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L’engrenage sournois du mensonge

THE ADVERSARY

© Bac Films

Jean-François Thomas, sj - publié le 08/12/18

D’horribles faits divers montrent à quoi peut aboutir l’escalade du mensonge. La subversion du langage qui fausse la réalité créée par le mensonge peut devenir une habitude. Aux yeux du menteur incessant, la fausse réalité est plus réelle que la vérité.

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Certains faits divers, tragiques, ont la vertu de nous remettre en face de nos propres faiblesses qui, bien que couvant sous la cendre, pourraient un jour nous conduire à des drames identiques si nous n’y prêtons pas garde.

Un crime abominable

Il y a quelques semaines de cela est revenue à la surface des nouvelles le crime abominable de Jean-Claude Romand qui, en 1993, assassina de sang-froid sa femme et ses deux enfants, puis ses parents avant de tenter de tuer son ancienne maîtresse qu’il laissera finalement en vie, peut-être par un soudain mouvement de pitié. Cette horrible histoire ne serait malgré tout que très banale si, en fait, l’origine de cette folie meurtrière ne trouvait  ses racines dans le mensonge échafaudé en monument, année après année, pendant dix huit ans. Cet homme intelligent, aimant, ayant apparemment réussi dans ses études, dans sa profession et dans sa vie familiale, s’était inventé un personnage afin de correspondre à ce qu’il espérait de lui-même et à ce qu’attendaient les autres de lui, au moins dans son imagination.


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Alors qu’il avait échoué dès le début de ses études de médecine, il fit croire, pendant douze ans, qu’il les menait brillamment jusqu’à réussir l’Internat de Paris et à être engagé comme médecin et chercheur à l’Organisation mondiale de la santé à Genève. Marié à une pharmacienne qui n’y vit constamment que du feu, persuadée qu’elle était que son mari participait à des colloques internationaux à travers le monde, il passa tout ce temps à attendre le plus souvent sur des parkings pour faire croire qu’il travaillait, et à emprunter de l’argent aux uns et aux autres, sous prétexte de placements judicieux, remboursant les uns avec les fonds des autres, ceci dans un cercle vicieux sans fin.

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Capture d'écran YouTube
Daniel Auteuil, dans le film L'Adversaire (2002), librement inspiré de l'affaire Jean-Claude Romand.

La spirale du mensonge

Ce mensonge en escalade, construit en spirale montante comme la Tour de Babel sur les peintures flamandes, aurait pu continuer encore longtemps si, un jour, un de ses amis ne s’était rendu compte qu’il ne figurait pas sur la liste des membres de l’OMS, ceci suite à la surprise répétée de l’épouse de Jean-Claude Romand qui ne pouvait pas obtenir de numéro de téléphone professionnel de son mari. Sur le point d’être découvert, harcelé par son ancienne maîtresse dentiste à la retraite qui lui avait confié toutes ses économies pour les faire fructifier et qui n’en voyait jamais la moindre couleur, notre homme ne trouva comme solution, pour ne pas perdre la face, que de tuer ceux qu’il aimait : sa femme avec un rouleau à pâtisserie, ses enfants avec une carabine, ses parents, et leur chien, avec la même carabine, sa maîtresse, en essayant de l’étrangler puis en lui laissant la vie sauve à condition qu’elle ne dise rien, tout ceci en l’espace de deux jours au terme desquels il décida de prendre des barbituriques et de mettre le feu à sa maison. Mais les pompiers arrivèrent à temps pour circonscrire le sinistre, pour retrouver les corps de sa femme et des deux enfants, et pour sauver Jean-Claude Romand plongé dans le coma. Reconnu coupable de ses actes commis dans une crise de « raptus mélancolique » due à sa mythomanie pathologique, il fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans, période qui s’acheva en 2015. Ce n’est que fin 2018, que le condamné demanda sa remise en liberté conditionnelle, après vingt-six ans passés en prison où son attitude fut irréprochable. D’où des réactions négatives très vives à sa possible libération et la renaissance de l’affaire de la part des journalistes.


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Dans la contradiction de l’âme

Comment un homme, apparemment normal, avait-il pu en arriver là et surtout se fabriquer une vie qui n’existait pas en accumulant jour après jour des mensonges dont il était prisonnier ? Un parallèle pourrait sans doute être opéré avec un autre drame mystérieux, plus récent, celui de Xavier de Ligonnès. Tout s’explique par l’engrenage. Cela est vrai de tous les péchés et de tous les vices, mais l’engrenage du mensonge est plus sournois car il utilise aussi des parcelles de vérité et peut ainsi se justifier sous certains aspects.

Saint Augustin soulignait que l’essence du mensonge n’est ni dans l’intention de tromper, ni dans le fait de dire faux, mais dans la contradiction de l’âme à son langage : « Il ment celui qui pense une chose en son âme et en exprime une autre par des paroles ou par des signes » (Lib.de mendac. XX). Saint Thomas d’Aquin, dans la Somme Théologique, IIa-IIae, q.110, art.2 reprend saint Augustin lorsqu’il divise les mensonges en trois catégories : les mensonges officieux, « ceux que l’on fait pour le salut et dans l’intérêt de quelqu’un » ; les mensonges joyeux, « ceux que l’on fait pour s’amuser » ; et les mensonges pernicieux, « ceux que l’on fait par méchanceté ».

La séduction du Tentateur

L’escalade du mensonge qui nous intéresse ici ne semble appartenir à aucune de ces trois catégories, peut-être à la limite à la première, le menteur étant le bénéficiaire de son mensonge. En fait l’engrenage a sa racine dans le Père du mensonge lui-même, à savoir Satan, tel qu’il est défini dans les Saintes Écritures. Il ne s’agit plus là d’une faute ponctuelle, mais d’un état qui devient état de vie et seconde nature plus fortes que la vie réelle et que la nature viciée mais humaine. Une des statues de la cathédrale de Strasbourg est une symbolique et parlante représentation du mensonge : le Tentateur sous les traits d’un jeune homme charmant, souriant, attrayant, élégamment vêtu, tend avec grâce le fruit défendu, mais cette apparence cache la réalité, à savoir son dos qui est un grouillement de serpents, de crapauds et de bêtes immondes. Il ne peut tromper qu’en mentant sur sa propre nature, en se créant un personnage qui n’est pas le sien.


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Pour vraiment mentir, il faut connaître la vérité et être suffisamment adroit ou tordu pour la transformer, la défigurer. Souvent, à l’origine du mensonge, se trouve ainsi une parcelle de vérité, rapidement détruite et avalée par le désir de médire, de nuire, de briller. Les sophistes, qui sont légion partout, sont des maîtres dans l’art de tromper par la parole. Le menteur en escalade est un sophiste professionnel, soit par atavisme, par pathologie ou bien par libre choix.

Une subversion du langage

L’engrenage du mensonge est une subversion du langage qui est alors utilisé en toutes occasions pour dire comme vrai ce qui est faux ou bien ce qui n’existe pas. Le langage est en quelque sorte le miroir du monde et son mauvais usage casse le miroir, ou, au moins, le ternit-il. Voilà pourquoi aucun mensonge n’est innocent et que tout mensonge est péché. Par le mensonge, il y a désir de tromper l’autre sur la réalité du monde, de l’aveugler et donc de le conduire lui-même tôt ou tard au mensonge pour se tirer d’affaire, pour se donner un rôle qu’il n’a pas, pour se hisser sur un piédestal comme un dieu. Satan, comme créature angélique, a choisi le mal en se mentant à lui-même sur ce qu’il était vraiment. Il a refusé d’être dépendant, même en étant le plus beau parmi les anges. Il s’est pris pour Dieu.


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Il n’est donc pas étonnant que certains hommes se construisent des personnages sans même s’en rendre totalement compte une fois que la première vitesse est passée. L’engrenage fait le reste et il est impossible de revenir en arrière car la fausse réalité créée par le mensonge devient, aux yeux du menteur, plus réelle que la vérité. C’est le serpent qui se mord la queue et qui finit par s’avaler lui-même, étouffé par sa propre substance empoisonnée. Lors de son procès en 1996, Jean-Claude Romand exprima parfaitement ce qui l’avait poussé à entrer dans cette marche infernale : « Quand on est pris dans cet engrenage de ne pas décevoir, le premier mensonge en appelle un autre et c’est toute une vie. » Jean de La Fontaine, dans sa fable L’Aigle, la Laie et la Chatte, note sagement : « Que ne sait point ourdir une langue traîtresse, Par sa pernicieuse adresse ? »

Personne ne doit se croire à l’abri d’une telle escalade. Un juste usage de la langue est, comme toujours, primordial afin de ne pas sombrer jusqu’à connaître le labyrinthe de ténèbres dans lequel se lamentent sans fin ceux qui ont cédé à l’habitude du mensonge.

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