Non les saints ne sont pas des extraterrestres ! Et c’est pourquoi Jean Paul II, durant son pontificat, a souhaité donner au monde des exemples dans tous les états de vie, y compris le mariage. Benoît XVI lui a emboité le pas et après lui François en faisant des époux Martin – parents de Thérèse de Lisieux – le premier couple de saints de toute l’histoire de l’Église. Le père François-Marie Léthel, spécialiste des saints et de la sainteté, en sait quelque chose car depuis sa nomination en 2004 comme consulteur à la Congrégation pour les causes des saints, de nombreuses causes lui sont confiées. Parmi eux, des hommes ou des femmes, morts au cours des cinquante dernières années.
Après de longues années à travailler sur des saints reconnus comme sainte Thérèse d’Avila et sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, le père François-Marie Léthel prend très à cœur cette mission qu’il décrit comme “un fabuleux voyage dans le temps et dans l’espace”. Dans un livre entretien Les saints nous conduisent à Jésus(Salvator), il le raconte avec beaucoup d’émotion et de simplicité à la journaliste Elisabeth de Baudoüin. Cette dernière revient pour Aleteia sur ces échanges de haute volée et sur la très mystérieuse « fabrique des saints ».
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Aleteia : Comment le père François-Marie Léthel conçoit-il sa mission de consulteur ?
Elisabeth de Baudoüin : Auparavant, le père François-Marie Léthel se penchait sur les écrits d’hommes et de femmes que l’Église avait déjà béatifiés ou canonisés. Avec cette mission, il doit se prononcer sur l’héroïcité des vertus de « candidats » à la béatification. Il a toujours pensé que c’était une mission impossible sans la prière. Quand un nouveau serviteur de Dieu lui échoit, il passe de longues heures devant le Saint-Sacrement pour « entrer dans son âme », comme il le dit. Il aime aussi l’aspect collégial de la mission de la Congrégation pour les causes des saints : on recherche ensemble, c’est-à-dire avec les autres consulteurs, la vérité sur la sainteté de la personne. Enfin, c’est un fabuleux voyage dans l’espace et le temps, qui balaye 2000 ans d’histoire de l’Église, sur tous les continents.
Quelles convictions animent le père François-Marie Léthel ?
Que tous les saints — et seuls les saints — sont théologiens. Y compris les saints analphabètes, comme sainte Catherine de Sienne, qui dictait ses lettres et qui est pourtant docteur de l’Église. Elle est même la première femme, avec sainte Thérèse d’Avila, à avoir reçu ce titre jusque-là réservé aux hommes, en 1970. Mais surtout : que les deux grandes branches autour desquelles s’articule la théologie — la science de la foi (scientia fidei) et la science de l’amour (scientia amoris) — sont aussi théologiques l’une que l’autre, sans que la première soit supérieure à la seconde. Concrètement, cela consiste, par exemple, à mettre au même niveau saint Thomas d’Aquin, représentant éminent de la science de la foi, et sainte Thérèse de Lisieux, emblème par excellence de la science de l’amour. C’est une position audacieuse. Aussi en l’avançant le père François-Marie Léthel a-t-il souvent été en butte à la contradiction. Mais Benoît XVI lui a donné raison lors de la retraite de carême que le père Léthel lui a prêché ainsi qu’auxcardinaux, en 2011 . Dans le bref discours qu’il a prononcé à la fin de cette retraite, il a déclaré : “Père Léthel, vous nous avez montré que la scientia fidei et la scientia amoris vont ensemble et se complètent ». Et il a ajouté : « mais que le grand amour voit plus loin que la grande raison”. Ainsi, aujourd’hui, grâce au sceau du grand pape théologien, le père Léthel peut affirmer que les Manuscrits autobiographiques voient plus grand que la Somme théologique !”
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Le père Léthel voue un grand attachement à Jeanne d’Arc dont il parle beaucoup dans ses écrits. On sent chez lui une profonde admiration pour ces femmes courageuses et engagées…
Oui, il rend hommage à ces saintes qui non seulement restent debout dans la tourmente, comme Marie au pied de la Croix, mais font preuve d’un grand « leadership ». Pour lui, « quand tout va mal, c’est l’heure des femmes » ! Il en veut pour preuve la période de grande crise de la fin du Moyen Âge, qui a vu se dresser des femmes héroïques comme Jeanne d’Arc, Catherine de Sienne, Brigitte de Suède ou Françoise Romaine. Alors que les hommes — d’Église ou d’État — semblent perdus et comme paralysés, ces femmes inspirées qui parlent au nom de Dieu, interviennent pour sauver ou redresser des situations désespérées ou peccamineuses. Certaines le payent de leur vie, comme Jeanne d’Arc, brûlée par des gens d’Église, cette Église dont elle affirme pourtant jusqu’au bout qu’avec Jésus, Elle est « tout un ».
La place des femmes dans l’Église est un sujet très actuel. En tant que consulteur, quel regard porte-t-il sur ce sujet ?
Il avoue avoir été choqué, en arrivant à Rome il y a près de 40 ans, par le mépris avec lequel dans l’Église on parlait des religieuses. Sainte Thérèse de Lisieux, durant son voyage en Italie, avait fait un constat du même ordre, comme il le rapporte en citant les Manuscritsautobiographiques : « Je ne peux pas comprendre pourquoi les femmes sont si facilement excommuniées dans ce pays ». Comme le rappelle souvent le pape François, l’Église a encore du chemin à faire pour extirper les traces de misogynie dont elle est encore entachée, malgré la révolution apportée par le Christ il y a 2000 ans. Dans ce domaine, certains schémas culturels, comme celui qui cantonne la femme exclusivement à ses casseroles ou à des tâches subalternes, sous la domination masculine, sont à balayer. La sainteté s’y emploie de façon magistrale, comme l’explique le père François-Marie Léthel : Quand ses juges lui reprochent de s’habiller en homme et de conduire l’armée au lieu de coudre ou filer, Jeanne d’Arc répond : “Quant aux travaux de femmes, il y a assez de femmes pour les faire”. La Vérité, c’est que plus l’âme d’un homme est mariale, plus il porte sur les femmes un regard de bienveillance et de considération, qui exclut les préjugés”.
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Vous dites que ce livre fait du bien aux âmes. Vous qui l’avez réalisé, pouvez-vous en témoigner ?
Ce livre m’a fait entrer davantage dans le mystère de la communion des saints, ce fil qui relie les hommes qui cherchent Dieu sur la terre et ceux qui sont au Ciel. Le Ciel est rempli de personnes vivantes qui nous aiment et nous veulent du bien. Ils ne demandent qu’à nous aider dans nos difficultés et nous assister dans nos besoins. Ils le font, quitte à réorienter nos demandes, et toujours en nous conduisant vers Jésus. Les saints sont nos frères et soeurs, nos amis, ils sont toujours avec nous. Et ils nous éduquent. Vivre avec eux (et les anges !) ici-bas change considérablement la donne. Ce livre m’en a fait prendre conscience encore davantage. J’ai aussi gagné de nouveaux amis au Ciel ou renforcé le lien avec certains saints, comme sainte Thérèse de Lisieux, dont le père François-Marie Léthel parle comme de “La Super Sainte” ! Enfin, je comprends mieux comment la seule chose qui compte ici-bas est la marche vers la sainteté. Le reste n’a aucune importance.
La dévotion mariale est très présente dans ce livre. Le père François-Marie Léthel y est-il particulièrement sensible ?
Comme saint Jean Paul II, le père François-Marie Léthel a été très marqué par le Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, de saint Louis Marie Grignon de Montfort. Il a découvert ce livre providentiellement à son entrée au Carmel et dès lors, la consécration totale au Christ par les mains de Marie, résumée par ces deux mots : Totus tuus, est devenue essentielle dans sa vie. Il en parle comme de l’une des deux étoiles de son noviciat, l’autre étant le pape Paul VI. Ces deux étoiles lui ont permis de garder le cap aux heures sombres de la vie de l’Église dans les années 1960 et 1970. Pour lui, Montfort est un géant, dont la mission n’a fait que commencer dans l’Église. En 2005, il a fait le serment, sur la dépouille de Jean Paul II, de faire connaître le Totus tuus. Je fais partie de ceux et celles qui ont bénéficié de ce serment !