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La tragédie congolaise dans les yeux d’un prêtre missionnaire (1/2)

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© Michel de Remoncourt

© Michel de Remoncourt

Michel de Remoncourt - publié le 21/10/16

Selon le père Guy Luisier, "L’ONU est une force passive qui ne fait pratiquement rien si ce n’est donner bonne conscience aux autres nations".

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La République Démocratique du Congo est depuis quelques semaines sujet de beaucoup d’inquiétudes. La situation est complexe et fait l’analyse de nombreux facteurs de la part des spécialistes en relations internationales. Laissons ici ces considérations presque scientifiques et laissons des hommes de foi et de terrain nous livrer leur expérience.

Le père Guy Luisier est prêtre à l’Abbaye de Saint-Maurice en Suisse. C’est aussi un missionnaire qui passe une grande partie de l’année au Kasaï, une province isolée au centre-sud de la RDC. Il a notamment publié un livre,Une Colline au Congo, six mois dans la savane missionnaire du XXIe siècle, (Saint Augustin, 2013), qui a reçu le Prix « Bonnes nouvelles » et le prix « Catholique des Médias ». Il a très gentiment accepté de répondre à nos questions. La première partie de cette interview est consacrée à une présentation générale de la situation du Congo, la seconde à son expérience de missionnaire.

Aleteia : Entre la corruption des fonctionnaires et les bandes armées à l’Est, quel est votre principal souci ?
Père Guy Luisier : Les bandes armées de l’Est sont trop loin de moi pour que j’en aie vraiment souci, je vis dans la province du Kasaï (au centre-sud du pays) et tout ce qu’on apprend sur l’Est vient d’Europe (ou éventuellement de Radio Okapi qui est la radio de la Monusco sur le territoire national). Il est vrai que la situation est particulièrement tragique à l’Est mais j’ai l’impression que la situation globale du pays (au point de vue politique et économique) entretient la guerre à l’Est.

Tout le monde pense ici qu’il y a des connexions entre le pouvoir central et les milices étrangères qui opèrent à l’Est, et qu’il y a une infiltration rwandaise dans l’armée nationale. C’est comme si beaucoup ont intérêt à ce que la guerre et le non-droit règnent dans les provinces de l’Est qui peuvent ainsi être pillées de leurs ressources naturelles en toute impunité. D’après moi la guerre à l’Est et la dégénérescence de l’État à cause de la corruption généralisée sont intimement liées.

Au Kasaï, nous avons vécu au mois de septembre des attaques de milices levées par un chef coutumier en révolte. Ces milices qui étaient très jeunes, vraisemblablement droguées et initiées à des rites de sorcellerie, ont fait des dégâts jusque dans l’aéroport. Il me semble que cela a été possible à cause de la décomposition avancée de l’État de droit mais aussi de l’armée, dont les éléments rwandais sont détestés de la population et ne favorisent pas la pacification.

Presque plus personne n’a confiance dans la police, l’armée et les fonctionnaires car la corruption y est omniprésente. Lorsqu’il y a des tensions, les policiers, les  soldats et les soldats déguisés en policiers, au lieu d’apporter la sécurité, accroissent l’insécurité en rançonnant la population. J’en ai fait concrètement l’expérience.

Selon de « grandes études internationales » (ONU, etc), le bien être moyen a véritablement progressé ces cinq dernières années. Cela se vérifie-t-il sur le terrain?
Cela dépend ce que l’on calcule ! D’autre part ici, l’ONU ne jouit d’aucun capital de confiance ! De par mon back-ground je suis intéressé à la problématique scolaire et, là, je vois clairement que les choses se dégradent, notamment dans la gestion des examens d’État (bac) ainsi que dans l’encadrement et le financement des maîtres à tous les niveaux.

L’état des routes empire aussi, même si au Kasaï la création d’une grande artère en direction de l’Angola voisin améliore la situation économique des communautés habitant autour de cette route. La situation sanitaire de la population (surtout malaria et fièvre typhoïde) est catastrophique. Même s’il y a un réseau assez dense d’hôpitaux et de dispensaires, la plus grande partie de la population n’y a pas accès parce qu’elle n’a pas le minimum nécessaire pour faire face à une consultation. Notre communauté a créé un petit dispensaire près de notre maison grâce à des dons européens, mais il est sous-utilisé car nos paroissiens rechignent même à payer le minimum pour avoir une fiche de consultation ! (NDLR : l’espérance de vie a reculé de dix ans depuis 1990, passant de 59 ans à 49 ans en 2014).


Lire aussi : « Au Congo, le massacre silencieux perdure »


L’aide humanitaire accordée au Congo passe par le gouvernement, vis-à-vis duquel la population est très méfiante, à juste titre si l’on vous comprend bien ; avez-vous pu en bénéficier dans votre région?
Non l’aide humanitaire qui passe par le gouvernement s’évapore, d’après moi. Des rumeurs nous parviennent affirmant que l’OMS (Organisation mondiale de la santé) envoie des médicaments gratuits dans les provinces. Dès que l’avion a touché le tarmac, ceux-ci disparaissent et on les retrouve en vente dans les pharmacies de la ville. Beaucoup se plaignent que les médecins en bénéficient, se les approprient et les vendent aux pharmacies pour arrondir leur fin de mois. Je pense que ce que l’on raconte là est assez généralisé et qu’on peut dire la même chose des cahiers d’écoliers vendus en ville avec le label de l’UNICEF, et donc a priori devraient être fournis gratuitement aux écoles… et tout à l’avenant. Ceux qui peuvent faire un bon travail ce sont les petites ONG et associations sans grand frais de fonctionnement et qui peuvent travailler discrètement, à l’abri des sbires de l’État ! (NDLR : ajoutons cependant que certaines petites ONG de l’Est du Congo sont en réalité des couvertures pour lever des fonds pour les milices locales. Là encore, rien n’est tout blanc ou tout noir !).

La situation est très complexe: milices, relations interethniques… La situation est-elle plus claire lorsqu’on est sur place ?
Non pas du tout. Pour comprendre ce qui se passe à propos des milices opérant à l’Est je me réfère aux informations européennes, car même la radio Okapi de la Manusco, qui a pignon sur rue et des moyens d’information importants, est perçue comme inféodée au gouvernement central. On constate qu’il y a effectivement des tentatives chez elle de minimiser les problèmes (le nombre de blessés ou de morts dans des tensions etc). Lors de la crise de septembre à Kananga, Radio Okapi disait que la situation était calme et sous contrôle en ville : c’était plus un souhait des autorités que le reflet de la situation sur place !

Le Grand Kasaï est unifié par la langue et les ethnies sont sœurs. Il n’y a pas actuellement de tension ethniques entre Kafkaïens car ils ont pleinement conscience d’être Kasaïens avant d’être Congolais et regardent de haut les autres ethnies, mais cela ne se traduit pas en tensions ethniques comme au temps où les Kasaïens du Katanga ont été chassés par les Katangais. Peut-être, est-ce dû au fait que le Grand Kasaï est particulièrement enclavé et esseulé dans le Congo.

Comment voyez-vous l’avenir du Congo?
Sans un assainissement politique et un respect rigoureux de la Constitution et des règles démocratiques, le pays va encore s’enfoncer dans la misère. L’exaspération est actuellement tellement grande que si la crise politique ne se résout pas dans les prochains mois, les risques de guerre civile sont réels. Les troubles que connaît actuellement le Kasaï vient de l’exaspération des gens : un chef coutumier a catalysé le mécontentement de sa région. Cela peut se généraliser.

Ce que je peux dire c’est que pratiquement personne ici ne semble compter sur l’ONU pour résoudre les problèmes. L’ONU est une force passive qui ne fait pratiquement rien si ce n’est donner bonne conscience aux autres nations notamment du conseil de sécurité. Mais tout le monde sait que sa présence à l’est n’empêche pas les exactions militaires ni les pillages des ressources.


Lire aussi « La tragédie congolaise dans les yeux d’un prêtre missionnaire (2/2) »


Tags:
AfriquecorruptionCriseMissionnaireONU
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