres modernes. Et il apparaît que c’est le terrorisme des conflits modernes qui a servi de modèle aux shahid islamistes, bien plus que l’histoire de l’islam. En effet, Allemands, Japonais, Américains et Anglais ont intentionnellement massacré des civils par centaines de milliers pendant la deuxième Guerre Mondiale en bombardant les quartiers les plus peuplés des villes (Dresde, Tohyo, etc.). Ces massacres à grande échelle rejoignent la conception islamiste du shahid qui vise à tuer par son sacrifice des victimes innocentes.

L’objectif des islamistes est de convertir le monde par la violence. Pour cela, tous les moyens sont considérés comme licites, y compris les attaques suicides (rejetées par l’islam) et le sacrifice de civils innocents (qui n’appartient pas non plus à la tradition islamique). Une telle approche fanatique est contraire à l’essence de l’islam, et ces assassins, à supposer qu’on puisse les considérer comme des témoins-shahid, ne sont pas de vrais martyrs. Ce sont des meurtriers inhumains, héritiers de la stratégie de terreur des civilisations, de nouveaux barbares.

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