Mardi dernier, l’ancien Premier ministre Manuel Valls a reçu une gifle de la part d’un jeune homme de 18 ans alors qu’il effectuait un déplacement en Bretagne dans le cadre de la primaire de la gauche. La violence du geste demeurant toute relative, celui-ci n’en est certes pas moins justifiable. La justice, qui sait se faire prompte lorsque la sécurité de l’État est en danger, a d’ailleurs rendu un verdict particulièrement sévère. Mais au-delà de la décision judiciaire, c’est bien l’émoi suscité par cette gifle qui nous renseigne sur la nature du geste. Il aurait pu être annodin, voire jovial (comme l’avait écrit Boris Vian dans une chanson immortalisée par Henri Salvador, « une bonne paire de claque dans la gueule ça vous refera une deuxième jeunesse »). Il semble qu’il ait été, au contraire, tragique.
La claque, bien plus douce que le coup de poing, revêt une symbolique particulière et quelque part bien plus humiliante. Associée à la réprimande administrée à l’enfant désobéissant, à l’expression d’une colère toute féminine dirigée contre un amant infidèle ou à la provocation en duel des temps passés, elle rabaisse celui qui la reçoit – quand le coup de poing, plus franc, plus viril, semble davantage appeler une réponse physique et engager un combat d’égal à égal. L’humiliation est d’autant plus vive que la riposte est impossible pour Manuel Valls. Il doit se contenter de regarder ses gardes du corps prendre sa défense, de manière d’ailleurs excessive, sans pouvoir réagir.
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Pourquoi l’humiliation est-elle si cuisante dans ce cas précis ? Sans doute parce que la position sociale de celui qui la donne est bien inférieure à celle de celui qui la reçoit. Qu’un simple citoyen comme Manuel Valls reçoive une bonne claque d’un autre simple citoyen ne devrait pourtant pas provoquer de telles indignations. Mais l’homme politique n’est pas un citoyen ordinaire : il se pense investi d’une mission qui l’élève – et pour peu qu’il ait exercé des fonctions au sommet de l’État, alors il ne se sentira plus appartenir au même monde que ceux dont il viendra quêter les voix. L’humiliation, au sens propre du terme, c’est retrouver son humilité ; cela implique bien qu’elle ait été perdue en chemin.
Deux gifles ont marqué l’histoire pour ces mêmes raisons. Celle infligée par Sciarra Colonna au pape Boniface VIII à Anagni en 1303 tout d’abord. Sur fond d’inextricables tensions entre Philippe le Bel et la papauté, elle fit l’effet d’un affront suprême, sans doute fantasmé par les historiens-romanciers du XIXe siècle, mais assez représentative du caractère blasphématoire de la gifle.
La seconde, moins connue en France, eut pourtant un retentissement colossal outre-Rhin : en 1968, Beate Klarsfeld donna une claque au chancelier Kiesinger en pleine séance parlementaire, au cri de « Kiesinger nazi, démission ! ». Si elle est exagérée, l’accusation à l’encontre du dignitaire allemand n’en demeure pas moins symbolique : la gifle est un acte politique.
Blasphématoire et politique, la gifle qu’a reçue Manuel Valls l’était assurément. Pourquoi sa personne et sa politique suscitent-elles une telle colère populaire ? C’est à lui de se le demander. Pourquoi une claque à un simple candidat à la primaire de la gauche serait-elle blasphématoire ? Telle est la véritable interrogation. Quand Manuel Valls avait giflé un jeune militant socialiste en 2015, pourquoi le geste en question avait-il semblé si anodin ? La réponse tient à peu de chose : le militant, et a fortiori l’électeur, sont de grands enfants. L’homme politique joue le rôle de l’adulte, de celui qui gronde, qui explique, qui punit. On condamne son accès de violence comme on condamne désormais la gifle parentale, mais sans remettre en cause le rapport d’autorité qu’il sous-entend.